UN SINGE EN HIVER (1962) D'apr�s le roman de Antoine BLONDIN Adaptation : Fran�ois BOYER Sc�nario : Fran�ois BOYER & Henri VERNEUIL Dialogues : Michel AUDIARD LOGO DE � UFA COMACICO � Le logo de � UFA Comacico � repr�sente un �l�phant de cirque devant un rideau de sc�ne. Il l�ve la patte et la trompe, et il barrit. TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR JOUR Plan d'une portion d�serte de la plage. Une ponton en b�ton part de la plage et s'avance dans la mer. Un soldat allemand, en tenue de guerre, marche sur le ponton en direction de la mer. Le g�n�rique appara�t en lettres blanches majuscules. Les noms des acteurs et des techniciens sont inscrits dans de petits cadres noirs, juste � la taille des noms. Ces cadres sont l�g�rement transparents, ce qui permet de voir le d�cor sous le cadre. En bordure de plage, un escalier remonte de la plage. Un officier allemand remonte cet escalier. Suite du g�n�rique. Plan d'ensemble de la plage avec un grand mur de pierre en premier plan. Au loin, un groupe de soldats allemands marchent le long de la mer, venant vers nous. Suite du g�n�rique. Autre plan d'ensemble de la plage, vu de la promenade du bord de plage. Deux soldats allemands discutent devant une barri�re amovible, qui barre le d�but de la route c�ti�re. En bas de la rampe qui m�ne vers la plage, un motocycliste, sur sa moto, discute avec un autre soldat allemand � pied. La moto d�marre et remonte vers la promenade. La moto sort du champ sur la droite. Suite du g�n�rique. La moto roule sur la route c�ti�re le long de la plage. En contrebas, le groupe de soldats continue � marcher le long de la mer. Au loin, sur la corniche, on aper�oit des maisons normandes typiques. La moto sort du champ vers la gauche, et les soldats vers la droite. Suite du g�n�rique. Autre plan d'ensemble. Au premier plan, un soldat allemand monte la garde devant une barri�re qui interdit l'acc�s � la plage. Sur la droite du soldat, le dos de la rang�e de cabines de plage. Plus loin, deux autres soldats discutent devant une autre barri�re. Dans le lointain, la corniche avec les maisons dessus. Une voiture longe les barri�res, se dirigeant vers la corniche. Travelling sur la droite. Coll� sur le c�t� de la premi�re cabine de la rang�e, nous voyons une affiche repr�sentant des soldats allemands en uniforme de guerre. Sur l'affiche est �crit : � Avec tes camarades Europ�ens, sous le signe SS, tu vaincras ! � Le travelling continue � se d�placer vers la droite. Devant la rang�e de cabines, nous d�couvrons la promenade de bord de mer. Au fond, derri�re la derni�re cabine de la rang�e, quatre soldats allemands montent la garde devant une barri�re amovible. Le travelling s'arr�te. Suite du g�n�rique. Plan de demi-ensemble de la plage. Le groupe de soldats allemands marchent � la queue-leu-leu le long de la mer. Suite du g�n�rique. Une jolie maison normande en bordure de mer. Elle est de taille assez imposante. Travelling sur la droite montrant l'entr�e du village. Suite du g�n�rique. Une ambulance, suivie d'une moto avec side-car et deux soldats � bord, entre dans le village par la route c�ti�re. Sur le bord de la route, un panneau sur lequel est inscrit : � Tigreville �. Une moto double l'ambulance. Contrechamp de la route c�ti�re, qui monte vers le village. La moto roule vers nous, pr�c�dant l'ambulance, elle-m�me pr�c�d�e par une autre moto avec side-car. Sur le bord de la route, un crucifix de grande hauteur. Suite du g�n�rique. Plan g�n�ral de la plage, vue du haut de la corniche, avec quelques toits de maison en premier plan. On aper�oit le groupe de soldats allemands, semblable, � cette distance, � un petit groupe de fourmis. Fin du g�n�rique. BAR � CHINOIS � - EXT�RIEUR JOUR Plan d'ensemble de l'escalier un peu rustique qui monte vers une grande b�tisse isol�e au sommet d'une colline d�serte, pr�s de la mer et l�g�rement en dehors du village. Il s'agit d'un bar dit � chinois �, en fait une maison � de rendez-vous �. Une jeune femme en imperm�able monte l'escalier. A c�t� de l'escalier, une tour m�tallique supporte un bloc de sir�nes. Contrechamp sur la femme qui monte l'escalier. En contrebas, des voitures militaires et des soldats allemands. La femme est Georgina, la � tenanci�re � du bar. BAR � CHINOIS � - INT�RIEUR JOUR Plan moyen sur la porte d'entr�e qui s'ouvre et Georgina qui entre. Elle referme la porte derri�re elle. Dans le petit couloir menant au bar, elle croise un officier allemand, qui la salue. Elle lui dit deux ou trois mots en allemand et lui sourit. L'officier sort et referme la porte derri�re lui. Georgina remarque un casque colonial accroch� sur un porte-manteau, fait une petite moue d'agacement et se dirige vers le bar en enlevant ses gants. La d�coration de la salle de bar est assez conventionnelle. Seuls quelques �l�ments donne une touche un peu asiatique � l'�tablissement, comme les lustres chinois qui pendent du plafond, ou la fresque qui couvre tout le mur derri�re le bar. Il n'y a que deux clients assis devant le bar : Albert Quentin et Lucien Esnault. Ils sont en train de boire, et sont d�j� passablement �m�ch�s. Les deux hommes paraissent dans la quarantaine. En fait, les deux acteurs, Jean Gabin et Paul Frankeur, ont �t� artificiellement rajeunis par les maquilleuses, de fa�on � para�tre environ quinze ans plus jeunes que leur �ge r�el. ALBERT QUENTIN Matelot Esnault Lucien, veuillez armer la jonque, on appareille dans cinq minutes. LUCIEN ESNAULT C'est parti. Il salue et se l�ve avec une certaine difficult�, traverse la pi�ce et se dirige, avec une d�marche mal assur�e, vers une jonque pos�e sur une �tag�re. Cette jonque est un mod�le r�duit de taille assez importante, mesurant environ 70 centim�tres de la proue � la poupe. Il la prend et vient la poser sur le comptoir du bar. LUCIEN ESNAULT Voil� ! Le � zinc � du comptoir forme un creux avec un rebord, tout autour du comptoir, d'environ cinq centim�tres de hauteur. Albert prend un pichet publicitaire � Marie Brizard �, et commence � verser de l'eau dans le creux du comptoir. Lucien prend un autre pichet et en fait autant de l'autre c�t� de la jonque. Georgina, qui vient d'enlever son imperm�able, s'approche d'eux et ne semble pas ravie de voir ce qu'ils sont en train de faire. GEORGINA Albert ! Elle parle avec un l�ger accent �tranger. GEORGINA Oh, je vous en prie, vous n'allez pas encore tout me saloper comme l'autre fois ! ALBERT QUENTIN Madame, le droit de navigation sur le Yang-Ts�-Kiang nous est formellement reconnu par la convention du 3 ao�t 1885. Contesteriez-vous la chose ? D'un revers de main, il fait tomber les trois bouteilles vide qui �taient sur le comptoir. GEORGINA Je ne conteste rien, je vous demande simplement de ne pas tout me casser comme l'autre jour. Albert se retourne vers elle. Lucien aussi se retourne, mais plus lentement, et le regard un peu vague, alors qu'Albert, malgr� qu'il soit visiblement ivre, garde le regard alerte. ALBERT QUENTIN Ohhh mais pardon ! L'autre jour les hommes de Sun-Yat-Sen ont voulu jouer aux cons. Heureusement que j'ai bris� la r�volte dans l'oeuf. Sans barbarie inutile d'ailleurs. On n'a coup� que les mauvaises t�tes, le matelot Esnault peut t�moigner. Il le d�signe du doigt, et Lucien l�ve une main h�sitante comme pour pr�ter serment. LUCIEN ESNAULT Sur l'honneur ! Albert contourne le comptoir. ALBERT QUENTIN Bon. Nous allons donc poursuivre notre mission civilisatrice. Il est maintenant derri�re le comptoir. ALBERT QUENTIN Et d'abord je vais vous donner les derni�res instructions de l'amiral Gu�pratte, rectifi�es par le quartier-ma�tre Quentin ici pr�sent. Voil�... L'intention de l'amiral serait que nous percions un canal souterrain qui relirait le Wang-Hu au Yang-Ts�-Kiang ! Du doigt, il d�signe le fleuve dessin� sur la fresque murale derri�re lui. Lucien essaie de r�p�ter le mot � Yang-Ts�-Kiang �, mais sa bouche, emp�t�e par l'alcool, a du mal � prononcer un mot aussi compliqu�. Georgina le regarde en souriant. LUCIEN ESNAULT Bon ! ALBERT QUENTIN Je ne vous apprendrai rien en vous rappelant que Wang-Hu veut dire dire fleuve jaune et Yang-Tse-Kiang, fleuve bleu. Je ne sais pas si vous vous rendez compte de l'aspect grandiose du m�lange ? Un fleuve vert ! Vert comme les for�ts, comme l'esp�rance. Matelot Esnault, nous allons repeindre l'Asie, lui donner une couleur tendre, nous allons installer le printemps dans ce pays de merde ! Il s'�nerve un peu sur les derniers mots et d�signe, de nouveau, la fresque murale du doigt. Georgina sort de la salle du bar. GEORGINA Bon, je vois que vous �tes raisonnables, je vous laisse. J'ai des clients � servir, moi ! Albert sort de derri�re le comptoir et crie : ALBERT QUENTIN H� !... Dites donc, l'indig�ne ! Un peu de tact, hein ! Il la suit dans la salle voisine. ALBERT QUENTIN Parlons d'autre chose... parce qu'on les conna�t vos clients, la Wehrmacht polissonne et le Feldwebel escaladeur ! Hein ! Il s'est approch� de l'escalier que Georgina a commenc� � monter. Du doigt, il d�signe le haut de l'escalier. Lucien l'a suivi. Gergina se retourne, un peu effray�e. De la main, elle lui fait signe de baisser le ton. ALBERT QUENTIN Et puis merde, je vous raconterai plus rien, l� ! Il retourne vers le bar. GEORGINA Chhhhut ! Albert ! Vous f�chez pas ! Albert revient un peu sur ses pas. ALBERT QUENTIN Vous f�chez pas, vous f�chez pas... Mais, nom de Dieu de bordel, je vous offre des rivi�res tricolores, des montagnes de fleurs et des temples sacr�s, et vous me transformez tout �a en maison de passe ! Vous plantez votre Babylone normande dans ma mer de Chine. Alors... Matelot Esnault ! Lucien salue Albert. LUCIEN ESNAULT Oui Chef ! ALBERT QUENTIN Reprenez le village ! O� sont les grenades que je les d�goupille ? Il revient vers le bar, suivi par Lucien. Georgina, toujours plant�e sur les premi�res marches de l'escalier, les regarde avec un peu d'inqui�tude. Albert ramasse une bouteille de vin sur une table. Lucien en ramasse une autre. Albert s'approche du bar et enl�ve le bouchon de sa bouteille avec les dents, comme s'il s'agissait de la goupille d'une grenade. Lucien en fait autant avec une autre bouteille. Les deux hommes s'appr�tent � lancer les bouteilles contre la fresque murale. GEORGINA (criant en voix off) Monsieur Quentin !... Elle s'approche des deux hommes, qui se retournent. GEORGINA Calmez-vous ! Je vous demande pardon. Sa voix se fait suppliante et elle joint les mains. Albert enl�ve le bouchon qu'il avait gard� coinc� entre les dents. ALBERT QUENTIN Une reddition ? Soit. La main de fer dans le gant de velours. Matelot, � vos pagaies ! Il se rassoit au comptoir, Lucien l'imite. LUCIEN ESNAULT Oui Chef ! Ils versent chacun du vin dans leur verre � partir la bouteille qu'ils ont en main. Ils posent leurs bouteilles respectives, puis se mettent � boire. Lucien se l�ve avec difficult�, et, en titubant, tend les mains vers la jonque sur le comptoir. Albert l'observe. ALBERT QUENTIN Attention aux roches ! Et surtout attention aux mirages ! Le Yang-Ts�-Kiang n'est pas un fleuve, c'est une avenue, une avenue de cinq milles kilom�tres qui d�gringole du Tibet pour finir dans la mer jaune... Albert a soulev� la jonque du bar avec d�licatesse et lenteur. ALBERT QUENTIN ... avec des jonques et puis des sampans de chaque c�t�. Puis au milieu, il y a des... des tourbillons d'�les flottantes avec des orchid�es hautes comme les arbres. Le Yang-Ts�-Kiang, camarade, c'est des millions de m�tres cubes d'or et de fleurs qui descendent vers Nankin. Puis avec, tout le long, des villes-pontons o� on peut tout acheter... des... alcool de riz... la religion, puis les garces et l'opium. Il se tourne vers Georgina, toujours debout derri�re eux. Lucien repose la jonque sur le comptoir et se retourne aussi. ALBERT QUENTIN Je peux vous affirmer, tenanci�re, que le fusilier des marins a �t� longtemps l'�l�ment d�coratif des maisons de th�. En ce temps-l�, on savait rire ! � Elle s'�tait mis sur la paille pour un maquereau roux et rose, c'�tait un juif qui sentait l'ail ! Il l'avait, venant de Formose, tir� d'un bordel de Shanga�. � Georgina a l'air �mu. GEORGINA Oh, c'est beau ! Albert commence lentement � se diriger vers la sortie. ALBERT QUENTIN C'est pas de moi ! J'ai des vapes comme �a qui me reviennent quand je descends le fleuve ! LUCIEN ESNAULT Je croyais que c'�tait une avenue ? Albert a mis une cigarette entre ses l�vres. Il �carte les bras avec une moue dubitative. Puis il prend un air pensif. ALBERT QUENTIN On sait pas ! C'est peut-�tre un r�ve qui se jette dans la mer. On entend la sir�ne d'alerte qui se met en marche. BAR � CHINOIS � - EXT�RIEUR JOUR Plan rapproch� sur la sir�ne situ�e � c�t� du bar � chinois �. Travelling � droite, montrant la mer dans le lointain. On entend d'autres sir�nes qui sonnent aussi. Plan g�n�ral du ciel au-dessus de Tigreville. Une escadrille d'avions volent dans le ciel. TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR JOUR Une grosse � jeep � allemande vient de s'arr�ter au bord de la plage. Des soldats arm�s en descendent rapidement, sous les ordres d'un officier. OFFICIER ALLEMAND Schnell !... Les soldats et l'officier descendent en courant vers la plage. D'autres officiers descendent derri�re eux. BAR � CHINOIS � - INT�RIEUR JOUR Plan en contre-plong�e de l'escalier. Une femme en robe de chambre, puis un officier allemand, sortent d'une chambre sur le palier. L'officier finit d'enfiler ses bottes. D'autres filles en robe de chambre et d'autres officiers sortent de chambres voisines, et commencent � descendre l'escalier. On entend les officiers parler allemand sur un ton assez �nerv�. Les filles aussi semblent �nerv�es, mais le brouhaha ambiant fait que l'on peut � peine distinguer leurs paroles. UNE FILLE H� ! Attendez-moi ! Plan rapproch� sur l'arri�re des marches de l'escalier, � travers lesquelles on voit les jambes des filles et des officiers qui descendent rapidement, et en arri�re-plan, le visage un peu ahuri de Lucien, et celui, plus moqueur d'Albert. ALBERT QUENTIN Achtung, monsieur ! Achtung ! Georgina, venant du bar, vient vers eux en courant. GEORGINA Allez ! Allez ! Descendez dans la cave. Albert fait un geste �vasif, ramasse son casque colonial accroch� au porte-manteau, et se dirige tranquillement vers la sortie, suivi de Lucien. La porte est rest�e ouverte apr�s le d�part des officiers allemands, et Albert sort dehors, suivi de Lucien. BAR � CHINOIS � - EXT�RIEUR JOUR Albert et Lucien s'arr�te devant l'entr�e du bar, et regardent autour d'eux. On entend les moteurs des avions alli�s. Derri�re eux, on voit se fermer la porte du bar. Les deux hommes l�vent la t�te. Contrechamp sur le ciel au-dessus d'eux, dans lequel on voit trois avions voler c�te � c�te. Retour sur les deux hommes. Derri�re eux, un officier allemand retardataire sort en courant du bar. LUCIEN ESNAULT Ils bombardent Le Havre. Dans le ciel, un avion largue des bombes. Retour sur les deux hommes. ALBERT QUENTIN Le Havre ! Le Havre ! T'es compl�tement bourr� ! Le Havre, c'est de l'autre c�t�. �a nous tombe sur la gueule, oui ! Il s'�loigne rapidement. Lucien le suit. Ils s'arr�tent un peu plus loin sur la colline qui surplombe la mer. Albert met sa main en visi�re pour regarder le ciel. Dans le ciel, un autre avion largue des bombes. Retour sur les deux hommes. Albert fait signe � Lucien de s'allonger par terre. ALBERT QUENTIN Couchez-vous ! Ils s'aplatissent par terre, juste au moment o� une bombe tombe non loin d'eux. Plan rapproch� sur les deux hommes allong�s dans l'herbe, environn�s d'une �paisse fum�e. Lucien a les mains sur la t�te. Dans le ciel, un autre avion passe rapidement en larguant des bombes. Retour sur la colline. Une autre bombe tombe pr�s du bar � chinois �. Plan rapproch� sur les deux hommes. La fum�e se dissipe un peu. Lucien est couvert d'herbe et de branchages. Albert rel�ve lentement la t�te. On entend les rafales des mitrailleuses anti- a�riennes. Puis d'autres bruits m�l�s de bombes, de coups de canon et de tir de DCA. Les deux hommes se rel�vent et s'�loignent. Dans le ciel, un autre avion largue des bombes. Plan moyen sur Albert et Lucien, qui se cachent derri�re un talus, toujours sur la colline. On voit la plage en contrebas, avec les bombes qui explosent. Les deux hommes, allong�s sur le ventre, se couvrent la t�te de leurs mains. Dans le ciel, deux avions larguent des bombes. Retour sur Albert et Lucien, qui n'ont pas boug� de place. Les bombes continuent � �clater autour d'eux sur le flanc de la colline. Plan moyen en contre-plong�e du bar � chinois �. Une bombe �clate tout pr�s de lui. Plan rapproch� d'Albert et Lucien, que l'on aper�oit au milieu d'une �paisse fum�e. Ils se redressent lentement. Plan g�n�ral de la plage et de ses abords, en contrebas de la colline. La DCA allemande tire en continu. Plan rapproch� sur Lucien, qui rel�ve la t�te vers le ciel. Albert l'imite. Dans le ciel, un avion vole au milieu des parachutes qui descendent lentement vers le sol. Retour sur Albert et Lucien, qui regardent vers la plage. Plan d'ensemble des canons anti-a�riens, qui tirent vers le ciel. Dans le ciel, un avion prend un long virage. Il largue un parachute. Plan rapproch� d'Albert et Lucien, qui se prot�gent la t�te de leurs mains. Albert rampe lentement vers le bas et passe derri�re Lucien. Plan rapproch� d'Albert cach� dans un creux d'herbes. Lucien descend vers lui. Ils regardent tous deux vers le ciel. Dans le ciel, une imposante escadrille d'avions approche de la c�te. Retour sur les deux hommes. Albert semble r�fl�chir. ALBERT QUENTIN Dis donc, il serait peut-�tre temps d'aller retrouver nos bonnes femmes. Elles doivent s'inqui�ter. Il se rel�ve. LUCIEN ESNAULT Y aurait comme de quoi. Il se l�ve � son tour. A quatre pattes, les deux hommes remontent vers le chemin. Un mouvement de cam�ra permet de d�couvrir, devant eux, une petite maison, autour de laquelle les bombes explosent. Devant la maison, est gar� un v�hicule militaire. Une moto s'�loigne de la maison. Lucien et Albert descendent lentement vers le terre-plein autour de la maison. On entend une ambulance. Lucien et Albert sont maintenant sur le terre-plein et marchent tranquillement vers la maison. TIGREVILLE - RUES BOMBARD�ES - EXT�RIEUR JOUR Plan rapproch� sur une tour, qui pourrait �tre le clocher d'une l'�glise (?), et d'o� sortent des flammes. Derri�re ce � clocher �, un escalier qui descend vers le centre ville. Albert et Lucien descendent l'escalier. Plan rapproch� des restes calcin�s d'un avion finissant de br�ler sur la chauss�e. Plan de demi-ensemble d'une rue jonch�e de d�bris et de deux voitures en flamme. Derri�re ces voitures, le bas d'un escalier sur lequel Albert et Lucien apparaissent. Ils marchent entre les deux voitures en flamme. Bruit d'une grosse explosion. TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR JOUR Plan g�n�ral de la c�te. Au milieu de la baie, l'explosion soul�ve d'�norme gerbes d'eau. TIGREVILLE - RUES BOMBARD�ES - EXT�RIEUR JOUR Albert continue sa progression entre les deux voitures en flamme. Lucien le suit � une certaine distance. LUCIEN ESNAULT Voil� que �a repart ! Albert se tourne vers lui. ALBERT QUENTIN Et puisque je te dis que c'est rien. LUCIEN ESNAULT C'est rien, c'est rien... Albert fait un geste autoritaire des deux bras. ALBERT QUENTIN Rien ! Il repart, suivi de Lucien. Plan d'ensemble des ruines d'une maison. Les deux hommes circulent entre ces ruines. Derri�re eux, un b�timent de trois �tages en flammes. On entend des tirs de mitrailleuse. Albert se retourne vers Lucien, qui tripote sa cravate. ALBERT QUENTIN Ben, qu'est-ce que tu fous avec ta cravate ? LUCIEN ESNAULT Je veux pas mourir d�braill�. Il rejoint Albert. ALBERT QUENTIN Oui, et bien tu feras ta toilette de mort plus tard. Allez, magne-toi. Il reprend sa marche, et descend vers une autre maison en ruines, suivi de Lucien. Ils atteignent une zone o� une �paisse fum�e permet � peine de les distinguer CAMPAGNE NORMANDE - EXT�RIEUR JOUR Vue a�rienne des champs autour de Tigreville. Sur les champs, l'ombre d'un avion volant � basse altitude. Dans le ciel, on suit l'avion, dont on vient de voir l'ombre, et qui largue des bombes sur la campagne Normande. TIGREVILLE - RUES BOMBARD�ES - EXT�RIEUR JOUR Plan d'ensemble d'une esplanade, sur laquelle se trouvent deux chars allemands abandonn�s. Albert et Lucien traversent cette esplanade. A l'extr�mit� de l'esplanade, ils montent une rampe qui rejoint des b�timents. Des bombes tombent autour des chars abandonn�s. Dans le ciel, une escadrille d'avion est doubl�e par une autre escadrille plus rapide. Une bombe explose sur le sol. Dans le ciel, trois avions piquent vers le sol. Plan moyen d'Albert et Lucien montant la rampe au sein d'une �paisse fum�e. Albert l�ve les yeux vers le ciel. ALBERT QUENTIN Oh, merde ! Il fait semblant de tirer vers le ciel avec une mitraillette imaginaire. ALBERT QUENTIN Ta-ta-ta-ta-ta-ta-ta !... Dans le ciel, un avion pique vers le sol. Retour sur Albert qui s'est remis en marche. Lucien regarde l'avion. On entend son moteur s'emballer. LUCIEN ESNAULT Oh !... Albert ! Mais Albert s'est remis en marche et est d�j� loin devant Lucien. Plan, dans le ciel, de l'avion qui descend en piqu� et s'�crase en mer. Retour sur Lucien qui court apr�s Albert. LUCIEN ESNAULT Albert ! Il marche en tendant le bras en arri�re, car, dans son d�lire d'ivrogne, il semble persuad� que c'est Albert, avec sa mitraillette imaginaire, qui a descendu l'avion ! LUCIEN ESNAULT Oh !... Albert ! Plan d'ensemble d'une rue en ruines, plong�e dans une �paisse fum�e, et au milieu de laquelle on distingue � peine les deux silhouettes d'Albert et de Lucien. Des gens courent autour d'eux pour aller se mettre � l'abri. Fondu encha�n�. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Plus tard. La nuit est tomb�e. Plan rapproch� en contre-plong�e sur l'angle de deux rues. Une plaque, appos�e au premier �tage du mur de la maison, indique le nom de la rue : � Rue du Mar�chal P�tain �. La cam�ra descend au niveau du sol, et montre d'autres pancartes, install�es au niveau du rez-de-chauss�e � l'angle de la rue, et qui donnent des indications en allemand. Un groupe de soldats allemands casqu�s courent dans la rue, au milieu des flammes. Il passent devant une maison avec une grande vitrine. Au-dessus de cette vitrine, une inscription : � H�tel Stella �. Gros plan en contre-plong�e d'une enseigne accroch�e au mur de cette maison, et sur laquelle on peut lire, en lettres blanches sur fond noir : � Hotel Stella - Pension - Restaurant - Garage �. Retour au niveau de la rue, dans laquelle circulent des motos de l'arm�e allemande. Derri�re le passage des motards, un pan de maison s'�croule en flammes. Un homme � la jambe band�e traverse la rue en s'aidant de deux b�quilles. Des soldats allemands casqu�s courent dans le sens inverse du premier groupe. On entend la voix d'Albert chanter � tue-t�te : ALBERT QUENTIN (voix off) It's a long way to Tipperary... Un soupirail vu � travers les jambes des soldats qui courent. Albert passe la t�te par le soupirail et chante. Derri�re lui, on distingue sa femme Suzanne. ALBERT QUENTIN It's a long way to go... Zoom avant sur le soupirail. On voit plus distinctement Albert accroch� des deux mains aux barreaux du soupirail et continuant � chanter. ALBERT QUENTIN It's a long way to Tipperary... Et good-bye Piccadilly !... HOTEL STELLA - CAVE - INT�RIEUR NUIT Plan d'ensemble d'une cave vo�t�e, dont le plafond est support� par de gros piliers de briques. Sur des �tag�res sont align�es de nombreuses bouteilles de vins. Des toiles d'araign�es pendent du plafond. Au fond de la cave, debout devant le soupirail, Albert continue � chanter. ALBERT QUENTIN It's a long way to gooo !... Il revient vers l'int�rieur de la cave, o� sa femme, Suzanne, est assise. ALBERT QUENTIN Aux chiottes, les teutons !... Bande de mange-merde ! Il se sert un verre de vin, � partir d'une bouteille pos�e sur un tonneau. SUZANNE QUENTIN Arr�te, Albert ! Tu vas nous faire fusiller ! Par le soupirail ouvert, on voit les jambes des gens qui circulent dans la rue. ALBERT QUENTIN Et pas de bandeau sur les yeux, je commanderai le peloton moi-m�me, comme le Mar�chal Ney ! Il pointe le doigt vers son coeur. ALBERT QUENTIN Droit au coeur, messieurs. Suzanne reste assise, envelopp�e dans un grand ch�le de laine. Elle semble mal � son aise. SUZANNE QUENTIN Si tu crois que c'est le moment de faire le zouave. ALBERT QUENTIN Je me demande, madame, ce que les Zouaves viennent faire la-dedans ! Quartier-ma�tre Quentin, du Corps Exp�ditionnaire d'Extr�me-Orient... Garde � vous ! Envoyez les couleurs ! Il porte une bouteille � ses l�vres comme s'il s'agissait d'une trompette, et chante la sonnerie de l'envoi des couleurs. Suzanne le regarde en haussant les �paules. ALBERT QUENTIN Ta-ta, tagada-dein-dein, ta-ta, tarrrrein-tein, ta-ta, tarra-da-da, ta-ta, tarrein-tein. Il baisse sa bouteille. ALBERT QUENTIN Repos ! Une bombe a d� tomber tr�s pr�s de chez eux, car le bruit est plus fort, les bouteilles sont agit�es sur leurs �tag�res, et une pluie de pl�tre tombe du plafond. Albert sursaute et se tourne vers la pluie de pl�tre. Une autre bombe tombe pr�s de chez eux. Et cette fois-ci, c'est derri�re Suzanne que tombe la pluie de pl�tre. Une autre bombe �clate. Deux pluies de pl�tre en deux endroits diff�rents de la cave. Des bouteilles tombent par terre et se brisent. ALBERT QUENTIN La rigolade s'organise. SUZANNE QUENTIN Ce matin, chez le boucher, on disait que les Allemands allaient tout faire sauter avant de partir. Albert l�ve la main d'un geste imp�rial. ALBERT QUENTIN Mais c'est leur droit. Moi, je dis que le soldat en fuite a droit � certaines compensations r�cr�atives. Il ramasse son verre sur le tonneau, et se dirige vers Suzanne. ALBERT QUENTIN Personnellement, je me suis tap� de s�v�res courettes, je connais la question. Il s'assoit sur un casier � bouteilles. SUZANNE QUENTIN Si tu buvais moins, t'aurais peur comme tout le monde. ALBERT QUENTIN Ouais, et bien si je buvais moins, je serais un autre homme. Il d�bouche la bouteille, qui lui avait servi de trompette improvis�e, et remplit son verre. ALBERT QUENTIN Et j'y tiens pas. SUZANNE QUENTIN Si tu trouves �a intelligent de mourir saoul !... Je te jures, �a fera bonne impression en ville. Tu sais ce qu'on dira ? Il se l�ve et regarde sa femme avec un air important. ALBERT QUENTIN Mourir saoul, c'est mourir debout, et je me fous des racontars ! L'histoire jugera, madame, et d'ailleurs, je ne vois pas pourquoi je boirais moins aujourd'hui... Il porte le verre � ses l�vres, mais le redescend aussit�t, car une grosse pluie de pl�tre s'abat derri�re lui. Il s'�loigne en CRIANT : ALBERT QUENTIN Ils vont tout foutre en l'air, ces cons-l� ! Une autre pluie de pl�tre s'abat sur l'escalier. Suzanne se l�ve d'un bond. Elle bute sur un tonneau et se retourne au moment o� un autre pluie de pl�tre s'abat derri�re elle. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Dans la rue, trois soldats en armes courent dans tous les sens. L'un d'eux crie quelque chose en allemand, mais une bombe tombe dans la rue et les tue tous les trois. HOTEL STELLA - CAVE - INT�RIEUR NUIT Albert boit tranquillement son verre au milieu du vacarme et du pl�tre qui continue � tomber du plafond. Suzanne se pr�cipite sur lui et le prend par le bras. Elle semble effray�e. SUZANNE QUENTIN Albert, j'ai peur ! Il la regarde longuement avant de r�pondre : ALBERT QUENTIN Bois ! Un autre bruit de bombe, et toute la vaisselle de service en m�tal de l'h�tel d�gringole dans l'escalier de la cave, accompagn�e des valises dans lesquelles elle �tait rang�e. La lampe d'�clairage de la cave se balance sur son fil, puis s'�teint. Dans la p�nombre, o� l'on ne distingue plus que la lumi�re de la rue filtrant par la lucarne, on entend Albert crier : � Oh ! �, puis Suzanne se met � sangloter tout en toussant � cause de la poussi�re. On aper�oit la lueur d'une bougie qu'Albert vient d'allumer au fond de la cave. Les sanglots de Suzanne sont devenus presque hyst�riques. ALBERT QUENTIN Ben, Suzanne, o� que t'es, ma Suzanne ?... Ben, Suzanne !... Hein ? Il se rapproche de l'endroit d'o� proviennent les sanglots et la toux de Suzanne. ALBERT QUENTIN Ah !... Il vient de la rep�rer, assise pr�s d'une �tag�re, et sanglotant toutes les larmes de son corps. ALBERT QUENTIN �coute-moi bien, ma Suzanne... Suzanne rel�ve la t�te et le regarde. ALBERT QUENTIN Ce que je vais te dire, c'est s�rieux, et puis... c'est m�me grave. Si on s'en sort, hein... si la maison tient debout, et puis, si, un jour, je peux rallumer l'enseigne qui est au-dessus de la porte... et bien, je te jure de ne plus toucher un verre... Jamais... Les sanglots de Suzanne se sont arr�t�s. Elle regarde son mari, semblant, malgr� elle, assez impressionn�e par ce discours et cette gravit� inhabituels. Albert se sert un grand verre de vin � la lumi�re de la bougie. Il pose la bouteille sur le tonneau, et l�ve son verre en direction de Suzanne. ALBERT QUENTIN Tiens, regarde. C'est peut-�tre le dernier. Il porte le verre � ses l�vres et le boit lentement. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT M�me plan rapproch� que pr�c�demment : contre-plong�e du premier �tage de l'immeuble au coin de la rue pr�s de l'h�tel, avec la plaque indiquant le nom de la rue, qui est toujours : � Rue du Mar�chal P�tain �. Fondu au noir. Le m�me plan r�apparait, mais, cette fois-ci, le nom de la rue est devenu : � Rue du G�n�ral de Gaulle � ! La cam�ra descend au niveau de la rue, qui est tr�s calme maintenant. Toutes les devantures des magasins ont �t� r�par�es, les impacts de bombe sur la chauss�e ont �t� bouch�s. Par contre, il pleut ! Un homme s'�loigne, marchant � grandes enjamb�es sous la pluie. Plan rapproch� en contre-plong�e de l'enseigne de l'h�tel. Elle est maintenant r�dig�e en lettres noires sur fond blanc, mais le m�me texte est toujours inscrit : � H�tel Stella - Pension - Restaurant - Garage �. Et elle est �clair�e par une grosse ampoule. Albert a donc pu rallumer son enseigne, comme il le souhaitait. DEAUVILLE - PLACE DE LA GARE - EXT�RIEUR NUIT Plan d'ensemble de la place de la gare de Deauville, qui est d�serte. Seul, une DS Citro�n est gar�e sur le parking, avec l'enseigne � Taxi � fix�e sur le toit. Plan moyen de l'entr�e de la gare. Un homme jeune, dans la trentaine, sort de la gare, portant une valise. Il s'agit de Gabriel Fouquet. Il est engonc� dans son imperm�able. Il regarde la pluie qui tombe avec une grimace de m�contentement. Il rel�ve son col et se dirige vers le parking. Il s'approche du taxi gar� au milieu du parking. Il n'y a personne dans la voiture. Il pose sa valise par terre, ouvre la porte du conducteur et actionne le klaxon � plusieurs reprises. Plan moyen du � Caf� de la Gare �. Par les vitres du caf�, on voit un homme s'�loigner du comptoir et ouvrir la porte d'entr�e. Il referme la porte et court vers son taxi. LE CHAUFFEUR DE TAXI Voil� ! Voil� ! Il s'approche de sa voiture. GABRIEL FOUQUET Je vais � Tigreville. LE CHAUFFEUR DE TAXI Montez ! Gabriel prend sa valise et ouvre la porte arri�re. Le chauffeur ouvre sa porti�re avant. GABRIEL FOUQUET C'est loin ? LE CHAUFFEUR DE TAXI Oh non... Six kilom�tres. Les deux hommes montent dans la voiture, qui d�marre et sort du parking. TAXI - INT�RIEUR NUIT Gabriel s'est assis, non pas derri�re le chauffeur, mais sur le si�ge voisin, de fa�on � pouvoir discuter plus facilement. Il regarde la route sombre et pluvieuse qui d�file par les vitres du taxi, puis les premi�res maisons de Tigreville. GABRIEL FOUQUET Vous croyez qu'on trouvera un h�tel ouvert dans le coin ? LE CHAUFFEUR DE TAXI Oh... c'est pas la saison. Enfin, je vais vous montrer ce qui nous reste. TIGREVILLE - EXT�RIEUR NUIT Le taxi passe devant le panneau qui indique l'entr�e de Tigreville, et enfile la route qui monte vers le centre ville. TAXI - INT�RIEUR NUIT LE CHAUFFEUR DE TAXI �a, en temps normal, c'est les Roches Noires. C'est ce qu'il y a de mieux, hein. Par les vitres du taxi, on aper�oit l'h�tel des Roches Noires, dont tous les volets sont ferm�s. LE CHAUFFEUR DE TAXI Seulement, ils ferment le quinze septembre. J'ai pas de conseil � vous donner, mais vous auriez mieux fait de rester � Deauville. D'ailleurs, y a encore des h�tels bien. GABRIEL FOUQUET A Cannes aussi, ou � Palma. Malheureusement, j'ai rien � y faire. LE CHAUFFEUR DE TAXI Moi, je vous disais �a, hein... TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Le taxi s'approche de l'h�tel Stella, et s'arr�te devant. Le chauffeur se glisse sur le si�ge passager et ouvre la porti�re. Gabriel baisse sa vitre. LE CHAUFFEUR DE TAXI Y a �a, chez Quentin... Plan en contre-plong�e de l'enseigne de l'h�tel, qui n'est plus �clair�e. Retour sur le taxi. LE CHAUFFEUR DE TAXI C'est ouvert, mais je vous pr�viens, vous allez pas vous marrer. Gabriel inspecte la devanture de l'h�tel. GABRIEL FOUQUET Je suis pas venu pour me marrer. LE CHAUFFEUR DE TAXI Ah bon... Le chauffeur sort de son taxi par la porte passager et la referme. Il l�ve la t�te vers les fen�tres du premier �tage, et appelle : LE CHAUFFEUR DE TAXI Quentin !... Albert !... Albert !... Plan, en contre-plong�e, d'une fen�tre qui s'allume au premier �tage, � c�t� de l'enseigne. La fen�tre s'ouvre, et Albert appara�t en pyjama ray�. L'acteur Jean Gabin a maintenant repris son aspect normal et ses cheveux blancs, et para�t donc son �ge r�el. ALBERT QUENTIN Qu'est-ce que c'est ? LE CHAUFFEUR DE TAXI (voix off) Un client... ALBERT QUENTIN Je descends. Il rentre dans sa chambre. Retour sur le taxi. Le chauffeur ouvre la porte de Gabriel, qui sort sa valise, que le chauffeur lui prend des mains. Puis Gabriel lui-m�me sort du taxi. GABRIEL FOUQUET Je vous dois combien ? LE CHAUFFEUR DE TAXI Quinze cents francs pour la course. Gabriel sort des billets de sa poche. GABRIEL FOUQUET Et cinq cents pour la conversation. Gardez tout. Il met l'argent dans la main du chauffeur. LE CHAUFFEUR DE TAXI Merci. Ils se dirigent tous les deux vers la porte de l'h�tel. HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR NUIT Albert, qui a enfil� un blouson par-dessus son pyjama, se dirige vers la porte d'entr�e. A sa gauche, le comptoir de la r�ception. Il ouvre la porte. LE CHAUFFEUR DE TAXI Bonsoir, Albert. ALBERT QUENTIN Bonsoir. Le chauffeur donne sa valise � Gabriel, et retourne vers son taxi. GABRIEL FOUQUET Vous avez une chambre ? ALBERT QUENTIN Oh la ! J'en ai quatorze ! Entrez, monsieur. Gabriel entre dans l'h�tel. Albert referme la porte derri�re lui. Gabriel regarde le comptoir de r�ception. On entend sonner un carillon. Albert fait le tour du comptoir. Sur le mur, derri�re le comptoir, l'horloge marque 10h30, et, sur le mur de c�t�, le calendrier indique : � jeudi 28 octobre �. Albert d�croche une clef sur le tableau sous l'horloge. Il prend une fiche sur le comptoir, et refait le tour du comptoir. ALBERT QUENTIN Tenez, si vous voulez me suivre. Il s'�loigne du comptoir et Gabriel le suit. Plan en plong�e vu du haut de l'escalier. Albert commence � monter, suivi de Gabriel. ALBERT QUENTIN Vous savez, si vous �tes venu pour les bains de mer, j'aime mieux vous dire que la saison est termin�e. GABRIEL FOUQUET Qu'est-ce que �a veut dire, la saison ? Les paysans disent qu'il y en a plus, de saison. Vous en avez encore une, vous ? ALBERT QUENTIN Boh !... Du premier au quinze ao�t, dans les ann�es exceptionnelles. HOTEL STELLA - COULOIR PREMIER �TAGE - INT�RIEUR NUIT Ils sont arriv�s au premier �tage. Albert s'avance dans le couloir. ALBERT QUENTIN Vous gardez la chambre plusieurs jours ? GABRIEL FOUQUET Je sais pas. Albert s'arr�te devant une porte et introduit la clef dans la serrure. HOTEL STELLA - CHAMBRE GABRIEL - INT�RIEUR NUIT La porte s'ouvre et Albert entre le premier. La chambre est assez conventionnellement celle d'un h�tel de province de l'�poque. Papier � grosses fleurs sur les murs, cadre avec une photo de voilier, un lavabo avec une tablette de verre et un miroir au-dessus, un lit � structure m�tallique, une table de nuit avec une lampe de chevet, une commode, un fauteuil en bois avec un coussin dessus, une table recouverte d'une nappe � motif moderne avec un cendrier publicitaire pos� dessus. Gabriel suit Albert et jette un rapide regard circulaire autour de lui. ALBERT QUENTIN Voil�... GABRIEL FOUQUET �a m'a l'air parfait. Il pose sa valise au pied du lit. ALBERT QUENTIN Je vous laisse votre fiche, vous la remplirez demain. Vous avez besoin de quelque chose ? Albert a pos� la fiche sur la table. Gabriel commence � d�boutonner son imperm�able. GABRIEL FOUQUET Euh... Qu'est-ce qu'on peut boire � cette heure-ci ? ALBERT QUENTIN Oh ben...Vittel, Evian, Perrier... Gabriel finit d'enlever son imperm�able. GABRIEL FOUQUET Oh... Tout compte fait, j'ai pas soif. ALBERT QUENTIN Et ben, comme vous voudrez. Voil�... Albert se dirige vers la porte. ALBERT QUENTIN Bonne nuit, monsieur. Albert sort et referme la porte derri�re lui. Gabriel pose son imperm�able sur le bout du lit, et regarde autour de lui. Il met les mains dans ses poches, et s'adosse sur le lit. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT La chambre d'Albert et Suzanne ne ressemble pas aux autres chambres de l'h�tel. Elle est moins impersonnelle, avec des meubles plus jolis et de nombreux vases et objet dispos�s dessus. Albert entre et referme la porte derri�re lui. On ne voit pas encore Suzanne, mais on devine qu'elle est toujours au lit, dont on aper�oit le pied � droite du champ. SUZANNE QUENTIN (voix off venant du lit) Qui est-ce ? Albert enl�ve son blouson, et s'avance dans la chambre, suivi par la cam�ra. ALBERT QUENTIN Un client. On d�couvre Suzanne � moiti� assise dans le lit. Elle a chang� de coiffure et a maintenant les cheveux coup�s courts, alors qu'elle les portait longs pendant la guerre. SUZANNE QUENTIN Je m'en doute. Il t'a rien dit ? ALBERT QUENTIN Ben, qu'est-ce que tu voulais qu'il me dise ? Il m'a demand� une chambre, je lui ai donn� le huit. Il pose son blouson sur un fauteuil. SUZANNE QUENTIN Avoue que c'est quand m�me une dr�le d'heure pour arriver, surtout de ce temps-l�. Albert s'assoit sur le lit et enl�ve ses pantoufles. ALBERT QUENTIN Oh... les voyageurs, c'est fait pour voyager, et puis le temps n'a rien � voir l�-dedans. Il se glisse sous les draps. Suzanne en fait de m�me. ALBERT QUENTIN Allez... Il ramasse un bonbon dans une coupelle sur la table de nuit et le met dans sa bouche. Il se gratte la t�te, puis �teint sa lampe de chevet. Suzanne a les yeux grand ouvert, et soudain, elle tourne la t�te et tend l'oreille. On entend une porte qui se ferme, puis des bruits de parquet qui grince. Suzanne se redresse dans son lit. Albert ne bouge pas, un bras repli� au-dessus de sa t�te. SUZANNE QUENTIN �coute !... ALBERT QUENTIN Quoi ? Plan rapproch� sur la porte de la chambre. On entend quelqu'un qui passe derri�re la porte dans le couloir. Suzanne se tourne vers Albert. SUZANNE QUENTIN Tu vas tout de m�me pas me dire que tu trouves �a naturel ? Albert n'a toujours pas boug�. ALBERT QUENTIN Qu'est-ce qu'il y a de surnaturel � chercher les waters ? SUZANNE QUENTIN Albert !... Elle sort pr�cipitamment du lit, et ramasse sa robe de chambre. Albert allume pos�ment sa lampe de chevet. Suzanne arrive pr�s de la porte en finissant d'enfiler sa robe de chambre. Elle entr'ouvre doucement la porte et regarde dans le couloir. Elle fait signe � Albert de venir pr�s d'elle. Albert se l�ve lentement, sort du lit, enfile ses pantoufles et rejoint Suzanne pr�s de la porte. Il ouvre la porte en grand et sort dans le couloir. Suzanne le suit. HOTEL STELLA - COULOIR PREMIER �TAGE - INT�RIEUR NUIT La cam�ra suit Albert et Suzanne dans le couloir. Ils arrivent � l'escalier. En contrebas, dans le hall de r�ception, on voit Gabriel, qui descend les derni�res marches. Il regarde autour de lui. Il ouvre � deux battants les portes d'un placard, mais rien, dans ce placard, ne semble l'int�resser et il le referme. Il trouve un interrupteur et allume la lumi�re de la salle � manger. Il p�n�tre dans la salle � manger que l'on voit � travers le mur vitr� qui la s�pare du hall de r�ception. Albert et Suzanne s'accoudent sur la rampe pour mieux l'observer. Gabriel s'approche d'un buffet, dont il ouvre les portes. Il regarde � l'int�rieur et referme le buffet. HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR NUIT Gabriel revient vers le hall de r�ception, et �teint la lumi�re avant de sortir. Une autre lumi�re s'allume au premier �tage. Gabriel se retourne vers Albert et Suzanne, que l'on voit en contre-plong�e en haut de l'escalier. ALBERT QUENTIN Vous cherchez quelque chose ? GABRIEL FOUQUET La porte. Albert montre quelque chose du doigt derri�re Gabriel. ALBERT QUENTIN Droit devant vous. Gabriel se retourne et se dirige vers la porte d'entr�e. ALBERT QUENTIN (voix off) Soyez aimable de la refermer, hein ? Gabriel ouvre la porte, sort dans la rue, et referme la porte derri�re lui. Retour � la contre-plong�e sur Albert et Suzanne, en haut de l'escalier. Albert p�n�tre dans le couloir, suivi de Suzanne. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT Par la fen�tre de la chambre d'Albert, on voit, en plong�e, Gabriel qui marche dans la rue, o�, maintenant, il ne pleut plus. Il se dirige vers un caf� situ� � quelques m�tres de l'h�tel, dans une rue qui coupe la rue de l'h�tel � angle droit, le � Caf� Normand �. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Contre-champ et plan rapproch� sur la fen�tre d'Albert, vue de la rue. Albert et Suzanne regardent dans la rue, �cartant chacun un rideau pour mieux voir. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT Retour au plan en plong�e, vu de la fen�tre de la chambre. Gabriel est maintenant arriv� au caf� et regarde � travers les rideaux qui d�corent les vitres de l'�tablissement. Puis il se dirige vers la porte qu'il ouvre. CAF� NORMAND - INT�RIEUR NUIT Le � Caf� Normand � est un petit bistro provincial typique de l'�poque. Comptoir en bois avec � zinc � vraiment en zinc. Vitres prot�g�s par des rideaux blancs bien repass�s. Cendriers publicitaires � Picon � ou � Martini �sur le comptoir. Derri�re le comptoir, des �tag�res avec des bouteilles d'alcool, des verres, une machine expresso, le tout devant un grand miroir qui couvre tout le mur. Gabriel entre dans le caf� et referme la porte derri�re lui. GABRIEL FOUQUET Messieurs !... Il s'assoit sur un tabouret en bois devant le comptoir. Il se retourne lentement, car il vient de s'apercevoir que le brouhaha ambiant s'est tu soudainement � son entr�e. Contrechamp montrant la salle du caf�. Au fond, la salle de billard, communiquant sans s�paration avec le reste de la salle du caf�, mais � laquelle on acc�de par trois marches. Deux hommes sont en train de jouer au billard. A c�t� du billard, une vieille femme, Jos�phine, seule � une table. Le long du mur qui prolonge la vitrine du caf�, des tables, derri�re lesquelles sont assis des clients, visiblement des marins, ou d'anciens marins, vu leur costumes et leurs casquettes. De l'autre c�t� de la salle, une table o� le patron, Lucien Esnault, est en train de manger en face de son �pouse, une femme brune au chignon s�v�re. Simone, la serveuse, une petite jeune femme blonde d'allure sympathique, portant un grand tablier blanc, et tenant un torchon � la main, quitte la table des � marins � et se dirige vers le comptoir. Jos�phine, Madame Esnault et Simone sont les trois seules femmes pr�sentes dans le caf�. Les conversations reprennent. Retour sur Gabriel tourn� vers le comptoir, derri�re lequel Simone vient d'arriver. SIMONE Pour monsieur, ce sera ?... GABRIEL FOUQUET Un Picon-bi�re. Simone reste interdite : elle semble ne pas savoir ce qu'est exactement un Picon-bi�re. Elle pose un verre sur le comptoir devant Gabriel. Puis, de dessous le comptoir, elle sort une bouteille d'un litre de bi�re, ferm�e par un bouchon m�canique. Elle ouvre la bouteille, qui fait un � pop � caract�ristique. Elle se retourne pour prendre une bouteille de Picon sur l'�tag�re derri�re elle. Elle d�bouche la bouteille, puis prend les deux bouteilles, une dans chaque main, et se tourne vers la salle. SIMONE M'sieur Esnault... pour un Picon-bi�re, c'est moiti�- moiti� ? Contre champ. La cam�ra est plac�e derri�re Simone, et montre Gabriel en premier plan, assis devant le comptoir, et derri�re lui, en arri�re plan, la salle du caf�. Gabriel prend les bouteilles des mains de Simone. GABRIEL FOUQUET �a peut le devenir, mais pas maintenant. Il pose la bouteille de bi�re sur le comptoir, et commence � verser le Picon dans son verre. GABRIEL FOUQUET Je saute pas l'obstacle sans �lan. Vous allez voir, j'ai ma recette. Il pose la bouteille de Picon, prend la bouteille de bi�re et verse la bi�re dans son verre. GABRIEL FOUQUET Pendant ce temps, faites-moi un num�ro de t�l�phone. SIMONE Pour ici ? GABRIEL FOUQUET Non. SIMONE Pour Paris ? GABRIEL FOUQUET Non. Pour Madrid. Il pose la bouteille de bi�re et sort, de la poche de sa veste, un papier qu'il tend � Simone. GABRIEL FOUQUET Tenez, il est l�-dessus. Simone se dirige vers le t�l�phone, pos� � l'extr�mit� du comptoir. Elle pose la main sur le t�l�phone, puis se tourne vers la salle. SIMONE M'sieur Esnault... Pour t�l�phoner � Madrid, comment on fait ? Dans la salle, Lucien, toujours � table avec sa femme, et qui tourne le dos au comptoir, s'essuie la bouche et se l�ve de table. Il s'approche du comptoir, et actionne la manette d'appel du t�l�phone. (NOTE - A cet �poque, seules certaines grandes villes, comme Paris, avait un r�seau t�l�phonique automatique. Pour la plupart des petites villes de province, il fallait passer par un standard, qui vous mettait en relation avec le correspondant demand�.) Simone fait le tour du comptoir pour donner le papier de Gabriel � Lucien, qui le prend et d�croche le combin�. Avant de parler, il se tourne vers la salle. LUCIEN ESNAULT Un peu de silence, je t�l�phone en Espagne. Les conversations s'arr�tent � la table des � marins �, qui se tournent tous vers Lucien. Ce dernier, le combin� � la main, regarde le papier de Gabriel. LUCIEN ESNAULT Mademoiselle Claire comment ?... Il se tourne vers Gabriel. Plan moyen de Gabriel, au comptoir, en train de boire son Picon- bi�re. Il baisse son verre. GABRIEL FOUQUET Claire Pr�vost. Il recommence � boire lentement. LUCIEN ESNAULT (voix off) Pour le 14 � Tigreville, je voudrais le 39... Retour sur Lucien qui lit le papier au t�l�phone. LUCIEN ESNAULT 48 00... � Madrid. VOIX DE L'OP�RATRICE (voix off dans le t�l�phone) En Espagne ?... LUCIEN ESNAULT Ben oui, en Espagne. Un pr�avis pour mademoiselle Claire Pr�vost. VOIX DE L'OP�RATRICE (voix off dans le t�l�phone) Quelques minutes d'attente. LUCIEN ESNAULT H� ! Allo ! Avec I.D. VOIX DE L'OP�RATRICE (voix off dans le t�l�phone) D'accord. LUCIEN ESNAULT Oui, merci. Il raccroche. Il replie le papier et le rend � Gabriel. LUCIEN ESNAULT Ils rappellent, y a quelques minutes d'attente. Gabriel remet le papier dans sa poche. GABRIEL FOUQUET En attendant, qu'est-ce que je vous offre ? Lucien, qui se pr�parait � retourner vers la table, o� sa femme continue � diner seule, s'accoude au comptoir. LUCIEN ESNAULT Oh, un petit Calva. Gabriel fait signe � Simone derri�re le comptoir. GABRIEL FOUQUET Un Calva pour monsieur. Il reprend les deux bouteilles, une dans chaque main, et commence � verser le Picon, puis la bi�re, dans son verre. GABRIEL FOUQUET Pour moi, m�me jeu, la m�me couleur ! Simone d�pose un verre vide devant Lucien. Puis elle prend une bouteille de Calva sous le comptoir, la d�bouche et verse l'alcool dans le verre. GABRIEL FOUQUET Dites donc, ils ont l'air de se coucher de bonne heure en face. Lucien se redresse avec un large sourire. LUCIEN ESNAULT Ahhh ! Parce que vous �tes descendu chez Quentin ! Ben vous avez pas fini de rigoler. Simone rebouche la bouteille et la repose sous le comptoir. LUCIEN ESNAULT Avec lui, si vous avez pas soif, vous serez tout de suite servi. Je sais m�me pas s'il sert encore du vin � table. Hum ! Sacr� Albert ! Il se tourne vers la salle. LUCIEN ESNAULT Ah, on peut dire qu'il a saut� la barri�re, celui-l�. Il revient vers Gabriel. LUCIEN ESNAULT Parce que, hein, pardon... Joyeux compagnon, mesdames ! Pas snob sur le biberon, c'est moi qui vous le dis. Allez, venez... Il prend son verre et fait signe � Gabriel de le suivre en salle. LUCIEN ESNAULT On a bien rigol�, il y a quinze ans, tous les deux. Tandem terrible, connu sur la r�gion. Il fait quelques pas, suivi de Gabriel, qui a aussi pris son verre, puis il s'arr�te de marcher. GABRIEL FOUQUET Parce que vous en f�tes ? LUCIEN ESNAULT Comme vous dites. Et pas manchot. Et puis un jour, crac, fini, plus un verre, l'abstinence, le g�tisme. C'est de ce jour-l� qu'il a chang�. Il reprend sa marche. LUCIEN ESNAULT On dirait qu'il y a plus que le mauvais qui ressort. GABRIEL FOUQUET Qu'est-ce que vous appelez le mauvais ? Lucien s'assoit sur la banquette d'une table � c�t� des � marins �. Gabriel s'assoit en face de lui. LUCIEN ESNAULT C�t� renferm�, cette esp�ce de pr�tention, pas faire comme tout le monde... Un genre, quoi ! Un vieux � marin �, en blouson de cuir, assis juste � c�t� de Lucien, qui a des cartes dans une main et une cigarette dans l'autre, se tourne vers Lucien. LE � MARIN � EN BLOUSON DE CUIR Mais il l'a toujours eu, le genre. L'a-t-y pas �t� faire son service militaire en Chine ? Je vous demande un peu. A c�t� de lui, sur la banquette, un homme portant un b�ret, une pipe au bec, se m�le � la conversation. L'HOMME AU B�RET C'est comme la pr�tention qu'il a toujours eu dans ses lectures. Vous croyez peut-�tre qu'il lit le journal comme tout le monde ? Ah ! Pensez-vous ! Des bouquins plein une malle. Tu te rappelles les soirs o� il nous emmerdait avec... et comment qu'il l'appelait, celui-l� ?... Un gros qu'avait un nom d'eau gazeuse... A... Ap... Appolinar�s ?... Apolina... LE � MARIN � AU BLOUSON DE CUIR Appolinaris !... L'HOMME AU B�RET Ah !... LUCIEN ESNAULT Ah, je dis pas qu'il a pas toujours �t� fou. Mais avant, il communiquait. C'est depuis qu'il a arr�t� de boire qu'il a mut� sournois. Il est plus rien. Allez donc voir ce qui se passe l�-dedans. Il se tapote le front. Un autre client, assis � la table voisine, s'assoit sur la banquette � c�t� de l'homme au b�ret. LE CLIENT DE LA TABLE VOISINE Et d'apr�s Billoux, qu'a servi chez lui, para�t qu'il avait des sortes d'�blouissements... de malaises. Lucien se l�ve. LUCIEN ESNAULT Je ne dis pas non. Car il aurait comme un cancer ou une cirrhose du foie que je serais le premier � lui tirer mon chapeau, mais alors qu'il le dise, Bon Dieu, c'est tout ce qu'on lui demande. Le t�l�phone sonne. Lucien contourne la table. LUCIEN ESNAULT Tiens, �a doit �tre Madrid. Il se dirige vers le comptoir. Arriv� au comptoir, il d�croche le t�l�phone. Derri�re lui, on voit Gabriel, qui est rest� sans bouger � sa place, et qui continue � boire. LUCIEN ESNAULT Allo ! Allo ! VOIX DE L'OP�RATRICE (voix off dans le t�l�phone) Le 14 � Tigreville ? LUCIEN ESNAULT Oui. VOIX DE L'OP�RATRICE (voix off dans le t�l�phone) Madrid. LUCIEN ESNAULT Ne quittez pas. Il se tourne vers Gabriel. LUCIEN ESNAULT C'est Madrid. Il pose le combin� sur le comptoir. Gabriel, son verre � la main, se l�ve lentement et se dirige vers le comptoir. Lucien retourne s'assoir sur la banquette. Gabriel arrive au comptoir sur lequel il pose son verre. Il prend le combin� et le porte � son oreille. GABRIEL FOUQUET Allo ! La r�sidence Mora ?... Derri�re lui, Lucien et les � marins � sont tous tourn�s vers lui, et ne perdent pas une miette de la conversation. VOIX ESPAGNOLE (voix off dans le t�l�phone) Si se�or. Digame ? GABRIEL FOUQUET Mademoiselle Claire Pr�vost. VOIX ESPAGNOLE (voix off dans le t�l�phone) Un secondo. Le pongo. Un long silence. CLAIRE (voix off dans le t�l�phone) Allo ?... Allo ?... Mais enfin, qui appelle ?... Allo ?... Mais r�pondez ! Qui est � l'appareil ? Gabriel raccroche lentement sans r�pondre. Puis il reprend son verre sur le comptoir, se dirige vers les deux bouteilles, remplit son verre, d'abord de Picon, puis de bi�re, repose les bouteilles, porte le verre � ses l�vres, et le boit lentement. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT M�me plan rapproch� sur la fen�tre de la chambre d'Albert que celui vu juste avant que Gabriel entre dans le caf�. Albert est maintenant seul � scruter la rue derri�re les rideaux. Il laisse retomber le rideau et s'�loigne de la fen�tre. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT Albert s'�loigne de la fen�tre dont il vient de laisser retomber le rideau. Il se rapproche du miroir au-dessus de la chemin�e, miroir dans lequel on voit le lit, dans lequel Suzanne est couch�e. Il ouvre une bo�te � bonbons pos�e sur la chemin�e. SUZANNE QUENTIN Qu'est-ce qu'il peut bien faire l�-bas ? ALBERT QUENTIN Chercher ce qu'on ne trouve plus chez nous. SUZANNE QUENTIN Tu regrettes ? ALBERT QUENTIN Pourquoi veux-tu que je regrettes ? J'ai mes bonbons, moi. Il met un bonbon dans sa bouche. Il se rapproche lentement d'un cadre accroch� au mur � droite de la chemin�e. Ce cadre montre une photo d'Albert en uniforme colonial, posant devant un fleuve sur lequel navigue une jonque. A droite de ce cadre, un autre cadre montre une autre photo d'Albert devant le bastingage d'un bateau. Derri�re lui, sur le fleuve, navigue aussi une jonque. Albert regarde longuement les photos, en croquant son bonbon. A moiti� assise dans son lit, Suzanne l'observe. SUZANNE QUENTIN Albert... Albert regarde toujours les photos au mur. ALBERT QUENTIN Hmmm !... Il se retourne. Suzanne le regarde avec un pointe d'inqui�tude dans les yeux. SUZANNE QUENTIN Allez, viens te coucher, va. M�chouillant toujours son bonbon, Albert s'�loigne des photos. La cam�ra reste un temps en plan fixe sur les photos, puis la lumi�re s'�teint dans la pi�ce. CAF� NORMAND - INT�RIEUR NUIT Simone s'�loigne du comptoir avec un plateau charg� de verres de vin. On entend beaucoup de brouhaha dans la salle. Simone passe devant Madame Esnault, assise seule � la m�me table que pr�c�demment. La nappe a �t� enlev�e, et une tasse de caf� est pos�e devant la patronne. Il n'y a plus de joueurs autour du billard, mais Jos�phine est toujours assise seule � sa table � c�t� du billard, donc l�g�rement sur�lev�e par rapport � la salle. Simone s'approche de la table des marins, qui sont tous pli�s en deux de rire. Seul Gabriel, en premier plan, ne semble pas partager l'hilarit� g�n�rale. Il verse le fond de la bouteille de Picon dans son verre. En face de lui, Lucien rigole avec ses clients. Simone pose son plateau en bout de table. JOS�PHINE Moi, Hitler, tout ce que j'avais � lui reprocher, c'est ses moustaches. Au son de sa voix, il est �vident que Jos�phine a un peu trop bu. Les rires, qui s'�taient interrompus pour la laisser parler, reprennent de plus belle. Simone pose chaque verre devant son destinataire. Au premier plan, Gabriel se l�ve lourdement, la bouteille � la main. Il l�ve la bouteille en l'air. GABRIEL FOUQUET Une autre bouteille ! Simone s'approche de Gabriel, mais personne d'autre ne semble s'int�resser � lui. LUCIEN ESNAULT Jos�phine, raconte un peu � monsieur ce que tu faisais sous l'occupation. Simone prend la bouteille de la main de Gabriel et s'�loigne vers le bar. Gabriel reste debout. Plan moyen de Jos�phine, le verre � la main. JOS�PHINE J'�crivais � la Kommandantur, et je d�non�ais tous les malfaisants. �clats de rire en voix off. JOS�PHINE Tiens, toi, je t'ai d�nonc� plus de dix fois pour march� noir. Mais ils ont jamais voulu me croire. Contrechamp avec la cam�ra plac� dans le dos de Jos�phine, et montrant la table des � marins � en contrebas. Gabriel est toujours debout. Le client, qui �tait auparavant install� � la table voisine, se tourne vers Gabiel. LE CLIENT DE LA TABLE VOISINE Quand on vous disait que c'�tait un ph�nom�ne ! Simone apporte une nouvelle bouteille de Picon � Gabriel, qui se rassoit. Le � marin � au blouson de cuir l�ve son verre vers Gabriel. LE � MARIN � AU BLOUSON DE CUIR Et bien, m'sieur, � votre sant� ! Plan moyen sur Gabriel qui verse de la bi�re dans son verre. On entend des clients qui lui parlent en voix off, mais il est difficile de savoir qui parle exactement. UN CLIENT (voix off) Voil� une tourn�e qui vous portera bonheur ! UN AUTRE CLIENT (voix off) La premi�re fois que vous venez � Tigreville, ben ce sera pas la derni�re ! On a vingt milles parisiens tous les �t�s, ben y en avait m�me depuis avant la guerre. Gabriel boit son verre par gorg�es, le regard un peu vague. UN AUTRE CLIENT (voix off) Ah oui, c'est vrai. Le d�but de la r�plique d'un autre client est rendue incompr�hensible par le brouhaha ambiant. UN AUTRE CLIENT (voix off) Question iode, on craint personne, m�me pas Berck. Plan sur la table des � marins �. Le vieux � marin � au blouson de cuir pointe son doigt vers Gabriel. LE � MARIN � AU BLOUSON DE CUIR Dans un journal, on nous appelle la Californie Normande. Tous les autres � marins � approuvent. Le marin au blouson de cuir l�ve son verre. LE � MARIN � AU BLOUSON DE CUIR Messieurs !... A Tigreville !... Tous l�vent leurs verres, y compris Lucien, en disant : � A Tigreville !� Gabriel se l�ve, le verre � la main, et dit, d'une voix un peu p�teuse : GABRIEL FOUQUET Messieurs... Votre accueil me bouleverse, mais ne saurait �garer mon jugement. J'ai tout de m�me pas mal voyag�, ce qui me permet de vous dire, en connaissance de cause, que votre patelin est tarte comme il est pas permis et qu'il y fait un temps de merde ! Il se penche sur la table pour parler plus pr�s des visages des � marins �, qui �berlu�s par l'impertinence de Gabriel, reposent lentement leurs verres sur la table. LUCIEN ESNAULT Je suppose que monsieur plaisante... Gabriel se tourne vers lui. GABRIEL FOUQUET Absolument pas. Le marin au blouson de cuir se l�ve pour faire face � Gabriel LE � MARIN � AU BLOUSON DE CUIR Vous savez combien y a eu de jours de soleil en Juillet ?... Dix-sept ! Gabriel rapproche son visage du sien. GABRIEL FOUQUET Soleil de mes fesses ! Vous savez pas ce que c'est que le soleil ! Vous l'avez jamais vu, vous ! D'une bourrade, il repousse le marin, qui retombe sur ses amis sur la banquette. Puis il monte sur � l'estrade � du billard. Arriv� en haut des trois marches, il commence � danser le flamenco en tapant du pied par terre, � la mani�re des danseurs espagnols. Tous les clients du caf� le regarde, un peu subjugu�s par cette d�monstration inhabituelle d'ivresse. Plusieurs gros plans sur les pieds de Gabriel en train de danser. (NOTE - Lors des gros plans de pieds, ce n'est pas l'acteur Jean- Paul Belmondo qui danse, mais il est doubl� par un v�ritable danseur de flamenco. C'est aussi la raison pour laquelle, sur la plupart des autres plans, on ne voit que le haut du corps de Gabriel, � partir de la taille.) Gabriel saute de l'estrade sur la table de la patronne, qui �te prestement sa tasse de caf�, se l�ve et s'�loigne de la table. Gabriel continue � danser sur la table. A la fin de la d�monstration de Flamenco, Gabriel saute � terre. GABRIEL FOUQUET C'est �a, le soleil ! Il s'avance, en titubant un peu, vers la table. D'un geste rapide du bras, il balaie tous les verres pos�s sur la table. GABRIEL FOUQUET Ahhhh !... Mais je veux pas voir de verres vides. Lucien se l�ve, et alpague Gabriel, aid� par l'un des � marins �. Gabriel repousse Lucien. Tous les clients du bar se sont lev�s, et se sont regroup�s autour de Gabriel. Derri�re lui, un homme le pousse. Gabriel se retourne, pr�s � se battre. Puis il se retourne de nouveau vers Lucien, que sa femme retient par le bras. Il prend une liasse de billets dans sa poche et les lance en l'air. GABRIEL FOUQUET Quieto ! UN MARIN Il est peut-�tre arm� !... GABRIEL FOUQUET Le monsieur paie !... Les gens de ma suite vont venir... ce sont des gitans... traitez-les comme moi-m�me. Lucien l'attrape par le col de sa veste. LUCIEN ESNAULT A coups de pompe dans le train que je vais vous traiter ! Gabriel le repousse avec force, repoussant aussi, en m�me temps, tous les clients group�s derri�re lui. Il se plante devant la porte d'entr�e. GABRIEL FOUQUET Arri�re, les esquimaux ! Je rentre seul... le matador rentre toujours seul. Plus il est grand, plus il est seul. Je vous laisse � vos banquises, � vos igloos, � vos pingouins. � Il se tourne vers madame Esnault. GABRIEL FOUQUET Por favor Se�ora ! � quelle heure le train pour Madrid ? LUCIEN ESNAULT Dans cinq minutes ! Si tu te d�p�ches pas, tu le loupes ! Gabriel le regarde pos�ment, se retourne lentement et ouvre la porte. Lucien le pousse violemment dehors. LUCIEN ESNAULT Allez, ouste, avant que je me f�che ! TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Pouss� par Lucien, Gabriel sort du caf� en titubant. Il manque s'�taler par terre, mais se redresse. La porte du caf� s'est referm�e. Gabriel se dirige vers l'h�tel en zigzaguant. Il manque de nouveau s'�taler par terre, mais s'appuie sur le mur en face de l'h�tel. Il attends un instant, puis reprend sa progression h�sitante vers l'h�tel. Finalement, il s'�tale � plat ventre par terre. CAF� NORMAND - INT�RIEUR NUIT Dans le caf�, tous les clients sont toujours debout. Lucien observe Gabriel en �cartant le rideau de la vitrine. Il se tourne vers le client au b�ret. LUCIEN ESNAULT Va l'aider � traverser la rue, il y arrivera jamais tout seul. L'homme au b�ret ouvre la porte et sort en refermant la porte derri�re lui. LUCIEN ESNAULT Le Picon-bi�re, �a pardonne pas. C'est de �a que mon pauvre papa est mort ! Y a rien de plus tra�tre ! Il reprend son observation derri�re le rideau de la vitrine. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT L'homme au b�ret trotte vers Gabriel, toujours couch� par terre au milieu de la rue. Il l'aide � se relever. L'HOMME AU B�RET Allons !... GABRIEL FOUQUET J'ai but� contre un pi�ge � phoques ! L'HOMME AU B�RET Ah oui, mais c'est rien que �a ! Allez !... Gabriel passe le bras autour des �paules de l'homme, qui l'aide � marcher vers l'h�tel. L'HOMME AU B�RET Appuie-toi sur mon �paule. Gabriel le regarde en souriant et le pointe du doigt. GABRIEL FOUQUET T'as une bonne t�te, toi ! Il l�ve les yeux vers l'h�tel. GABRIEL FOUQUET C'est la gare ? L'HOMME AU B�RET Oui. GABRIEL FOUQUET Tu veux un billet de quai ? L'HOMME AU B�RET Non, c'est pas la peine. Gabriel se d�gage de son �treinte, et se dirige vers la porte de l'h�tel. GABRIEL FOUQUET Allez, Ciao ! L'homme au b�ret agite la main. L'HOMME AU B�RET Bon voyage ! On entend, en bruit off, la porte de l'h�tel qui se referme lourdement. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT Suzanne et Albert dorment dans leur lit. On entend des bruits de pas mal assur�s. Suzanne se redresse brusquement sur le lit. SUZANNE QUENTIN C'est lui, c'est lui qui rentre. Albert ne bouge pas. ALBERT QUENTIN Hmm !... Les bruits de pas h�sitants continuent. Puis un bruit de chute prolong�e, comme quelqu'un qui d�vale un escalier. Suzanne se tourne vers Albert. SUZANNE QUENTIN Tu vois ce que je te disais. Albert bouge lentement dans le lit. ALBERT QUENTIN Oh, merde ! Il s'extirpe lentement de sous ses draps, s'assoit sur le rebord du lit, allume sa lampe de chevet, puis se l�ve. Suzanne le regarde traverser la chambre. On entend le bruit de la porte qui s'ouvre, puis qui se ferme en claquant. HOTEL STELLA - COULOIR PREMIER �TAGE - INT�RIEUR NUIT Plan en contre-plong�e d'Albert, en pyjama, arrivant sur le palier de l'�tage. Il regarde dans la p�nombre en contrebas, puis il allume la lumi�re pour mieux voir. Plan en plong�e de Gabriel �tal� sur le dos au pied de l'escalier. Il se redresse l�g�rement et ricane b�tement. GABRIEL FOUQUET Salut, papa ! Par signe, il explique sa chute, tout en continuant � ricaner. Albert descend l'escalier. HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR NUIT Gabriel s'accroche des deux mains � la rampe pour essayer de se relever, mais n'y arrive pas. Albert arrive � sa hauteur. ALBERT QUENTIN Et ben, qu'est-ce qui vous arrive ? Il l'aide � se relever. GABRIEL FOUQUET J'ai voulu descendre du train en marche. Il est enfin debout. ALBERT QUENTIN Oh, ben oui, �a doit �tre �a !... Allez, tenez-vous bien. Il le soutient pour l'aider � monter l'escalier. Gabriel fait trois pas, puis rate une marche. ALBERT QUENTIN Attention !... Allez... HOTEL STELLA - COULOIR PREMIER �TAGE - INT�RIEUR NUIT Plan en l�g�re plong�e, montrant Albert et Gabriel gravissant les derni�res marches de l'escalier. GABRIEL FOUQUET Ah, mon vieux papa !... Heureusement que je t'ai, hein ? Il viennent d'atteindre le palier. GABRIEL FOUQUET �a t'ennuie pas que je t'appelle papa ? ALBERT QUENTIN Ben non, �a m'ennuie pas. Il le guide le long du couloir. GABRIEL FOUQUET On va aller boire un petit verre, tous les deux, sans rien dire � personne. ALBERT QUENTIN Merci, mais moi, je ne bois pas. Ils viennent de d�passer la chambre d'Albert. La porte s'ouvre et Suzanne appara�t, en chemise de nuit. Gabriel se retourne. GABRIEL FOUQUET Oh ben, la se�ora, l�, elle a peut-�tre envie d'aller porter un toast �... Albert le tient � bout de bras plaqu� contre le mur. ALBERT QUENTIN La se�ora, elle a surtout envie de roupiller. Allez... Il le laisse appuy� contre le mur, pendant qu'il ouvre la porte de sa chambre. Gabriel fait un petit signe de la main et un sourire niais � Suzanne, qui rentre pr�cipitamment dans sa chambre. HOTEL STELLA - CHAMBRE GABRIEL - INT�RIEUR NUIT Albert allume la lumi�re dans la chambre, puis traverse le couloir, pour r�cup�rer Gabriel, toujours appuy� contre le mur. ALBERT QUENTIN Allez... Soutenu par Albert, Gabriel entre dans sa chambre. GABRIEL FOUQUET Viens, je t'emm�ne au Prado... Tu connais le Prado ?... Albert le guide vers son lit. ALBERT QUENTIN Un jardin avec un mus�e dessus. Oh, ben, c'est pas des trucs � me faire relever la nuit, �a. Il appuie Gabriel contre la rambarde au pied du lit, puis se dirige vers la t�te du lit, pour rabattre le couvre-lit. GABRIEL FOUQUET Claire et moi, on y allait tout le temps. On prenait deux Prado, et on avait des r�ves pour cent ans. Il se tourne vers Albert, qui finit de rabattre le couvre-lit. GABRIEL FOUQUET Et Claire... Tu vas me dire que tu la connais aussi, peut- �tre ?... Albert le prend par le torse et le guide vers le lit. ALBERT QUENTIN C'est votre amie ? Gabriel hoche la t�te. GABRIEL FOUQUET Ouais, c'est mon amie... une amie qui s'est tir�e !... C'est pas gentil, �a ! Albert vient de r�ussir � l'assoir sur le lit. ALBERT QUENTIN Allez !... GABRIEL FOUQUET Pas beau ! Alors, tu vois, tu pas refuser de boire avec un type qu'a plus d'amie. Albert le couche sur le lit. ALBERT QUENTIN Mais je vous ai d�j� dit que je ne buvais pas. Allez... L�... Il se rel�ve et se dirige vers la porte. ALBERT QUENTIN Maintenant, je vais �teindre, et vous allez dormir, hein ? Gabriel se redresse brusquement sur son lit. GABRIEL FOUQUET Non ! Il tend la main vers Albert. GABRIEL FOUQUET J'ai une meilleure id�e. Je vais faire monter deux X�r�s. Il se recouche et appuie sur la sonnette du service en chambre. HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR NUIT Plan moyen du mur, pr�s de l'entr�e du restaurant, mur sur lequel est fix� un gros tableau de contr�le avec une voyant lumineux pour chaque chambre. Une sonnette r�sonne et le voyant correspondant � la chambre n� 8 s'allume. HOTEL STELLA - COULOIR PREMIER �TAGE - INT�RIEUR NUIT Plan en plong�e du palier du premier �tage, vu du plafond au- dessus de l'escalier. Une porte s'ouvre et une jeune femme en chemise de nuit vient s'accouder � la rambarde. Il s'agit de Marie-Jo, l'employ�e r�sidente de l'h�tel. MARIE-JO Ben, qu'est-ce qu'y a ? Qu'est-ce qui se passe ? Elle l�ve les yeux vers le plafond. Plan moyen du couloir. Albert sort de la chambre de Gabriel et fait un pas hors de la chambre. MARIE-JO (voix off) Qui est-ce qui a sonn� ? ALBERT QUENTIN Personne... Retournez vous coucher, Marie-Jo. HOTEL STELLA - CHAMBRE GABRIEL - INT�RIEUR NUIT Albert rentre dans la chambre et referme la porte. Gabriel le rejoint pr�s de la porte. GABRIEL FOUQUET Je vais inviter la patronne � prendre un verre. Albert le repousse vers l'int�rieur de la chambre. ALBERT QUENTIN Elle dort, la patronne. Tout le monde dort. Allez... Il le prend par le bras et le guide vers son lit. GABRIEL FOUQUET Les mani�res se perdent. On s'est jamais couch� si t�t � Madrid. Arriv� devant l'armoire � glace, il se retourne vers Albert. GABRIEL FOUQUET J'esp�re qu'elle me fera tout de m�me la gr�ce d'assister � mes d�buts aux Ar�nes Monumentales. ALBERT QUENTIN Je lui ferai part de votre aimable invitation. Gabriel se tourne vers la glace et regarde son reflet. GABRIEL FOUQUET Y aura du monde... Luis Miguel attire toujours la foule... Y a longtemps que je r�ve de triompher � Madrid... Le public sera exigeant... surtout derri�re Miguelito. Il se tourne vers Albert, qui le regarde avec une tendresse m�l�e de nostalgie. GABRIEL FOUQUET Je vais �tre oblig� de prendre des risques. ALBERT QUENTIN Et bien, j'esp�re que tout se passera bien. Gabriel marche vers le milieu de la chambre. Il parle avec de grands gestes et une voix passionn�e. GABRIEL FOUQUET Je mettrai mon costume blanc... celui de mes d�buts. Vous vous souvenez de cette Novillada de Tol�de ? Ce vent froid, ce public affreux... et ce taureau qui voulait pas mourir. Mais depuis, j'en ai estoqu� plus de cent... Je suis le plus grand matador fran�ais... Gabriel Fouquet, plus grand que Pierre Schul... Yo soy unico ! D'un geste vif, il ramasse la nappe sur la table, et commence � tournoyer dans la chambre, se servant de la nappe comme de la cape d'un matador, faisant des passes � un taureau imaginaire. Il prononce les paroles rituelles des matador en espagnol. Albert s'assoit sur une chaise pour le regarder. A la fin de sa courte prestation, Gabriel se tourne vers Albert, gardant la nappe � la main dans la position fig�e de la cape du matador. GABRIEL FOUQUET �a vous int�resse, papa ? ALBERT QUENTIN Peut-�tre... GABRIEL FOUQUET Qu'est-ce qui vous int�resse ?... Le matador, le taureau, o� l'Espagne. Plan rapproch� sur la nappe, qui tourne, d�couvrant Albert en plan moyen. ALBERT QUENTIN Le voyage... votre fa�on de voyager. Gabriel pose la nappe et s'assoit sur le lit. GABRIEL FOUQUET Ah ! �a, c'est un secret. ALBERT QUENTIN Oh, la-la ! Le v�hicule, je le connais, je l'ai d�j� pris. Et c'�tait pas un train de banlieue, vous pouvez me croire. Monsieur Fouquet, moi aussi, il m'est arriv� de boire. Et �a m'envoyait un peu plus loin que l'Espagne. Le Yang-Ts�- Kiang, vous avez d�j� entendu parler du Yang-Ts�-Kiang ? �a tient de la place dans une chambre, moi, je vous le dis. GABRIEL FOUQUET S�r... Et alors ?... Deux X�r�s ?... Albert hoche n�gativement la t�te. ALBERT QUENTIN Je ne bois plus. Je croque des bonbons. GABRIEL FOUQUET Et �a vous m�ne loin ? ALBERT QUENTIN En Chine, toujours... mais plus la m�me. Maintenant, c'est une esp�ce de Chine d'antiquaire. Quant � descendre le Yang-Ts�-Kiang en une nuit, c'est hors de question. Pfft !... Un petit bout par-ci, un petit bout par-l�... Et encore, pas tous les soirs. Il sourit. ALBERT QUENTIN Les sucreries font bouchon. Il se l�ve. ALBERT QUENTIN Allez... Bonsoir. Il fait deux pas vers la porte. GABRIEL FOUQUET Papa ! Albert se retourne vers le lit, sur lequel Gabriel est toujours assis. ALBERT QUENTIN Oui ?... Gabriel �carte les bras. GABRIEL FOUQUET Je crois que j'ai rat� mon train pour Madrid ! Il retombe � plat ventre sur le lit. Albert le regarde. ALBERT QUENTIN Monsieur Fouquet, quand on a les r�ves que vous avez dans la t�te, on ne se tourmente pas pour un train rat�. Il se rapproche du lit, et prend la rambarde du pied de lit � deux mains. ALBERT QUENTIN Savez-vous � qui vous me faites penser ? A un de ces singes �gar�s, comme on en rencontre en Orient au moment des premiers froids... Il regarde Gabriel avec plus d'attention et s'aper�oit qu'il s'est endormi. Il se retourne et se dirige lentement vers la porte. Il �teint la lumi�re, ouvre la porte, sort de la chambre et referme la porte derri�re lui. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT Albert entre dans la chambre et referme la porte derri�re lui. Suzanne est assise dans le lit. SUZANNE QUENTIN Alors, qu'est-ce qui lui est arriv� ? ALBERT QUENTIN Oh, rien, il a bu un coup de trop, c'est tout. Il s'assoit sur le bord du lit pour enlever ses pantoufles. SUZANNE QUENTIN Vous avez parl� de quoi ? ALBERT QUENTIN Offf !... De singes... De singes et de singerie... Il se glisse sous les draps. Suzanne en fait autant. ALBERT QUENTIN Allez... Il �teint sa lampe de chevet. Suzanne garde les yeux grand ouverts. Elle semble songeuse. Fondu au noir. TIGREVILLE - LE PORT - EXT�RIEUR JOUR Plan moyen de la voiture d'Albert, une DS break. Albert vient de se garer � c�t� d'un � cube � Citro�n, et sort du v�hicule. Il porte une �paisse parka � col de fourrure, style � canadienne �. Il marche le long du bassin du port et passe devant des bateaux de p�ches amarr�s � quai. Plan d'ensemble de la partie du port, o� les p�cheurs d�barquent leur poisson. Albert enjambe une amarre, et continue son chemin, passant devant un p�cheur vendant son poisson � la cri�e. Plan moyen sur des cageots de poissons. Deux femmes sont en train de les trier, les r�partissant dans les cageots. LE MARIN H� !... T'as vu mes dorades ?... Albert serre distraitement la main du marin et continue � circuler entre les �tals de poissons. Chaque marin-p�cheur a dispos� sa p�che sur une planche pos�e sur deux tr�teaux, tout le long du quai. Albert s'approche d'un autre �tal et serre la main du marin. Apparemment, concentr� sur les cageots de poisson, il n'a pas vu Lucien, debout, les mains dans les poches, � l'extr�mit� de l'�tal LE MARIN Salut. ALBERT QUENTIN Combien, ces rougets ?... LUCIEN ESNAULT Ils sont bien, mais ils sont retenus. Toi aussi, je te retiens. Je te remercie pour la soir�e d'hier. Le marin suit la conversation en regardant alternativement Lucien et Albert. ALBERT QUENTIN Quelle soir�e ? LUCIEN ESNAULT Oh, fais pas celui qui comprend pas. Ton client, l�, ton Espagnol. Douze verres cass�s, �a te dit rien ? ALBERT QUENTIN Dis donc, toi. Primo, �a fait quinze ans que je t'interdis de me parler. Deuxio, si tu voulais pas qu'il boive, t'avais qu'� pas le servir. LUCIEN ESNAULT Alors, l�, monsieur Quentin, je te r�torque que primo, je l'ai vir�. Deuxio, des ivrognes, il y en a assez dans le pays, sans que tu les fasses venir de Paris ! ALBERT QUENTIN Un ivrogne ? LUCIEN ESNAULT Oh ben un peu, oui ! M�me que le p�re Bardasse, qui boit quinze Pastis par jour, il en revenait pas. ALBERT QUENTIN Ahh ! Parce que tu m�langes tout �a, toi, mon Espagnol, comme tu dis, et le p�re Bardasse, les Grands-Ducs et les boit-sans-soif ! Il se rapproche de Lucien. LUCIEN ESNAULT Les Grands-Ducs ? ALBERT QUENTIN Oui, monsieur, les princes de la cuite, les seigneurs, ceux avec qui tu buvais le coup dans le temps et qui ont toujours fait verre � part. Dis-toi bien que tes clients et toi, ils vous laissent � vos putasseries, les seigneurs. Ils sont � cent milles verres de vous. Eux, ils tutoient les anges ! Il s'�loigne de Lucien. LUCIEN ESNAULT Excuse-moi, mais, nous autres, on est encore capable de tenir le litre sans se prendre pour Dieu le P�re. Albert se retourne. ALBERT QUENTIN Mais... c'est bien ce que je vous reproche. Vous avez le vin petit et la cuite mesquine. Dans le fond, vous m�ritez pas de boire. Tu te demandes pourquoi il picole, l'Espagnol ? C'est pour essayer d'oublier les pignoufs comme vous ! Il se tourne vers le marin, toujours debout et sto�que derri�re son �tal. ALBERT QUENTIN Combien qu'il fait, ton lot de rougets, l� ? Plan rapproch� sur trois cageots plein de rougets, pos�s sur de la glace pil�e sur l'�tal du marin. LE MARIN (voix off) Trois cents francs le kilo. Plan d'ensemble sur l'�tal du marin (vu de dos) avec le port derri�re Albert. LUCIEN ESNAULT Je te pr�viens : j'en ai retenu la moiti�. ALBERT QUENTIN Et bien, moi, je prends le tout. Allez, emballe-le moi, je vais venir le prendre. Il s'�loigne lentement. LUCIEN ESNAULT D�cid�ment, on peut plus causer de rien, avec toi, tiens. Albert, avant de quitter l'�tal, se retourne une derni�re fois vers Lucien. ALBERT QUENTIN T'es trop con ! Albert s'�loigne lentement, les mains dans les poches. Lucien s'�loigne aussi, dans la m�me direction qu'Albert, mais � distance. HOTEL STELLA - CUISINE - INT�RIEUR JOUR Plan rapproch� sur le tableau d'appel des chambres. Le voyant n� 8 s'allume et sonne. En-dessous du tableau, un plan de travail, sur lequel un plateau de petit-d�jeuner est pos�. Marie-Jo apporte une grosse cafeti�re en m�tal, qu'elle pose sur le plateau. Elle prend le plateau et sort de la cuisine vers la salle � manger. La cam�ra reste dans la cuisine et suit Marie-Jo qui traverse la salle � manger vers le vestibule. Assise � une table, Suzanne est occup�e � g�rer la paperasserie de l'h�tel. Elle tourne l�g�rement la t�te vers Marie-Jo. SUZANNE QUENTIN Ah, tout de m�me ! Marie-Jo ne s'arr�te pas et continue son chemin vers la porte ouverte du vestibule de r�ception. A travers les vitres de la salle � manger, on la voit monter l'escalier. HOTEL STELLA - CHAMBRE GABRIEL - INT�RIEUR JOUR La porte s'ouvre et Marie-Jo entre, tenant son plateau � deux mains. Elle se dirige vers le lit, sur lequel Gabriel est affal�, tout habill�. Il a m�me encore ses chaussures ! Il a juste rabattu le couvre lit en partie sur lui, et surtout sur sa t�te. Marie-Jo s'arr�te devant le lit. MARIE-JO Monsieur ? Gabriel se retourne lentement, d�couvrant son visage, encore bouffi de sommeil... Il regarde le plateau d'un air un peu d�go�t�. GABRIEL FOUQUET Ohhh non ! Pas �a ! Montez-moi un Vichy. Marie-Jo se retourne et se dirige vers la porte. GABRIEL FOUQUET H� !... Marie-Jo s'arr�te et se retourne. Gabriel s'assoit sur le lit, les jambes pendantes par-dessus la rambarde au pied du lit. GABRIEL FOUQUET Qu'est-ce qu'on raconte dans la maison ? MARIE-JO A propos de quoi ? GABRIEL FOUQUET Hier soir. MARIE-JO Oh, Monsieur Quentin, y parle jamais de ces choses-l�, hein. Pour lui, hier, c'est hier. Gabriel regarde Marie-Jo, les bras crois�s. GABRIEL FOUQUET Et aujourd'hui, c'est aujourd'hui. Votre patron personnifie le bon sens. Bon, je descends. Il descend lentement du lit. Marie-Jo sort de la chambre et referme la porte derri�re elle. HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR JOUR La porte d'entr�e est ouverte, et on aper�oit la voiture d'Albert, gar�e devant l'h�tel. Albert entre portant un cageot de rougets. Il longe l'escalier, et entre par l'autre porte de la salle � manger, situ�e derri�re l'escalier. Dans la pi�ce, on aper�oit Suzanne, les mains sur les hanches, qui regarde les quatre cageots de rougets d�j� empil�s par terre ! Derri�re Suzanne, les portes des chambres froides. SUZANNE QUENTIN Mais t'es compl�tement fou. Qu'est-ce qu'on va faire de tout �a ? Albert pose le dernier cageot sur la table. Sur la droite du champ, on aper�oit Gabriel qui descend l'escalier. ALBERT QUENTIN J'en sais rien, mais je veux pas me laisser emmerder par Monsieur Esnault. Il ouvre la porte d'une chambre froide, au moment o� Gabriel s'encadre dans la porte ouvert de l'office. ALBERT QUENTIN Et l'autre, il est descendu ? Il se retourne et voit Gabriel. HOTEL STELLA - SALLE � MANGER - INT�RIEUR JOUR Albert est debout devant la porte ouverte de la chambre froide, dans laquelle, pos�s sur des �tag�res, on aper�oit des bouteilles, du lait, des yaourts. ALBERT QUENTIN Vous avez besoin de quelque chose, Monsieur Fouquet ? Il ouvre une autre porte de la chambre froide. La cam�ra est maintenant plac�e dans la chambre froide. On voit Albert par la porte qui vient de s'ouvrir, et Gabriel par la porte d�j� ouverte. Gabriel s'approche d'Albert. GABRIEL FOUQUET Je voulais vous demander pour hier soir... Albert fait de la place dans la chambre froide pour y d�poser ses poissons. Il enl�ve des plats vides. ALBERT QUENTIN Me demander quoi ? GABRIEL FOUQUET J'ai pas fait trop de foin ? Albert pose les plats vides sur la table ALBERT QUENTIN Non, pas trop. GABRIEL FOUQUET Tant mieux. On a beaucoup bavard�. J'ai pourtant pas la m�moire des noms, mais y en a un qui m'est rest� grav� l�... Il d�signe sa tempe. GABRIEL FOUQUET ... le Yang-Ts�-Kiang. Albert ouvre une troisi�me porte, d�couvrant Suzanne, qui regarde Gabriel, le visage inquiet, puis se tourne vers Albert. GABRIEL FOUQUET J'ai toujours retenu les choses compliqu�es, comme anticonstitutionnellement... la dict�e de M�rim�e, les rois d'�gypte. J'y ajouterai le Yang-Ts�-Kiang. Albert d�pose un plat contenant des rougets sur une �tag�re de la chambre froide. Marie-Jo passe derri�re eux, portant le plateau du petit-d�jeuner de Gabriel. Suzanne regarde l'int�rieur de la chambre froide sans la voir, les yeux dans le vague. Albert referme la troisi�me porte de la chambre froide, cachant Suzanne. Il pose un autre plat de rougets sur une �tag�re. ALBERT QUENTIN Monsieur Fouquet, je m'excuse, mais y a des heures pour bavarder et des heures pour travailler. Il referme la porte, disparaissant � notre vue. Seule reste ouverte la porte derri�re laquelle Gabriel est toujours debout, les mains dans les poches. GABRIEL FOUQUET Oh, moi, les heures, vous savez... Le principal, c'est que je vous aie pas contrari�. Albert referme la derni�re porte. Plan moyen sur Albert fermant la porte de la chambre froide, avec Suzanne derri�re lui, qui l'observe, le regard inquiet. ALBERT QUENTIN Ohhh ! Rassurez-vous. Pour me contrarier, faut se lever de bonne heure, ou se coucher beaucoup plus tard. Il tire un cageot de rougets vers lui. Gabriel sourit, se retourne et sort de la salle � manger. Suzanne s'approche de la porte et le regarde traverser la r�ception. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR JOUR Gabriel sort de l'h�tel, referme la porte, et se dirige vers le Caf� Normand. Il est d�j� presque arriv� au caf� lorsque la porte de l'h�tel s'ouvre de nouveau. Suzanne, qui a d�j� son �charpe autour du cou, sort en enfilant son manteau. Au loin, on voit Gabriel qui passe devant le caf� sans s'arr�ter et continue dans la rue, disparaissant � nos yeux. Suzanne finit d'enfiler son manteau et court vers lui. Contrechamp sur Suzanne, qui trottine en enfilant ses gants. Lorsqu'elle tourne le coin de la rue, elle se trouve nez � nez avec Gabriel qui ach�te des journaux. Il paie la marchande, qui rentre dans sa boutique, sourit et s'approche de Suzanne. GABRIEL FOUQUET Alors, madame Quentin, on espionne l'aimable client�le ? SUZANNE QUENTIN Monsieur Fouquet... Il lui montre le journal qu'il tient � la main. GABRIEL FOUQUET Les assassins, les voleurs, ils se nourrissent de journaux. L'homme traqu� est oblig� de se tenir au courant de tout. Depuis cette manie des portraits-robots, je suis oblig� de changer de t�te tous les jours. Je m'�tais fait, je crois, hier, la t�te de l'homme qui boit. Demain, de quoi sera-t- il fait ?... SUZANNE QUENTIN Je vois que vous aimez la plaisanterie. Il s'�loigne d'elle, et continue sa promenade dans la rue qui descend vers la mer. Elle le suit. SUZANNE QUENTIN �a vous ennuie que nous fassions quelques pas ? GABRIEL FOUQUET Je vous en prie. SUZANNE QUENTIN Monsieur Fouquet, vous comptez rester longtemps chez nous ? Cette question vous surprend peut-�tre... GABRIEL FOUQUET Elle me surprend d'autant moins que votre mari me l'a d�j� pos�e hier soir. SUZANNE QUENTIN Et qu'est-ce que vous lui avez r�pondu ? Gabriel sort une cigarette d'un paquet et la met dans sa bouche. GABRIEL FOUQUET Que j'en savais rien. SUZANNE QUENTIN Ah !... Remarquez, si vous devez rester que deux ou trois jours, je n'ai rien � vous dire, mais si vous comptez rester davantage... Gabriel allume sa cigarette. Suzanne s'arr�te de marcher, et Gabriel s'arr�te aussi. SUZANNE QUENTIN Comment vous expliquer ?... Cette nuit, Albert vous a parl� du Yang-Ts�-Kiang. Et ben, il faut pas, c'est mauvais pour lui. Elle se remet en marche, et Gabriel aussi. TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR JOUR Il sont arriv� en bordure de mer. Le temps est tr�s brumeux, et on distingue � peine la mer. SUZANNE QUENTIN Vous devez me prendre pour une folle. Je voulais pas vous dire �a comme �a. Gabriel saute sur un banc. GABRIEL FOUQUET Monsieur Fouquet, nous sommes un m�nage heureux, foutez- nous la paix. Du haut du banc, il se penche vers elle. GABRIEL FOUQUET C'est �a, la formule brutale ? SUZANNE QUENTIN Oui... Gabriel descend du banc, et s'approche de la rambarde qui surplombe la plage. Suzanne le rejoint. Plan rapproch� de Gabriel appuy� des deux mains sur la rambarde. Suzanne s'accoude sur la rambarde, et regarde Gabriel, qui ne la regarde pas, mais regarde au loin vers la mer embrum�e. SUZANNE QUENTIN Je voudrais que vous compreniez. Albert est devenu parfait. J'ai peur que vous lui redonniez le go�t des voyages. Il pourrait penser que vous allez en Chine sans lui. GABRIEL FOUQUET En Espagne, madame. SUZANNE QUENTIN Pardon ? GABRIEL FOUQUET Moi, c'est l'Espagne. Il se tourne vers elle. GABRIEL FOUQUET Voyez, vous pouvez dormir tranquille. Il s'�loigne de la rambarde. Suzanne reste songeuse et BREDOUILLE : SUZANNE QUENTIN �videmment, si c'est l'Espagne... Gabriel descend, par un escalier, vers la plage, loin en contrebas. Suzanne se penche par-dessus la rambarde qui surplombe l'escalier. SUZANNE QUENTIN Monsieur Fouquet, sans indiscr�tion, vous �tes venu � Tigreville pourquoi ? Gabriel s'arr�te � mi-chemin dans l'escalier et rel�ve la t�te vers elle. SUZANNE QUENTIN Pour vous reposer ? Pour vos affaires ? GABRIEL FOUQUET Pour achat, je cherche un magasin de confection. Vous connaissez �a ? SUZANNE QUENTIN Euh... �a d�pend... Pour homme ou pour femme ? GABRIEL FOUQUET Pour fillette. SUZANNE QUENTIN Et ben, vous pourriez aller chez Landru. On l'appelle comme �a � cause de sa barbe et de ses deux femmes qui sont mortes. Elle lui indique le chemin de la main. SUZANNE QUENTIN Vous longez la plage, c'est dans la premi�re rue qui monte. � Au Chic Parisien �. GABRIEL FOUQUET Merci. Gabriel se retourne et reprend sa descente vers la plage. Suzanne le regarde partir avec un air songeur. Elle met les mains dans ses poches et s'�loigne de la rambarde. AU CHIC PARISIEN - EXT�RIEUR JOUR Gros plan sur le haut de la devanture du magasin. En grosses lettres, sur toute la longueur de la devanture, il est �crit � Au Chic Parisien �. En plus petit, � droite, il est �crit : � Frivolit�s �, et � gauche : � Nouveaut�s �. Entre la vitrine et la porte d'entr�e , est accroch�e une enseigne publicitaire du � Journal de Mickey �. Un zoom arri�re nous fait d�couvrir le reste de la devanture. Sur le c�t� droit de la vitrine, un panneau publicitaire des � Laines du Pingouin � voisine avec d'autres panneaux plus petits. En vitrine, un assortiment assez h�t�roclite d'accessoires de plage, de v�tements et autres objets vari�s. Panoramique vers la rue qui remonte de la mer. Gabriel y marche d'un pas d�cid�, venant vers le magasin. Il ouvre la porte, constell�e de cartes postales, que l'on voit � travers la vitre. Sur la partie basse de la porte, o� il n'y a pas de vitre, une gros panneau publicitaire de � Pierrot Gourmand �. AU CHIC PARISIEN - INT�RIEUR JOUR L'int�rieur du magasin a un aspect de � caverne d'Ali Baba �, o� les jouets voisinent avec les v�tements, les cartes postales, les ustensiles de cuisine, des roues de v�lo, des masques de carnaval, un arrosoir... Gabriel entre et referme la porte derri�re lui. On entend des bruits, puis une voix qui dit : LANDRU (voix off) Blanchette... Gabriel fait deux pas dans la boutique. GABRIEL FOUQUET Y a quelqu'un ? Dans un miroir, on voit le propri�taire des lieux qui s'approche, tenant un lapin blanc dans les bras. LANDRU Ma Blanchette, petite coquine ! Hein ? Tu t'es �chapp�e ! � Landru � se dirige vers un grand clapier contenant d'autres lapins. Il est chauve avec une couronne de cheveux sur l'arri�re du cr�ne, et une grande barbe qui le fait, en effet, ressembler vaguement au c�l�bre assassin de femmes. A c�t� du clapier, deux grandes caisses, sur lesquelles sont inscrits, en lettres majuscules : � Mat�riel pour Feux d'Artifice � et � Danger Explosifs �. Et, � c�t�, une malle m�tallique, marqu� � Fougasse Marrons �. LANDRU C'est pas gentil, �a, hein ! Allez, va retrouver tes petits amis. Il va pour d�poser le lapin dans le clapier, lorsqu'il entend Gabriel toussoter derri�re lui. Il se retourne, avec le lapin blanc dans les bras. LANDRU Vous vouliez quelque chose, monsieur ? GABRIEL FOUQUET Je voudrais un v�tement chaud, un pull-over, pour fillette. LANDRU Fillette ?... Il ouvre le clapier, d�pose le lapin � l'int�rieur, referme le clapier et se tourne vers Gabriel. LANDRU Fillette ?... Il y a bien longtemps que je ne fais plus dans la fillette. Quel �ge ? GABRIEL FOUQUET Dix ans. LANDRU Dix ans fort, ou dix ans faible ? GABRIEL FOUQUET Plut�t faible. LANDRU Vous ne dites pas �a pour me faire plaisir ? Il d�place une �chelle. LANDRU Parce que, l�, j'ai peut-�tre votre affaire. Il grimpe sur l'�chelle. Gabriel l�ve les yeux, intrigu� par ce que Landru est en train de d�nicher dans ses r�serves sup�rieures. Landru redescend portant un pull-over de taille enfant sur un cintre. Le pull-over, dont on ne peut d�terminer la couleur (le film est en noir et blanc), est d�cor� d'alignements horizontaux de losanges de couleur sombre, sur un fond clair. Il peut s'ouvrir dans sa partie sup�rieure gr�ce � trois boutons, et il a un petit col de couleur sombre. LANDRU Cher monsieur, nous vous attendions depuis trente ans. Landru s'est arr�t� sur l'un des derniers barreaux de son �chelle. GABRIEL FOUQUET Qui �a, nous ? LANDRU Lui et moi. Il descend les derniers barreaux. LANDRU Regardez-moi �a. Il tend le pull � Gabriel, qui l'examine, pendant que Landru va ranger son �chelle. GABRIEL FOUQUET J'ai peur quand m�me qu'il soit un peu grand. Landru, qui a d�pose son �chelle contre un mur couvert d'�tag�res, se tourne vers lui. LANDRU Ah ! Ah ! J'�tais s�r que vous croiriez �a. Tout le monde croit �a. Vous ne connaissez pas les laines du Queensland ? GABRIEL FOUQUET Non, mais je connais ma fille. LANDRU �coutez-moi bien, monsieur. Non seulement, ce pull-over n'est pas trop grand, mais il ne peut pas l'�tre. Vous ne me demandez pas pourquoi ?.... Parce qu'il a �t� tricot� sur mesure pour une naine. Oui, naturellement, Puppy Schneider, �a ne vous dit rien ? GABRIEL FOUQUET Ma foi non. Landru lui tapote l'�paule, et s'�loigne. Gabriel le suit des yeux. LANDRU Vous �tes trop jeune. Il s'est approch� d'un meuble sur lequel sont pos�s des masques. Sur le mur derri�re le meuble, une s�rie de photos de mode. LANDRU Puppy Schneider... Il n'y en avait que pour elle, dans les mondanit�s des ann�es vingt. Il prend l'un des masques sur le meuble, repr�sentant une jeune femme coiff� d'un �trange chapeau. LANDRU Un millionnaire Am�ricain... Il retourne un autre masque, accroch� sur un poteau vertical, et qui repr�sente un homme avec une grand barbe blanche. LANDRU ... Walter Krutchen, l'avait vue dans un cirque et en �tait tomb� fou. Les grands hommes ont toujours aim� les petites femmes, mais � ce point-l�, avouez que c'est rare. Gabriel l'�coute en souriant, assis sur l'une des caisses d'explosifs. Landru repose le masque sur le meuble, et l'autre masque s'est retourn� tout seul. Il d�signe le pull du doigt. LANDRU C'est lui qui m'avait command� ce pull-over, d'apr�s une maquette de Van Dongen. Il se rapproche de Gabriel. LANDRU La-dessus, le krach de Wall Street, en 29. Le Krutchen s'est suicid�, comme vous et moi. La Puppy est retourn�es � son cirque, et le pull-over m'est rest� sur les bras. Il ricane. LANDRU C'est pour vous dire que ce n'est pas l'acquisition banale... pas le v�tement de tout le monde. Gabriel examine le pull de plus pr�t. GABRIEL FOUQUET Mais vous �tes s�r que Puppy Schneider ne l'a pas port� ? Il tend la main, comme s'il pr�tait serment. LANDRU Jur�. GABRIEL FOUQUET Vous avez beaucoup de choses comme �a, qui datent un peu ? Landru regarde autour de lui avec des yeux un peu inqui�tants. LANDRU Des choses insoup�onnables. Ainsi, devinez un peu sur quoi vous �tes assis. Gabriel se l�ve d'un bond. LANDRU N'ayez pas peur ! Un chat saute sur la caisse d'explosifs que Gabriel vient de quitter, puis dispara�t derri�re la caisse. Landru ricane. LANDRU Le malin !... Encore une commande Walter Krutchen pour l'anniversaire de Puppy. Il prend le bras de Gabriel et l'entra�ne vers le devant de la boutique. LANDRU De quoi illuminer toute une ville. Pschhh !... Cher monsieur, au plaisir. Il passe derri�re sa caisse et prend le pull des mains de Gabriel. LANDRU Et si un jour, vous avez besoin de quoi que ce soit, je dis bien de quoi que ce soit... GABRIEL FOUQUET Je ne commettrai pas la folie de m'adresser ailleurs, soyez-en s�r. Landru emballe le pull. GABRIEL FOUQUET Vous ferez porter ma note � l'h�tel Stella. Landru donne le paquet � Gabriel. LANDRU �a ne presse pas. Gabriel se dirige vers la sortie de la boutique. LANDRU Cher monsieur, au plaisir. Landru suit Gabriel avec un regard un peu inqui�tant. AU CHIC PARISIEN - EXT�RIEUR JOUR Gabriel sort du magasin avec son paquet � la main. Il fait trois pas dans la rue, mais se retourne car la porte du magasin vient de s'ouvrir de nouveau. Landru sort, son chapeau sur la t�te, et ferme la porte � clef. GABRIEL FOUQUET Vous fermez d�j� ? LANDRU Vous m'avez bien dit de porter votre note ? Chose promise, chose due. Il enl�ve son chapeau, et s'�loigne vers le centre ville. Gabriel sourit et s'�loigne lui aussi. UN CHEMIN FORESTIER - EXT�RIEUR JOUR Gabriel marche sur un chemin carrossable, bord� de chaque c�t� par des arbres. Il a toujours ses journaux et le paquet de Landru � la main. Sur la droite de Gabriel, � travers la v�g�tation, on distingue un grand mur de pierre. Gabriel arrive � un grand portail de fer forg� blanc, sur lequel est appos� un �criteau qui indique : � Cours Dillon - Externat Internat �. Il tire sur une corde qui actionne une cloche. Il regarde, � travers les barreaux du portail, un homme qui s'approche de lui en courant. Il s'agit de l'homme au b�ret, qui l'avait, la veille au soir, ramen� � son h�tel. L'homme regarde Gabriel � travers les barreaux du portail. L'HOMME AU B�RET Gabriel !... Ah, �a par exemple ! Qu'est-ce que tu viens glander dans nos confins. Il ouvre la porte. Gabriel entre et regarde l'homme avec surprise. COURS DILLON - PARC - EXT�RIEUR JOUR GABRIEL FOUQUET Nous nous connaissons ? L'HOMME AU B�RET Ben, ma parole, t'�tais encore plus rond que je ne pensais ! Tu te rappelles pas ? C'est moi qui t'ai mis dans le train. GABRIEL FOUQUET Cette nuit ? L'HOMME AU B�RET Oui... GABRIEL FOUQUET Je vois... Bon, et bien, je voudrais pas abuser deux fois de votre obligeance. Il met ses journaux sous son bras et tend le paquet � l'homme. GABRIEL FOUQUET Soyez bien aimable de remettre ce paquet... L'homme �carte les bras pour ne pas toucher au paquet. L'HOMME AU B�RET Ah non, je me ferais engueuler. Tiens, adresse-toi l�-bas. Il lui montre une imposante b�tisse du XVIII� si�cle au bout de l'all�e. Une femme vient vers eux. Gabriel et l'homme marchent � sa rencontre. GABRIEL FOUQUET Pour les histoires de train, j'aimerais pouvoir compter sur la... enfin sur ta discr�tion. Il lui tend un billet, que l'autre ne prend pas. L'HOMME AU B�RET Ah non, mon cochon ! Crois pas t'en tirer comme �a... Il baisse la voix, car la femme est presque arriv�e pr�s d'eux. GABRIEL FOUQUET Tu paieras ta tourn�e ce soir. Il s'�loigne. La femme, qui est l'infirmi�re de l'�cole en g�n�ral, et l'infirmi�re personnelle de la directrice en particulier, et qui se pr�nomme Georgette, toise Gabriel. Elle porte un uniforme de nurse anglaise : grande cape noire et coiffe noire avec voile couvrant toute la chevelure, avec seulement une petite bordure blanche sur le front. GEORGETTE Monsieur, le personnel ne doit accepter aucun pourboire. Que puis-je pour vous ? GABRIEL FOUQUET Si vous voulez bien remettre ce paquet � la petite Marie Fouquet. GEORGETTE Voulez-vous me suivre au parloir. Elle fait demi-tour pour retourner vers le b�timent. Gabriel la suit. COURS DILLON - HALL D'ENTR�E - INT�RIEUR JOUR Hall de dimensions imposantes, avec un grand escalier de bois montant vers les �tages. Un grand lustre en fer forg� pend au milieu du hall. Un groupe de petite filles, portant toutes la m�me blouse grise serr�e � la taille, traverse le hall sous la conduite d'une ma�tresse strictement habill�e et au chignon impeccable. Elles montent l'escalier. Une grande porte vitr�e, � l'extr�mit� du hall, s'ouvre, laissant entrer Georgette, suivie de Gabriel. GEORGETTE Entrez. Elle referme la porte derri�re Gabriel et traverse le hall, suivie par Gabriel. GEORGETTE Je crois que votre visite fera plaisir � tout le monde. Nous commencions � craindre que cette petite Fouquet soit compl�tement oubli�e. Vous permettez ? Elle s'arr�te au milieu du hall, lui prend le paquet des mains, et reprend son chemin. GEORGETTE Nous v�rifions tous les colis destin�s aux pensionnaires. V�rification symbolique, bien s�r. Elle monte l'escalier d'un pas rapide, puis s'arr�te net au bout de cinq ou six marches. Elle se retourne et regarde Gabriel qui est rest� debout au milieu du hall. GEORGETTE C'est dr�le, je vous voyais plus �g�. Marie a de la chance d'avoir un papa aussi jeune. GABRIEL FOUQUET Oui, mais je ne suis pas son p�re. Je suis un cousin... cousin �loign�. GEORGETTE Ah !... Tant pis, je vais quand m�me la chercher. Si vous voulez bien attendre. Elle fait deux pas dans l'escalier GABRIEL FOUQUET Non... La femme s'arr�te et se retourne de nouveau vers Gabriel. GABRIEL FOUQUET Je voudrais pas la d�ranger dans son travail. GEORGETTE �a lui arrive si rarement. Une voix, provenant d'une pi�ce donnant sur le hall, appelle : MADAME VICTORIA (voix off) Georgette ! Georgette se retourne vers l'endroit d'o� provient la voix. Plan rapproch� sur une double porte battante donnant sur le hall. MADAME VICTORIA (voix off) What's happening ? I don't want to be disturbed. I am working. (Traduction : Que se passe-t-il ? Je ne veux pas �tre d�rang�e. Je travaille.) Retour sur Georgette, toujours debout sur les marches de l'escalier, le paquet de Gabriel � la main. Elle se penche vers le hall. GEORGETTE Nothing at all, madam ! (Traduction : Rien du tout, madame.) Elle chuchote en direction de Gabriel. GEORGETTE C'est madame la directrice. Gabriel, toujours debout au milieu du hall, la regarde et chuchote, lui aussi : GABRIEL FOUQUET Je ne savais pas qu'elle �tait anglaise. Sans bouger de l'escalier, Georgette lui r�pond, toujours en chuchotant. GEORGETTE Elle ne l'est pas : elle fait semblant. Elle redescend vers Gabriel. GEORGETTE Il y a dix ans, elle s'est mis dans la t�te de parler anglais. Elle a rejoint Gabriel, � qui elle parle � voix basse. GEORGETTE Sans doute pour faire bien, pour �pater les parents d'�l�ve. Le plus beau, c'est qu'il a fallu que je m'y mette aussi, sans �a, o� est-ce qu'on allait. Les questions �taient anglaises et mes r�ponses fran�aises. GABRIEL FOUQUET C'est ce qui a perdu Jeanne d'Arc. GEORGETTE Ah oui, s�rement... Si je vous disais, monsieur, que j'ai soign�, pendant dix ans, le G�n�ral Marvier, h�ros du Bec d'Amb�s. J'ai ferm� les yeux d'un s�nateur-maire de la C�te d'Or, mon d�vouement a permis � la grande Magda Golovina de remonter sur sc�ne. Elle pointe son doigt sur la poitrine de Gabriel. GEORGETTE Et bien, monsieur, j'affirme que je n'ai jamais pay� de ma personne comme aupr�s de Madame Victoria... Jamais ! Les deux battants de la porte s'ouvrent devant un fauteuil roulant, sur lequel la directrice est assise. Elle est habill�e tout de noir, et ressemble un peu � une vieille dame anglaise dans le style de la Miss Marple d'Agatha Christie. MADAME VICTORIA What are you doing ? Speaking alone ?... (Traduction : Qu'est-ce que vous faites ? Vous parlez toute seule ?) GABRIEL FOUQUET Madame... La directrice se tourne vers lui et le toise d'un regard peu aimable. GEORGETTE This gentleman is a relative of Marie Fouquet. (Traduction : Ce monsieur est un parent de Marie Fouquet.) La directrice se retourne vers Georgette. MADAME VICTORIA Well... What are you waiting for ? Go and fetch the girl. (Traduction : Et bien... Qu'est-ce que vous attendez ? Allez chercher la fillette.) Georgette contourne la chaise roulante et monte l'escalier, le paquet de Gabriel dans les mains. Tout en montant, elle se tourne vers Gabriel. GEORGETTE Je vous demande deux minutes. La directrice retourne son fauteuil roulant vers la double porte battante, qui s'ouvre sous la pouss�e du fauteuil. Gabriel la regarde sortir. Il semble songeur. Il fait quelques pas dans le hall. Il s'approche d'une grande baie vitr�e et regarde dans le parc. Puis, apr�s quelques instants de r�flexion, il prend une d�cision soudaine et se dirige, � grandes enjamb�es, vers la porte du hall. Il ouvre la porte, sort dehors, et referme la porte derri�re lui. Contrechamp en contre-plong�e vers la galerie du premier �tage. Marie Fouquet, en blouse d'uniforme, et un grand sourire aux l�vres, court sur la galerie, puis descend l'escalier quatre � quatre. Elle porte, sur son bras, le pull que son p�re lui a offert. Elle s'arr�te au bout de quelques marches, et inspecte le hall. Le hall, vu en plong�e, est totalement vide. Marie, toujours debout sur une marche, semble tr�s triste. On sent que ses larmes sont pr�tes � sortir. Elle se retourne et remonte lentement l'escalier. HOTEL STELLA - CAVE - INT�RIEUR NUIT La cave est plus propre, plus lumineuse, et mieux rang�e que pendant la guerre. Les �tag�res son pleines de bouteilles. Suzanne et Albert sont en train d'inspecter les bouteilles, chacun sur une �tag�re diff�rente. Ils sont dos � dos. Albert porte un tablier et a un crayon et un carnet en main. ALBERT QUENTIN Je sais pas ce qu'ils ont, mais ils se sont tous jet�s sur le Bordeaux, cette ann�e. Fais-moi donc penser � t�l�phoner � Courtine. Suzanne se retourne avec une bouteille en main. Elle a une lueur inqui�te dans le regard. SUZANNE QUENTIN Albert... ALBERT QUENTIN Hmm... Elle marque un l�ger temps avant de continuer. SUZANNE QUENTIN ... je voudrais pas que tu prennes �a mal, mais tu sais, � force de vivre ensemble... je sais pas, moi, mais... on finit par deviner certaines choses, par sentir euh... Elle va pour remettre la bouteille sur l'�tag�re. ALBERT QUENTIN Sentir quoi ? Elle se retourne, toujours la bouteille en main. SUZANNE QUENTIN Oh... Rien de pr�cis, c'est seulement une id�e... Mais depuis quatre jours, j'ai l'impression que t'es plus tout � fait le m�me. Depuis que monsieur Fouquet est l�, tu te rends pas compte, mais... Albert, qui partait avec un cageot de bouteilles dans les mains, se retourne vers sa femme. Il a mis le crayon et le carnet dans la poche pectorale de sa chemise. ALBERT QUENTIN Ah !... Il pose le cageot sur un autre cageot. ALBERT QUENTIN Nous y voil�. Ma bonne Suzanne, tu viens de commettre ton premier faux pas. Y a des femmes qui r�v�lent � leur mari toute une vie d'infid�lit�, mais toi, tu viens de m'avouer quinze ann�es de soup�ons, c'est pire. Il reprend son cageot et traverse la cave. ALBERT QUENTIN Note bien que tu as peut-�tre raison. Il pose le cageot un peu plus loin. Suzanne l'a suivi. ALBERT QUENTIN Qui a bu boira. �a, faut reconna�tre qu'on a le proverbe contre nous. Rassure-toi,va, je plaisante. Il ricane. Mais Suzanne garde un visage ferm� et l�g�rement inquiet. ALBERT QUENTIN Qu'est-ce que tu veux qu'il m'arrive ? J'ai une femme qui veille sur moi, un m�tier qui m'occupe, et des bonbons pour me distraire, alors... Il s'�loigne d'elle. ALBERT QUENTIN D'ailleurs, je vais peut-�tre les supprimer, les bonbons. SUZANNE QUENTIN Pourquoi ? Quand une habitude n'est pas mauvaise... Elle suit Albert � travers la cave, et pose, au passage, la bouteille, qu'elle tenait en main, dans un cageot. Albert arrive au pied de l'escalier. ALBERT QUENTIN Oh, y a pas de bonnes habitudes. L'habitude, c'est une fa�on de mourir sur place. Il monte l'escalier, Suzanne le suit. HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR NUIT Gabriel, en costume et cravate, parle au t�l�phone, debout et accoud� sur le comptoir de r�ception. GABRIEL FOUQUET Projet de sketch pour une publicit� jumel�e... sous- v�tements et lessive. Bon, vous y �tes ?... Il lit un papier qu'il a pos� sur le comptoir. GABRIEL FOUQUET En sc�ne, Richelieu... Derri�re lui, Albert et Suzanne entre par la porte de la cave. Albert porte toujours son tablier. GABRIEL FOUQUET Ben oui, �videmment, le Cardinal !... Il �coute les propos d'un capucin barbu qui lui parle � l'oreille. Soudain jaillit des coulisse un athl�te, v�tu d'un slip immacul�. Albert et Suzanne passe derri�re lui, se dirigeant vers la salle � manger. Albert enl�ve son tablier, et Suzanne regarde Gabriel, un peu �tonn�e par ses propos surprenants. GABRIEL FOUQUET Il renvoie d'un geste son conseiller, et d�signe l'athl�te au public en d�clarant : � Je croyais que mon �minence �tait grise, mais le sien a la blancheur Persil �... HOTEL STELLA - SALLE � MANGER - INT�RIEUR NUIT Albert et Suzanne se sont install�s � leur table, pr�s des chambres froides. Sur la table tr�ne une soupi�re et, � c�t� de la soupi�re, une bouteille de Vittel. Albert pousse la soupi�re vers Suzanne. GABRIEL FOUQUET (voix off) Oui, �videmment, �a manque un peu de femmes, mais enfin, on verra, hein. Pendant que Suzanne se sert de la soupe, Albert regarde en direction de Gabriel. Contrechamp sur Gabriel, toujours accoud� au comptoir de r�ception, et vu � travers la porte ouverte de la salle � manger. GABRIEL FOUQUET Bon. Deuxi�me projet. P�tes Lustucru � traiter en dessin anim�. Un chat tente de s'introduire dans une marmite pleine de spaghettis. Albert regarde toujours Gabriel, puis il tourne la t�te vers Suzanne qui se sert de la soupe. GABRIEL FOUQUET (voix off) Surgit le p�re Lustucru, arm� d'une louche. Dialogue. Nouveau contrechamp sur Gabriel, vu � travers la porte de la salle � manger. Il a maintenant pris son papier en main, et continue � le lire. GABRIEL FOUQUET Le p�re Lustucru : � A bas les pattes ! � Le chat, avec un grand sourire... Retour sur Suzanne qui se sert de la soupe, et Albert, qui regarde Gabriel. GABRIEL FOUQUET (voix off) ... � A bas les pattes, sauf les p�tes Lustucru. � Je compte sur vous pour fignoler les voix, un peu d�timbr�e pour Lustucru... Contrechamp sur Gabriel. GABRIEL FOUQUET ... avec beaucoup d'�cho... C'est �a, au revoir. Il raccroche le t�l�phone, puis entre dans la salle � manger, et se dirige vers sa table. Il n'y a d'ailleurs que deux tables dress�es dans la salle, chacune � une extr�mit� de la salle. Celle de Gabriel, pr�s de la fen�tre, et celle des patrons, pr�s des chambres froides. Toutes les autres tables sont vides et n'ont m�me pas de nappe. Gabriel s'assoit � table et d�plie sa serviette. Sur sa table, � c�t� de son couvert, une bouteille de vin. Marie-Jo arrive de la cuisine, portant une soupi�re, qu'elle pose sur la table de Gabriel. Elle s'�loigne et Gabriel se sert de la soupe. Contrechamp sur la table d'Albert et Suzanne, qui mangent leur soupe. SUZANNE QUENTIN C'est quand m�me triste un jeune homme seul devant sa soupe. ALBERT QUENTIN Bien s�r que c'est triste. Seulement, si je l'invite, tu diras encore que je manigance des trucs. SUZANNE QUENTIN Ne parlons plus de �a, va. Elle rel�ve la t�te et appelle. SUZANNE QUENTIN Monsieur Fouquet !... Nous n'aurons plus de client � cette heure-l�, si �a vous ennuie pas de venir � notre table. Gabriel regarde Suzanne, puis il se l�ve et prend sa bouteille de vin. GABRIEL FOUQUET Avec plaisir, ch�re madame. Il traverse la salle, prend une chaise au passage, et l'installe en face d'Albert et Suzanne. Il montre la bouteille qu'il tient � la main. GABRIEL FOUQUET Vous permettez ? Il s'assoit et Albert se l�ve. ALBERT QUENTIN Ah non. H�, vous �tes notre invit�, hein. Il prend la bouteille de Gabriel et se dirige vers la cuisine. ALBERT QUENTIN Marie-Jo, mettez donc un couvert � monsieur Fouquet, l�. Il dispara�t dans la cuisine. Marie-Jo, qui faisait la plonge, se dirige vers la salle. Gabriel se penche vers Suzanne. GABRIEL FOUQUET Alors, quand on veut conjurer le diable, on l'invite � sa table. SUZANNE QUENTIN Je ne vois pas ce que vous voulez dire, monsieur Fouquet. Albert sort de la cuisine, une bonne bouteille � la main. ALBERT QUENTIN Tenez, vous allez me go�ter �a. Il pose la bouteille sur la table. ALBERT QUENTIN Ma femme vous tiendra compagnie. Il s'assoit � table. ALBERT QUENTIN Marie-Jo ! MARIE-JO (voix off en provenance de la cuisine) Oui, monsieur. ALBERT QUENTIN Venez donc ouvrir la bouteille, l�. Il prend la bouteille d'eau min�rale et s'en sert un verre, sous le regard un peu absent de sa femme, qui gratte inconsciemment la nappe. Fondu encha�n�. TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR JOUR Mar�e basse. Plan moyen sur une vieille femme qui, en bordure de mer, est en train de ramasser des coquillages dans le sable. Elle les d�pose dans un cageot. A c�t� d'elle, une vieille poussette de b�b�, qui lui sert � transporter son cageot. Panoramique sur la plage, o� deux autres personnes ramassent aussi des coquillages. Il s'agit d'Albert et Gabriel. Plan moyen sur eux deux. Gabriel, v�tu d'un blouson de cuir avec col de mouton, a les deux pieds dans l'eau, et un grand panier plat � la main. Albert, lui, est v�tu d'une canadienne � col de fourrure. Il est sur le sable sec et creuse le sable avec ses mains pour en extraire les coquillages. Gabriel revient vers Albert. GABRIEL FOUQUET Que ce soit la r�volution ou la paella, dites-vous bien que rien de ce qui est Espagnol n'est simple. Il est arriv� pr�s d'Albert, qui se rel�ve. Il lui montre son panier. Albert ramasse son propre panier et ils se mettent en marche c�te � c�te sur la plage. GABRIEL FOUQUET Une paella sans coquillage, c'est un gigot sans ail, un escroc sans rosette, quelque chose qui d�plait � Dieu. Au temps de mes amours, je confectionnais la paella comme personne. Claire me reconnaissait ce talent. J'esp�re que mes d�boires ne m'auront pas g�t� la main. ALBERT QUENTIN Pourquoi buvez-vous ? GABRIEL FOUQUET La question m'a d�j� �t� pos�e, monsieur le Proviseur. ALBERT QUENTIN Probablement par des gens qui vous aiment bien. GABRIEL FOUQUET Probablement. Claire me la posait trois fois par semaine, elle devait m'adorer. Je croyais que vous �tiez un homme ennemi des questions. Ils croisent la vieille femme, qui tra�ne sa poussette sur la plage. Albert s'arr�te de marcher. ALBERT QUENTIN C'est exact, je pr�f�re les r�ponses. Ils sont arriv�s devant un endroit o� de nombreux petits piquets sont plant�s dans le sable. Il s'agit de � bouchots �, qui sont d�couverts seulement � mar�e basse, et sur lesquels s'accrochent les moules. GABRIEL FOUQUET C'est curieux, Claire aussi. � Gabriel, m'aimez-vous ? � � Gabriel, pourquoi buvez-vous ? � �Croyez-vous que ce soit raisonnable de vous mettre dans cet �tat-l� ? � Sous pr�texte de vous emp�cher de boire, leur r�ve, ce serait de nous mettre en bouteille. Il s'avance entre les bouchots. ALBERT QUENTIN Ohh... je crois simplement qu'elles ont la trouille. GABRIEL FOUQUET La trouille de quoi ? J'ai jamais eu le vin mauvais, plut�t affectueux, m�me grotesque. Il pose son panier par terre. GABRIEL FOUQUET J'avais, en tout cas, le charme de l'impr�vu. ALBERT QUENTIN Oh la-la ! Alors, l�, vous �tes compl�tement � c�t�, elles aiment les valeurs s�res. Lui aussi pose son panier au milieu des bouchots. Il ramasse des moules coll�es sur les bouchots et les jette dans son panier. ALBERT QUENTIN Attendre un homme et en voir arriver un autre, elles ont horreur de �a, d'autant plus que la surprise est rarement bonne, faut �tre juste. Non, croyez-moi, allez, j'ai des souvenirs sur la question. Je la vois d'ici, votre Claire, avec vos trente-six mani�res d'arriver saoul. Vous avez d� lui foutre le vertige. Gabriel, lui aussi, ramasse des moules sur les bouchots, et les jette dans son panier. GABRIEL FOUQUET Possible. ALBERT QUENTIN Ben, c'est certain. Notez bien que tout �a ne me regarde pas. J'ai peut-�tre un peu us� de mon droit d'anciennet�. GABRIEL FOUQUET Y a pas de mal, j'ai toujours fait plus jeune que mon �ge. N'emp�che que j'ai une fille de dix ans. ALBERT QUENTIN Alors, l�, vous �tes con. GABRIEL FOUQUET Cette fois, vous abusez. ALBERT QUENTIN Quand on a un enfant, y a des choses qu'on n'a pas le droit de faire. Comment s'appelle-t-elle ? Gabriel ramasse son panier et se rapproche d'Albert GABRIEL FOUQUET Marie. J'�tais venu ici pour la chercher, et puis... Il fait un geste vague de la main. Albert ramasse son panier. Ils sortent tous deux du parc � bouchots et se remettent en marche sur la plage. GABRIEL FOUQUET Elle est pensionnaire au cours Dillon. Dites-moi, monsieur Quentin, puisqu'on en �tait aux indiscr�tions, lorsque vous �tiez en Chine, vous fumiez l'opium ? ALBERT QUENTIN Ohhh... Y a rien d'indiscret. Oui, �a m'est arriv�, � Shangha�, � Hong-Kong... Mais rien de bien extraordinaire. On r�vassait. GABRIEL FOUQUET Vous n'aimiez pas r�ver ? Albert s'arr�te de marcher. Gabriel aussi. ALBERT QUENTIN Ben, �a d�pend de la qualit� des choses. L�, c'�tait des r�ves de fusilier-marin. L'amiral Gu�pratte m'embrassait sur l'oreille, ou bien le th� avait un go�t d'anisette. Des petits d�lires grisants, sans plus. GABRIEL FOUQUET Et maintenant ? ALBERT QUENTIN Maintenant, il m'arrive de r�ver que je fume, �a doit �tre le retour d'�ge. On entend des cris d'enfants dans le lointain. Les deux hommes tournent la t�te vers ces rires. ALBERT QUENTIN Tiens ! Voil� le cours Dillon. Contrechamp en plan g�n�ral sur la plage. On voit arriver le groupe de fillettes, toutes v�tues du m�me manteau de couleur sombre, des m�mes chaussettes blanches, et de la m�me jupe �cossaise. Derri�re elles, une rang�e de belles maisons normandes en bordure de plage. Elles sont men�e par une ma�tresse en manteau gris. Albert r�cup�re le panier de Gabriel. ALBERT QUENTIN Allez, je vous laisse en famille. Il s'�loigne. Gabriel fait quelques pas vers la mer. Il prend une petite flasque vide dans la poche arri�re de son pantalon. GABRIEL FOUQUET Et une bouteille � la mer ! Il lance la flasque dans l'eau. ALBERT QUENTIN Vous verrez, monsieur Fouquet, un jour, vous finirez par r�ver que vous buvez. Il se retourne et s'�loigne, avec un panier dans chaque main. Un peu plus loin sur la plage, le groupe de fillettes est en train de jouer pr�s d'un blockhaus. Deux petites filles se d�tachent du groupe, l'une courant apr�s l'autre. Celle de derri�re finit par rattraper celle de devant, qui n'est autre que Marie, la fille de Gabriel, et la plaque dans le sable. Les deux filles commencent � se battre. La ma�tresse se d�tache du groupe et vient vers elles. LA MA�TRESSE Marie Fouquet, assez ! Les deux filles arr�tent de se battre, se rel�vent et se dirigent vers la ma�tresse. LA MA�TRESSE Voulez-vous venir ici tout de suite ! Qu'est-ce que c'est que ces mani�res ? Jouez par ici. Gabriel arrive en courant, mais trop tard : les deux filles ont d�j� rejoint la ma�tresse. Il contourne le blockhaus. TIGREVILLE - BLOCKHAUS SUR LA PLAGE - INT�RIEUR JOUR Gabriel entre dans le blockhaus par une ouverture irr�guli�re, probablement faite par un explosif. Derri�re lui, par l'ouverture, on aper�oit les fillettes qui continuent � jouer. Gabriel se cache derri�re l'un des pans de mur d�chiquet�s, qui bordent l'entr�e, et ce afin de ne pas �tre vu par les fillettes. Les filles se rassemblent un cours instant autour de la ma�tresse, qui dit : LA MA�TRESSE C'est parti ! Puis les filles s'�parpillent comme une vol�e de moineaux, accompagn�es de la ma�tresse. Seule Marie reste au milieu de la plage, les yeux ferm�s. Deux filles courent vers le blockhaus. Gabriel s'enfonce vers l'int�rieur du blockhaus, puis il se cache derri�re un pan de mur. Les deux filles entrent et se cachent chacune d'un c�t� de l'entr�e. MARIE FOUQUET Deux, trois, quatre, cinq ! �a y est ! Elle ouvre les yeux et se retourne. La ma�tresse vient vers elle, d�plie un si�ge pliant, et s'assoit dessus. Marie court vers le blockhaus, et lorsqu'elle arrive devant, elle s'arr�te et met ses mains en porte-voix. MARIE FOUQUET D�fense de se cacher dans le blockhaus ! Puis elle part en courant sur la gauche. PREMI�RE FILLETTE Tu parles d'une andouille. Plan rapproch� sur le visage de Gabriel, qui sort pr�cautionneusement de sa cachette. DEUXI�ME FILLETTE (voix off) La prochaine fois, on a qu'� la semer en route. PREMI�RE FILLETTE (voix off) Laisse-la faire, �a lui fera les pieds... Allez, on y va ? DEUXI�ME FILLETTE (voix off) Et si elle est encore l� ? Retour sur les deux fillettes. PREMI�RE FILLETTE On dira qu'elle triche, �a la fera pleurer. Elles se faufilent lestement en dehors du blockhaus. La ma�tresse, absorb�e par la lecture d'un livre, ne semble pas s'apercevoir de leur pr�sence. Gabriel sort lentement de sa cachette. Il regarde vers la mer avec de la tristesse dans les yeux. Fondu enchain�. HOTEL STELLA - SALLE � MANGER - INT�RIEUR NUIT Toutes la salle � manger � �t� nettoy�e et rang�e. Toutes les chaises sont pos�es � l'envers sur les tables. Seule, la grande table ronde au fond de la salle, pr�s des chambres froides, est dress�e. Albert, Suzanne et Gabriel sont en train de terminer la paella pr�par�e par Gabriel. Albert chante. ALBERT QUENTIN On l'appelait le D�nicheur ! Il �tait rus� comme une fouine. C'�tait un gars qu'avait pas peur, et qui connaissait les combines. Le soir, sur les boul' ext�rieurs, quand on voyait passer sa dame, on s'�criait sur toutes les gammes : � �a, ben, c'est la femme � D�nicheur �. Il s'arr�te de chanter. ALBERT QUENTIN Ah, dans ce temps-l�, hein... SUZANNE QUENTIN ... on savait faire les chansons. Elle semble l�g�rement � pompette � ! A c�t� d'elle, une bouteille de vin dans un seau � glace. ALBERT QUENTIN H� oui ! Marie-Jo passe derri�re Suzanne, et ramasse la grande sauteuse, qui contenait la paella. SUZANNE QUENTIN Monsieur Fouquet, votre paella est une splendeur. Ah, celle qui vous �pousera aura de la chance. Elle finit son verre de vin. GABRIEL FOUQUET Je crains, malheureusement, ch�re madame, qu'on ne s'attache pas une femme avec des vertus culinaires... Il prend la bouteille dans le seau et ressert Suzanne. GABRIEL FOUQUET ... avec des vertus d'aucune sorte, d'ailleurs. SUZANNE QUENTIN Moi, je dis qu'on peut tr�s bien appr�cier les hommages d�pos�s dans un plat. Gabriel se sert � son tour. Suzanne se tourne vers son mari. SUZANNE QUENTIN Si Albert avait daign� un jour faire la cuisine pour moi toute seule, j'aurais consid�r� �a comme un madrigal. Gabriel repose la bouteille dans le seau. Suzanne porte son verre � ses l�vres. SUZANNE QUENTIN Mais il m'a jamais offert m�me une omelette. Elle boit. Gabriel la regarde en souriant. ALBERT QUENTIN Ben, qu'est-ce que tu racontes ? D'octobre en avril, on est � peu pr�s seuls. Alors, tu peux consid�rer que, pendant six mois de l'ann�e, je ne fais la tambouille que pour te rendre hommage ? Suzanne le regarde avec le sourire un peu niais de quelqu'un qui a un peu trop bu. Gabriel boit lentement son verre. SUZANNE QUENTIN C'est vrai. Elle se tourne vers Gabriel. SUZANNE QUENTIN Au fond, c'est beau. Monsieur Fouquet ?... Vous connaissez La Bourboule ? Gabriel baisse son verre en souriant. GABRIEL FOUQUET Ma foi, non. SUZANNE QUENTIN Et ben, vous avez tort. C'est l� que j'ai connu Albert. Il �tait en permission lib�rable. Il portait un blazer � rayures, et un canotier... avec ruban assorti. Bel homme, et il le savait. Marie-Jo vient d�barrasser les assiettes. SUZANNE QUENTIN C'�tait le d�but de la Biguine. Tu te rappelles le disque de Dranem ? Elle se met � chanter en tapotant sur la table. Gabriel sourit. SUZANNE QUENTIN C'est la biguine, il n'y a rien de plus coquin. ALBERT QUENTIN Suzanne ! Il semble un peu g�n�. SUZANNE QUENTIN Oh pourquoi ! Y a pas de mal. On est que tous les trois. C'�tait en juillet, y avait des mimosas. Tu portais des bottines de toile. Je m'en rappelle comme si c'�tait hier. Elle se tourne vers Gabriel. SUZANNE QUENTIN Vous voyez, moi, j'aurais bien aim� une auberge dans le midi, mais Albert a pas voulu. Il a voulu qu'on s'installe ici � cause du mauvais temps, pour qu'il y ait moins de monde, vous voyez ce que c'est que la s�duction. C'est dr�le que vous ne connaissiez pas La Bourboule, un homme comme vous. Elle ricane niaisement et reprend une gorg�e de son verre. Albert s'adresse � Gabriel avec un petit sourire en coin. ALBERT QUENTIN Et bien, vous voyez, elle, �a la conduit � La Bourboule ! SUZANNE QUENTIN Tenez, on est entre nous... Voulez-vous que je vous dise ?... ALBERT QUENTIN Mais enfin, Suzanne, notre voyage de noces n'int�resse pas monsieur Fouquet. SUZANNE QUENTIN Vous n'aimez pas les voyages ? Albert est imbattable l�- dessus. Si je vous disais qu'il connait les horaires de tous les trains d'Europe, m�me les horaires de correspondance. Albert pose sa serviette et se l�ve. ALBERT QUENTIN Oh, ben �coute, arr�te... Oh, arr�te ! SUZANNE QUENTIN Oh, Albert, sois gentil, montre tes horaires � monsieur Fouquet. Marie-Jo vient d�poser une corbeille de fruits sur la table. Albert ouvre un tiroir du buffet situ� � c�t� de la table. ALBERT QUENTIN Mais �a ne l'int�resse pas. GABRIEL FOUQUET Mais si, voyons, au contraire. Albert sort une boite de cigare du tiroir. SUZANNE QUENTIN Ah, tu vois ! M�me pour les petits d�placements, c'est pareil. Elle se l�ve et se dirige vers un buffet situ� de l'autre c�t� de la table. Albert tend la boite de cigares � Gabriel, qui en prend un. Gabriel �coute le babillage de Suzanne tout en regardant Albert avec une lueur amus�e dans les yeux. SUZANNE QUENTIN (voix off) Tenez, il doit partir demain soir pour Blangy. Et ben, il a d�j� en poche son aller et retour... Elle fouille dans le tiroir du buffet. SUZANNE QUENTIN ... sa correspondance, sa chambre d'h�tel retenue, tout. C'est pas quelque chose, �a ? Elle sort du tiroir un gros classeur, referme le tiroir et revient vers la table sur laquelle elle pose le classeur, puis elle s'assoit. Gabriel, le visage soudain un peu grave, tripote son cigare sans l'allumer. GABRIEL FOUQUET Je ne savais pas que vous partiez. Albert s'assoit et prend un cigare dans la boite. ALBERT QUENTIN Oh, pour deux jours. Tous les ans, � la Toussaint, je vais sur la tombe de mon p�re en Picardie. Mais vous serez surement encore l� � mon retour ? Il regarde Gabriel qui ne lui r�pond pas, puis qui se l�ve. Suzanne, elle, est en train de sortir les livres d'horaires de train du classeur. GABRIEL FOUQUET Bon, ben, je vous souhaite un bon voyage, monsieur Quentin. SUZANNE QUENTIN Vous nous quittez d�j� ? GABRIEL FOUQUET Oui, je vais me d�gourdir un peu les jambes avant de monter. Il met le cigare dans la poche de sa veste sur le porte-manteau, puis d�croche la veste. ALBERT QUENTIN Et bien, vous ne savez pas ce que vous perdez, parce que je vous avais mis de c�t� un vieux calva de trente ans. Gabriel enfile sa veste et noue son cache-nez. GABRIEL FOUQUET Je veux pas vous retarder. Demain, c'est dimanche, vous partez le soir, vous aurez une journ�e charg�e. Merci pour cette excellente soir�e. SUZANNE QUENTIN Oh, c'�tait tout simple. GABRIEL FOUQUET Mais familial. Il s'�loigne dans le vestibule vers la porte de l'h�tel SUZANNE QUENTIN Tu lui offres du calva, c'est malin ! Heureusement qu'il est raisonnable. On entend la porte d'entr�e qui se ferme. Albert se l�ve, le cigare au bec, et se dirige vers la baie vitr�e qui donne sur la rue. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Plan rapproch�e sur les vitres de l'h�tel. On voit Albert, le cigare au bec, qui regarde la rue par-dessus les rideaux. Contrechamp sur Gabriel qui se dirige vers le Caf� Normand, mais qui passe devant sans s'arr�ter. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT Albert allume la lumi�re et entre dans la chambre. Suzanne le suit et referme la porte. Albert sort un bonbon de sa poche, le sort de son emballage et s'approche de la fen�tre entr'ouverte. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Plan rapproch� sur la fen�tre d'Albert qui met le bonbon dans sa bouche et s'appuie sur la rambarde pour regarder dans la rue d'un air pensif. Derri�re lui, Suzanne pr�pare le lit. SUZANNE QUENTIN Tout de m�me, quand je pense, du calva... Avoue que c'est une trouvaille ! C'est simple, t'aurais voulu le faire boire, tu t'y serais pas pris autrement. ALBERT QUENTIN Si. J'aurais bu avec lui. Suzanne se retourne vers son mari. Contrechamp de la rue vue de la fen�tre d'Albert. Gabriel revient de sa � promenade � et pose la main sur la poign�e de la porte du Caf� Normand. Il s'arr�te et regarde vers la fen�tre d'Albert. Il fait quelques pas dans la rue, et fait un grand salut � Albert. Puis il retourne vers l'entr�e du caf�, ouvre la porte et entre dans l'�tablissement. Retour sur Albert, qui regarde toujours dans la rue, accoud� � la rambarde de la fen�tre. SUZANNE QUENTIN Albert, tu parlais pas s�rieusement ? ALBERT QUENTIN Tu crois pas que tu ferais mieux de te coucher. Il crache son bonbon dans la rue. SUZANNE QUENTIN R�ponds-moi d'abord. Il ferme la fen�tre. HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT Albert finit de fermer la fen�tre, et se tourne vers sa femme. ALBERT QUENTIN �coute, ma bonne Suzanne, t'es une �pouse mod�le. SUZANNE QUENTIN Oh !... ALBERT QUENTIN Mais si, t'as que des qualit�s, et physiquement, t'es rest�e comme je pouvais l'esp�rer. C'est le bonheur rang� dans une armoire. Et tu vois, m�me si c'�tait � refaire, et bien je crois que je t'�pouserais de nouveau. Mais tu m'emmerdes. SUZANNE QUENTIN Albert ! ALBERT QUENTIN Tu m'emmerdes gentiment, affectueusement, avec amour, mais tu m'emmerdes ! Il s'�loigne un peu d'elle, dont on voit le visage contrari� dans le miroir. ALBERT QUENTIN J'ai pas encore les pieds dans le trou, mais �a vient, Bon Dieu, tu te rends pas compte que �a vient. Et plus �a vient, plus je m'aper�ois que j'ai pas eu ma ration d'impr�vu, et j'en redemande ! T'entends, j'en redemande. Il s'est un peu �nerv� au fur et � mesure qu'il parlait. SUZANNE QUENTIN L'impr�vu ? Qu'est-ce que �a veut dire ? Albert lui r�pond d'une voix plus calme. ALBERT QUENTIN Oh ! Rien, c'est des id�es d'un autre monde. Et puis, ne parlons plus de �a, va. Il se rapproche d'elle. SUZANNE QUENTIN Parce que, tu sais, si �a te manquait vraiment, si t'y pensais trop, tu pourrais... je sais pas, moi... reprendre un peu de vin au repas... un demi-verre. ALBERT QUENTIN Un demi-verre ? Dis-toi bien que si quelque chose devait me manquer, ce serait plus le vin, ce serait l'ivresse ! Il s'�loigne de Suzanne, qui ne bouge pas et reste tr�s pensive. Fondu au noir. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR JOUR Deux touristes allemands sortent des bagages du coffre avant de leur voiture : une Coccinelle Volkswagen, dont le moteur, lui, est situ� � l'arri�re. L'homme parle en allemand � sa femme. Il referme le coffre, prend les valises et se dirige vers l'entr�e de l'h�tel. Derri�re eux, est gar�e une grosse voiture am�ricaine noire. HOTEL STELLA - SALLE � MANGER - INT�RIEUR JOUR Par la porte ouverte entre la salle � manger et le vestibule, on voit Marie-Jo, qui se dirige vers le couple de touristes allemands, qui vient d'entrer. Elle prend les valises des mains de l'homme. Le couple entre dans la salle � manger, dont presque toutes les tables sont occup�es. Albert, portant un tablier blanc, est occup� � servir des clients. Il se redresse vers les nouveaux arrivants. ALBERT QUENTIN Messieurs-dames. Germaine ! Il vient de se tourner vers une serveuse habill�e de noir et portant un tablier blanc. Il s'agit d'une serveuse qui ne vient travailler � l'h�tel que lorsque l'affluence le n�cessite. Germaine entra�ne le couple allemand vers une table libre. Albert se tourne vers Suzanne, qui vient d'entrer, un calepin � la main, et d�signe une table libre, sur laquelle est install�e un service de petit-d�jeuner, qui n'a pas �t� touch�. ALBERT QUENTIN Tiens, Suzanne, d�barrasse-moi �a. SUZANNE QUENTIN Mais c'est le petit-d�jeuner de monsieur Fouquet. ALBERT QUENTIN Oui, et ben, � cette heure-l�, une aspirine lui suffira. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR JOUR L'homme au b�ret, l'habitu� de chez Esnault, qui travaille au Cours Dillon, court dans la rue et entre pr�cipitamment dans l'h�tel. HOTEL STELLA - SALLE � MANGER - INT�RIEUR JOUR L'homme au b�ret entre dans la salle, et regarde autour de lui. Il avise Suzanne et se tourne vers elle. L'HOMME AU B�RET Albert est l� ? SUZANNE QUENTIN Il est � la cuisine. L'homme se pr�cipite vers la cuisine. HOTEL STELLA - CUISINE - INT�RIEUR JOUR Albert a ouvert le four et est en train de surveiller un plat qui cuit � l'int�rieur. L'homme au b�ret entre pr�cipitamment. L'HOMME AU B�RET Quentin ! Y a ton Espagnol qu'est au carrefour. ALBERT QUENTIN Mais alors ? C'est pas son droit d'�tre au carrefour ? L'HOMME AU B�RET Mais pas de faire ce qu'il fait ! Ah, tu peux pas savoir. C'est une catastrophe ! TIGREVILLE - CARREFOUR - EXT�RIEUR JOUR Un carrefour avec une rue qui monte vers une propri�t� priv�e, dont le portail est ouvert. Une foule est mass�e derri�re la barri�re de la propri�t�, et d'autres personnes sont group�es, en- dessous d'eux, au bord de la route. Mais on ne voit pas encore ce qu'ils regardent. Par contre, on entend leurs �clats de voix. Une DS Citro�n zigzague sur la route et s'arr�te devant le portail. Le conducteur descend pr�cipitamment de son v�hicule, et se dirige vers le centre du carrefour. Gabriel est debout au milieu de la route, la veste � la main. LE CONDUCTEUR Vous �tes compl�tement cingl�, non ? Gabriel salue le conducteur. Une autre voiture arrive � vive allure d'une route qui descend vers le carrefour. A son passage, Gabriel fait une � passe � avec sa veste, � la mani�re d'un matador. GABRIEL FOUQUET Ol� ! Le conducteur, certainement affol�, perd un peu le contr�le de son v�hicule, et se pr�cipite vers un groupe de personnes, mass�s devant une boutique d'antiquit�s. Les gens s'�parpillent en courant. Heureusement, la voiture r�ussit � s'arr�ter, sans toucher personne. Une autre voiture, une grosse am�ricaine, arrivant en sens inverse du centre ville, klaxonne, car son conducteur ne comprend pas la manoeuvre �trange du premier v�hicule. VOITURE AM�RICAINE - INT�RIEUR JOUR Gabriel, vu � travers le pare-brise de la voiture, agite sa veste devant la voiture, qui s'arr�te juste devant lui. Il pointe une �p�e imaginaire et la plante dans le pare-brise, comme s'il donnait l'estocade finale au taureau qu'il venait de combattre. TIGREVILLE - CARREFOUR - EXT�RIEUR JOUR L'int�rieur du v�hicule, vu de la rue. Un homme est au volant, deux femmes sont assises � l'arri�re. Il semble tous un peu affol�s par ce qu'il vient de leur arriver. LE CONDUCTEUR I say, you're crazy ! (traduction : Dis donc, vous �tes fou !) Gabriel se tourne vers la foule mass�e derri�re la barri�re de la propri�t�, et qui l'acclame. On lui lance m�me un chapeau, qu'il attrape au vol. Gabriel marche le long de la route, saluant la foule en brandissant le chapeau. Il revient vers le centre du carrefour, et lance le chapeau, pr�t � affronter un autre � taureau � automobile ! Une 404 blanche, venant de la route qui descend vers la ville, le fr�le � vive allure. GABRIEL FOUQUET Ol� ! LA FOULE Ol� ! Ol� ! Ol� !... Une autre voiture, venant du centre ville, �vite Gabriel de justesse. Elle s'arr�te au milieu du carrefour, et le conducteur en sort pr�cipitamment. Il fonce vers Gabriel. Gabriel fait une passe sur une autre voiture en provenance de la ville. GABRIEL FOUQUET Ol� ! Une voiture noire arrive de la route, et zigzague pour essayer d'�viter Gabriel. Contrchamp sur Gabriel, au milieu du carrefour, qui bouge de droite � gauche, pour essayer de rester dans l'axe de la voiture. On a l'impression que la cam�ra est plac�e sur la voiture. Zoom avant sur Gabriel qui se rapproche. Sa veste passe sur l'objectif de la cam�ra, comme si elle passait sur le pare-brise de la voiture. Puis on voit la foule qui s'�carte pour �viter la voiture. GABRIEL FOUQUET Ol� !... La foule entoure Gabriel toujours debout au milieu du carrefour, et l'acclame. Vue a�rienne de la route qui revient vers le centre ville. Gabriel, entour� de ses admirateurs, marche vers la ville. On entend des klaxons. TIGREVILLE - UNE RUE - EXT�RIEUR JOUR Albert et l'homme au b�ret marchent d'un pas rapide, allant au- devant du cort�ge qui entoure Gabriel. Tous, d'ailleurs, dans ceux qui le suivent, ne semblent pas enthousiastes � son sujet. On entend, en effet, un conducteur m�content. UN CONDUCTEUR M�CONTENT (voix off) Esp�ce de salaud ! Je vais t'arranger le portrait, moi. Albert rejoint Gabriel et la foule qui l'entoure. ALBERT QUENTIN Alors quoi ? Qu'est-ce qu'y a ? Qu'est-ce qui se passe ? UNE FEMME SUR LE TROTTOIR Si c'est pas une honte ! Faire �a le jour des morts ! Un homme, d'aspect cossu et bourgeois, marche � c�t� de son chauffeur en uniforme. L'HOMME COSSU Si mon chauffeur n'avait pas frein�, on l'�crasait ! ALBERT QUENTIN Il a frein� ? Et ben alors, c'est fini, n'en parlons plus. L'HOMME COSSU Ce serait trop commode ! On est venu en p�lerinage, nous, monsieur, on n'est pas venu au cirque ! ALBERT QUENTIN Et bien, allez-y � votre p�lerinage, la route est libre. UNE FEMME SUR LE TROTTOIR Y a pas longtemps ! Il prend le bras de Gabriel et l'entra�ne avec lui. ALBERT QUENTIN Allez, viens, toi. L'HOMME AU B�RET Ben, dis donc, Albert, tu vas quand m�me pas prendre sa d�fense ! ALBERT QUENTIN Mais je prends la d�fense de personne. Vous voyez pas qu'il est pas dans son �tat normal ? Un peu plus loin. Albert tient toujours le bras de Gabriel, suivi par la foule. Gabriel dit trois mots en espagnol, puis : GABRIEL FOUQUET J'attends la pr�sidence pour m'offrir les oreilles ? ALBERT QUENTIN Vous pourriez pas faire un entracte, non ? GABRIEL FOUQUET Yo soy unico ! ALBERT QUENTIN Fermez-la, mon vieux, oh, fermez-la. Le cort�ge arrive devant la gendarmerie. A c�t� de la porte, une affiche sur laquelle est inscrit : � Jeunes gens - Effectuez votre service l�gal outre-mer - En devan�ant l'appel de votre classe. � Deux gendarmes sortent de la gendarmerie. Gabriel leur fait un grand salut de la main. GABRIEL FOUQUET Ol�, carabineros ! Como va ustedes ? Maurice, le brigadier, qui a un fort accent du Sud-Ouest, se tourne vers Albert. MAURICE Alors, vous trouvez qu'on n'a pas assez de travail aujourd'hui. Qu'est-ce qu'il y a ? Une voix sort de la foule, celle du monsieur avec chauffeur. L'HOMME COSSU Y a que ce petit cr�tin a failli faire au moins dix accidents ! Albert se tourne vers lui. ALBERT QUENTIN Y en a pas eu, d'accident. Il se tourne vers Maurice. ALBERT QUENTIN Il a bu un coup, c'est pas une affaire, quoi. MAURICE (voix off) Et d'o� qui sort ? ALBERT QUENTIN C'est un client � moi. Retour sur Maurice, qui �carte les bras. MAURICE Client ! C'est pas un �tat-civil, �a, client ! Vous n'�tes pas d'ici, hein ? Contrechamp sur la foule mass�e au pied de la gendarmerie, dont l'entr�e est l�g�rement sur�lev�e par rapport au niveau de la rue. GABRIEL FOUQUET Et vous, vous �tes d'ici, avec votre accent du Cantal ? MAURICE Rodez ! Dans le Cantal ? Il est saoul comme une bourrique ! Il se tourne vers son coll�gue. MAURICE Alexandre, embarquez-moi monsieur, qu'on regarde ses papiers. Le gendarme Alexandre descend les quelques marches qui m�nent � la rue et prend Gabriel par le bras. Il le pousse vers le haut des marches et l'entr�e de la gendarmerie. Albert les suit. GABRIEL FOUQUET La sortie en triomphe ! Enfin ! Regarde, public ingrat ! Arrache-toi les yeux ! Pour ponctuer encore la sortie th��trale de Gabriel, les cloches de l'�glise se mettent � sonner. Apr�s que Gabriel soit entr� dans la gendarmerie, la foule commence � se disperser. TIGREVILLE - PLACE DE L'�GLISE - EXT�RIEUR JOUR Plan d'ensemble de la place devant l'�glise. C'est la sortie de la messe. Les petites pensionnaires, dans leur uniforme sombre, mais avec la capuche relev�e, sortent de l'�glise en rang deux par deux, pr�c�d�es par la directrice dans son fauteuil roulant, pouss� par une ma�tresse en manteau gris. A la fin du cort�ge, Marie Fouquet marche toute seule derri�re les autres. Le cort�ge contourne l'�glise. Derri�re l'�glise, on aper�oit la gendarmerie avec les mots � Gendarmerie Nationale � inscrits sur le haut du b�timent. TIGREVILLE - GENDARMERIE - INT�RIEUR JOUR Plan moyen sur Gabriel assis sur une chaise, le menton dans les mains. Il �coute distraitement Maurice le brigadier, que l'on ne voit pas. MAURICE (voix off) Fouquet Gabriel, n� � Paris le 18 mai 1930. Domicile : 14, rue Lincoln, Paris huiti�me. Profession... Maurice, qui est en train de lire la carte d'identit� de Gabriel, prononce Lincoln � la fran�aise. Panoramique d�couvrant Maurice assis derri�re son bureau, et Albert devant. L'autre gendarme est assis sur un fauteuil derri�re Albert. ALBERT QUENTIN Mais enfin, Maurice, puisque je te dis que je me porte garant pour lui, alors laisse tomber, quoi. Tu peux bien faire �a pour moi. Gabriel se l�ve p�niblement. GABRIEL FOUQUET Muchas gracias, se�or, seulement, je suis adulte... ALBERT QUENTIN Monsieur Fouquet, vous commencez � nous cassez les noix, on ne veut plus vous entendre, on en a marre. GABRIEL FOUQUET Parfait... puisqu'on peut plus rien dire, je vous attends dehors. Gabriel ramasse sa veste sur une petite table et se dirige vers la porte. ALBERT QUENTIN �a va, c'est �a, allez prendre l'air, �a vous fera du bien. Gabriel sort de la gendarmerie. Albert se tourne vers Maurice. ALBERT QUENTIN Tu vois bien que c'est de l'enfantillage. Demain, il sera parti, et personne n'y pensera plus. MAURICE Bon, mais tu le ram�nes chez toi, hein ? Que je le voie plus en train de trainer en ville. Et que �a lui serve de le�on. Maurice se l�ve et tend la carte d'identit� de Gabriel � Albert. ALBERT QUENTIN Ben, j'esp�re, ou alors il est incorrigible. Alors qu'Albert se dirige vers la sortie, le t�l�phone sonne. Maurice se dirige vers l'imposant poste t�l�phonique fix� au mur, et d�croche. MAURICE Allo, ici la gendarmerie de Tigreville. Comment ? Qu'est-ce que vous dites ? On entend la porte qui se ferme. Le gendarme Alexandre se l�ve et soul�ve l�g�rement le rideau pour voir ce qu'il se passe dehors. MAURICE Y a un bouchon terrible � Hennequeville ? TIGREVILLE - PLACE DE L'�GLISE - EXT�RIEUR JOUR Albert sort de la gendarmerie et commence � contourner l'�glise. Il retrouve Gabriel assis sur les marches devant le monument aux morts, la t�te dans les mains. Albert s'approche de lui. ALBERT QUENTIN Et ben, qu'est-ce qui vous prend ? Gabriel rel�ve la t�te. GABRIEL FOUQUET Je crois que j'ai honte. ALBERT QUENTIN Allons, mon gars, on n'a pas le droit d'avoir honte, quand on a r�ussi une corrida comme la votre. Hein ? GABRIEL FOUQUET La deuxi�me voiture �tait difficile, elle chargeait toujours � gauche, vous avez vu ? ALBERT QUENTIN Les voitures anglaises, c'est toujours comme �a. C'est la d�formation. Allez, venez. Il lui rend sa carte d'identit� et l'aide � se relever. Gabriel r�cup�re son document et descend les marches. GABRIEL FOUQUET O� on va ? J'irai bien prendre un verre. Pas pour boire, pour me remonter. Albert le regarde un instant, puis dit : ALBERT QUENTIN D'accord, mais pas chez Esnault. Il lui prend le coude et l'entra�ne avec lui. BAR � CHINOIS � - EXT�RIEUR JOUR En quinze ans, les marches qui permettent d'acc�der au bar � chinois � en haut de sa colline, n'ont pas chang� : elles sont toujours aussi � rustiques �. Albert et Gabriel les montent lentement. Gabriel regarde la b�tisse au sommet de la colline et s'arr�te sur une marche. La b�tisse, non plus, n'a pas chang�. Seule la tour m�tallique surmont�e par les sir�nes a disparu. GABRIEL FOUQUET Dites donc... Albert s'arr�te et se tourne vers Gabriel. ALBERT QUENTIN Quoi ? GABRIEL FOUQUET Qu'est-ce que c'est que votre endroit ? ALBERT QUENTIN Et bien, les gourmands, ils disent que c'est une maison de passe et les vicelards un restaurant chinois. GABRIEL FOUQUET Vous y allez souvent ? ALBERT QUENTIN J'y allais. Il reprend son escalade, suivi par Gabriel. Ils sont presque arriv�s au sommet. Gabriel regarde la b�tisse et s'arr�te de nouveau. GABRIEL FOUQUET A votre avis, pour ce qu'on veut en faire, vaudrait mieux que ce soit canaille ou chinois ? Albert s'est arr�t� pour l'�couter. ALBERT QUENTIN Que ce soit ferm�. Il reprend sa marche. BAR � CHINOIS � - INT�RIEUR JOUR L'int�rieur du bar � chinois � n'a pas chang� non plus. Albert ouvre la porte, et entre suivi par Gabriel, qui referme la porte derri�re eux. Ils se dirigent vers le bar, lorsqu'ils sont arr�t�s par une voix venant du haut de l'escalier. GEORGINA (voix off) Albert ! Les deux hommes tournent la t�te vers l'escalier. Georgina descend l'escalier. Elle n'a, pour ainsi dire, pas chang� en quinze ans. GEORGINA C'est pas possible ! C'est un revenant ! Elle regarde Albert avec un grand sourire. GEORGINA Tiens, je suis trop contente. Tu permets que je t'embrasse ? ALBERT QUENTIN Je te permets. Elle lui fait une bise sur chaque joue. Albert se tourne vers Gabriel. ALBERT QUENTIN Je te pr�sente un matador. Georgina s'incline l�g�rement en souriant. GEORGINA Enchant�e, monsieur. ALBERT QUENTIN Mais je te promets pas qu'il soit tout � fait authentique. Georgina se dirige vers le bar, suivie par ses deux clients. ALBERT QUENTIN Ici non plus, c'est pas tr�s authentique, mais avec le vent du Tibet, �a peut faire illusion. Tenez, mon vieux, si je vous disais que, certains soirs, hein, derri�re ce mur, l�, et bien j'ai vu... Pas cru voir, hein !... J'ai vu !... Une ville, des tramways, la foule, des drames... Un plan rapide sur le mur dont parle Albert, et sur lequel il y a seulement la grande affiche l�gale contre la r�pression de l'ivresse sur la voie publique, entour�e d'aquarelles � chinoisantes � et d'une r�clame pour l'ap�ritif � Saint Rapha�l �. Retour vers le bar, derri�re lequel tr�ne Georgina. GEORGINA Qu'est-ce que je vous sers ? Albert se tourne vers Gabriel. ALBERT QUENTIN Qu'est-ce que vous voulez comme remontant ? GABRIEL FOUQUET Je vous fais confiance. ALBERT QUENTIN Bon. Est-ce que tu confectionnes toujours ton esp�ce de sak�, l� ? GEORGINA Bien s�r. ALBERT QUENTIN Alors, �a sera deux. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Plan rapproch� en contre-plong�e de l'enseigne �clair�e de l'h�tel Stella. HOTEL STELLA - SALLE � MANGER - INT�RIEUR NUIT Suzanne est assise seule � une petite table pr�s des chambres froides, et sur laquelle est dress� un couvert pour deux personnes. Mais les assiettes sont vides et la carafe de vin n'a pas �t� entam�e. La t�te appuy�e sur la main, Suzanne semble r�veuse. Derri�re elle, on entend le brouhaha de la salle � manger. D'un seul coup, Suzanne se l�ve d'un bond. Panoramique rapide vers l'entr�e de la salle. Marie-Jo entre et pose son manteau sur le porte-manteau. MARIE-JO Y a surement aucune raison de s'inqui�ter. Elle s'approche de Suzanne. Derri�re les deux femmes, on s'aper�oit que la moiti� environ des tables sont occup�es. Germaine fait le service. MARIE-JO Depuis ce matin au carrefour, personne n'a revu monsieur. Je suis all� chez Landru, chez le p�tissier, j'ai m�me �t� chez Esnault, ben... y a pas plus de monsieur que de beurre au... Elle fait un geste vague pour �viter de dire une b�tise. Elle sourit. MARIE-JO Si y avait eu un accident, �a se saurait. SUZANNE QUENTIN Bien s�r, �a se saurait. Suzanne se dirige vers la sortie de la salle. Marie-Jo la suit. HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR NUIT Suzanne commence � monter l'escalier. Marie-Jo, en sortant, s'aper�oit de la pr�sence d'une valise dans le vestibule. MARIE-JO Tiens, la valise de monsieur. Qu'est-ce que j'en fais ? Suzanne s'arr�te un instant, puis reprend sa marche. SUZANNE QUENTIN Vous pouvez la remonter. Maintenant, son train de huit heures... MARIE-JO Monsieur Fouquet n'a pas d�n� ? Suzanne, qui est presque arriv�e � l'�tage, se retourne. SUZANNE QUENTIN Non. MARIE-JO Si �a se trouve, ils sont ensemble. SUZANNE QUENTIN Si �a se trouve, oui. Elle reprend sa marche. Marie-Jo se penche pour ramasser la valise. BAR � CHINOIS � - INT�RIEUR NUIT Plan rapproch� sur le comptoir du bar, sur lequel plusieurs verres de vin sont align�s. Gabriel remplit les verres. Zoom arri�re d�couvrant Albert et Gabriel, debout devant le bar et en train de chanter. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble) Tata-talalala ! Tata-lalatin ! Tata-talalala ! Tata- lalatin ! Albert prend un verre. ALBERT QUENTIN A l'Amiral Gu�pratte ! Il boit. Gabriel prend un verre. GABRIEL FOUQUET A el Gallo, le Divin Chauve ! Il boit. Ils reposent tous deux leurs verres vides. Albert prend un autre verre. ALBERT QUENTIN A la gloire des fusiliers marins d'Extr�me-Orient ! Il boit. Gabriel prend un autre verre. GABRIEL FOUQUET A Manolete ! Tu� � Linar�s par le taureau Isleiro ! Il boit. Albert repose son verre et en prend un autre. ALBERT QUENTIN Et celui-l�, je le bois � mon pote G�d�on, tomb� dans le traquenard de Long Son ! Gabriel prend un autre verre. GABRIEL FOUQUET A Roselito, le plus grand de tous ! Il boit. Appuy�e contre la fresque derri�re le bar (la m�me que quinze ans auparavant), Georgina les regarde d'un oeil critique. GEORGINA On a le temps, messieurs ! Si �a continue, vous allez vous saouler... Tous les verres sur le comptoir sont maintenant vides. ALBERT QUENTIN Quand on est en perm', c'est pour �a ! Gabriel s'�loigne du bar, et s'approche de la porte vitr�e qui s�pare le bar de la pi�ce voisine. ALBERT QUENTIN Mais qu'est-ce que tu cherches ? GABRIEL FOUQUET Claire, elle devait me prendre � la sortie des ar�nes... ALBERT QUENTIN Mais c'est de ta faute ! Si tu buvais plus vite, elle serait d�j� l� ! Les choses entra�nent les choses... Le bidule cr�e le bidule... Y a pas de hasard ! Allez ! On rentre � la caserne. Il fouille dans sa poche et sort une poign�e de billets froiss�s qu'il pose sur le comptoir. Gabriel revient vers lui. GABRIEL FOUQUET Ben, permets-moi au moins de t'inviter... Il sort de l'argent de sa poche. D'un geste, Albert l'arr�te. ALBERT QUENTIN T'occupe, la Bleusaille ! J'ai touch� mon arri�r� de solde... Alors, hein ! Gros plan sur le comptoir. Parmi les billets de banque, qu'Albert y a d�pos�s, se trouve un billet de train. Gabriel le prend et le regarde de plus pr�s. GABRIEL FOUQUET Y t'ont pay� avec un billet de train... Albert le lui prend des mains. ALBERT QUENTIN Tiens !... Il le d�chire en deux, et en donne la moiti� � Gabriel ALBERT QUENTIN Je te donne l'aller et je garde le retour... Allez, fais-en autant ! GABRIEL FOUQUET J'peux pas... ALBERT QUENTIN T'as pas confiance ? GABRIEL FOUQUET J'ai pas de billet... ALBERT QUENTIN Ah ! ben alors l�, t'as tort ! Faut toujours avoir un billet... Au cas... Tu comprends ? Au cas... GABRIEL FOUQUET Qu'est-ce que tu crois m'apprendre... J'ai pass� ma vie � faire des allers et retours. Instable, on appelle �a. ALBERT QUENTIN Bon, ben allez, on cause de trop, on se d�shydrate, hein. Allez, viens. Ils se retournent et se dirigent vers la sortie. Georgina se penche par-dessus le bar. GEORGINA Bonsoir, et bonne rentr�e. Albert est d�j� sorti, mais Gabriel se retourne vers elle. GABRIEL FOUQUET Madame, j'ai �t� charm�, positivement charm�. Il sort � son tour, d'un pas un peu h�sitant. Georgina sourit et commence � d�froisser les billets laiss�s par Albert sur le comptoir. BAR � CHINOIS � - EXT�RIEUR NUIT Albert descend lentement les marches du bar. Il fredonne � Nuits de Chine �. ALBERT QUENTIN La-la-la la-la nuits de Chine, nuits d'amour ! La-la-la... Gabriel sort � son tour du bar en nouant son �charpe. Puis il regarde autour de lui. GABRIEL FOUQUET Merde ! Contrechamp et plan g�n�ral sur la colline et la plage en contrebas, plong�es dans le noir. GABRIEL FOUQUET (voix off) Il fait nuit, dis donc. Retour sur Gabriel et Albert, toujours debout en bas des marches du bar. ALBERT QUENTIN Ben c'est normal, c'est le changement de latitude. Allez, en avant ! Plan d'ensemble de la colline avec le bar au sommet et Gabriel et Albert qui descendent les marches de la colline, d'un pas un peu h�sitant. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble) Nuits de Chine, nuits c�lines, nuits d'amour ! Ils accompagnent leur chant de grands gestes. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble) Nuits d'ivresse, de tendresse... ALBERT QUENTIN Merde ! ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble) La-la-la... Jusqu'au lever du jour. Nuits de Chine, nuits c�lines... Ils sont maintenant arriv�s pr�s de la cam�ra en plan moyen. Albert s'assoit sur un banc. Il dit la derni�re strophe sans chanter. ALBERT QUENTIN Nuits d'amour. GABRIEL FOUQUET T'as le coup de pompe ? Du pouce, Albert montre le bar derri�re lui. ALBERT QUENTIN Non, mais c'est l'autre vache, l�, l'indig�ne, qui a d� me filer du poison. Gabriel s'assoit � c�t� de lui. GABRIEL FOUQUET T'as peut-�tre plus l'habitude. Si tu veux, on peut rentrer. ALBERT QUENTIN Oh, h� gamin, dis donc, h�, pas de faux-fuyant. C'est pas parce que t'as estoqu� deux ou trois voitures, mais... Moi, j'ai pas eu mon compte. D'abord, on va leur montrer ce qu'un jeune et un vieux peuvent faire. GABRIEL FOUQUET A qui �a ? ALBERT QUENTIN Aux affreux ! Allez viens. Ils se l�vent tous les deux et reprennent leur marche. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble) Nuits de Chine... HOTEL STELLA - CHAMBRE ALBERT - INT�RIEUR NUIT La chambre est plong�e dans le noir, mais les rideaux ne sont pas tir�s sur les fen�tres. On entend, dans la rue, Albert et Gabriel chanter. Leur chant est dans la continuit� de celui d�but� dans la SC�NE PR�C�DENTE ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble et en voix off) ... nuits c�lines, nuits d'amour !... Lent panoramique vers le lit, dans lequel Suzanne est assise, les yeux grand ouverts. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble et en voix off) ... Nuits d'ivresse, de tendresse... O� l'on croit aimer jusqu'au lever du jour... Suzanne s'allonge dans le lit, et rabat les couvertures sur elle. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble et en voix off) ... Nuits de Chine, Nuits c�lines... CAF� NORMAND - INT�RIEUR NUIT Plan moyen sur le billard, o� un homme en cravate et casquette est en train de jouer. Derri�re lui, la salle et le bar, devant lequel deux hommes sont accoud�s. Un peu plus loin le long du comptoir, un autre homme, assis sur un tabouret, discute avec la patronne, debout derri�re le bar. D'autres clients sont r�partis autour des tables de la salle. Le joueur de billard s'�loigne de la table, et Lucien s'approche pour jouer � son tour. Il est en chemise, cravate et gilet. Dans un coin, derri�re lui, on d�couvre Jos�phine, en train de boire, seule � une table. La porte s'ouvre. Albert entre pr�cipitamment, suivi de Gabriel, qui referme la porte. Ils s'accoudent tous les deux au comptoir. ALBERT QUENTIN Deux Calvas ! En entendant la voix d'Albert, Lucien s'arr�te de jouer, et se tourne vers le bar. Il pose sa queue sur le billard. LUCIEN ESNAULT Sois le bienvenu, Albert. Il redescend lentement vers le comptoir. LUCIEN ESNAULT Je me disais toujours : �a peut pas durer, on le reverra un jour. Et te revoil�... comme au bon vieux temps. Tiens ! Je me sens vingt ans de moins. Il est maintenant arriv� pr�s du comptoir. Albert boit son calva sans se retourner. Mais Gabriel se retourne vers Lucien. GABRIEL FOUQUET T'es qui ? LUCIEN ESNAULT Oh, toi, tu ferais mieux de t'en tenir l� avant que tes espagnolades te reprennent ! Albert et Gabriel se retournent ensemble vers Lucien. Ils ont l'expression un peu vague des hommes qui ont trop bu. Gabriel s'incline l�g�rement vers Lucien, et lui dit, sur un ton tr�s POS� : GABRIEL FOUQUET Monsieur Esnault, si la connerie n'est pas rembours�e par les assurances sociales, vous finirez sur la paille. Gabriel se retourne vers le comptoir, mais Albert continue � fixer Lucien d'un air s�v�re. LUCIEN ESNAULT Dis donc, petit malpoli, tu veux que je t'apprenne ? Il fait un pas vers Gabriel, qui le regarde en souriant niaisement, mais Albert arr�te Lucien. ALBERT QUENTIN Monsieur Esnault, je vous interdis de tutoyer mon homme de barre. Je vous ai d�j� dit que vous n'�tiez pas de la m�me famille. LUCIEN ESNAULT Alors, toi, je te pr�viens, si t'es venu pour me donner des ordres, je vais vous virer tous les deux � coups de pompe dans le train ! Albert et Gabriel se regardent. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble) Ohh !... Puis Gabriel fait signe � Albert que c'est � lui � de jouer � ! Et Albert balance � Lucien une baffe si violente qu'il titube sous le choc, et s'�croule sur l'escalier. Sa femme se pr�cipite vers lui. MADAME ESNAULT Lucien !... ALBERT QUENTIN Et ce n'est qu'un coup de semonce. Madame Esnault, et d'autres clients, qui sont accourus, aident Lucien � se relever. Lucien, fou de col�re, cherche � se d�gager de leurs mains. LUCIEN ESNAULT Ah ! Ah ! Laisse-le moi, hein ! MADAME ESNAULT Partez, ou j'appelle les gendarmes ! JOS�PHINE Ils ont d�j� eu affaire � eux ce matin. Ils n'auraient pas d� les rel�cher ! UN CLIENT Mais laisse-les donc, ils sont ronds comme des boules. ALBERT QUENTIN Oui, messieurs, pleins comme la mer. Ensuqu� � rabord ! Y a longtemps que vous attendiez �a, hein ? Et ben, �a y est ! Comme �a, vous pourrez causer et �gayer vos soir�es d'hiver ! Ah ! Il se retourne vers le comptoir. Derri�re eux, on voit Madame Esnault et les clients qui entrainent Lucien vers le fond de la salle. GABRIEL FOUQUET Albert... Hmm ?... GABRIEL FOUQUET Ils me font mal aux yeux, tirons-nous. Ils finissent leurs verres. ALBERT QUENTIN T'as raison, va, on a rien � foutre chez les Fran�ais moyens. Ils se dirigent lentement vers la sortie. ALBERT QUENTIN On n'appartient pas au m�me bataillon. Lucien, debout au milieu de la salle, entour� de ses clients, les regarde partir. LUCIEN ESNAULT Et les calvas, qui c'est qui va les payer ? Albert et Gabriel se retournent vers lui. ALBERT QUENTIN Adressez-vous � l'intendance. Nous, on paye plus, on ne connait plus, on ne salue plus. GABRIEL FOUQUET On m�prise. Gabriel ponctue sa derni�re phrase d'un grand geste. Albert salue l'assistance. Gabriel ouvre la porte, et ils sortent tous les deux. Albert claque violemment la porte derri�re lui, faisant tomber un thermom�tre publicitaire (Picon Pikina) accroch� pr�s de la porte. On l'entend se briser en heurtant le sol. LUCIEN ESNAULT (voix off) Bon Dieu de Bon Dieu ! TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Albert et Gabriel sortent du caf� et marchent dans la rue longeant l'h�tel Stella. Gabriel s'arr�te devant l'h�tel. GABRIEL FOUQUET Albert... Albert se retourne. ALBERT QUENTIN Quoi ? GABRIEL FOUQUET J'ai peur que ta femme soit pas contente. ALBERT QUENTIN Parle pas de femmes en patrouille. Il reprend sa marche un peu titubante, suivi par Gabriel. GABRIEL FOUQUET Juste... Le vent commence � fra�chir. T'as pr�vu un mouillage ? ALBERT QUENTIN Blangy, dans la Somme. Faut que je te pr�sente � mon p�re. Gabriel s'arr�te de marcher. GABRIEL FOUQUET Albert... Albert se retourne. ALBERT QUENTIN Qu'est-ce qu'y a encore ? GABRIEL FOUQUET Blangy, c'est pas possible. ALBERT QUENTIN Alors, l�, tu seras port� d�serteur. En op�rations, tu sais o� �a m�ne ? GABRIEL FOUQUET Je peux pas partir d'ici... pas tout seul, tu comprends ? J'ai une mission. ALBERT QUENTIN Une mission ?... Ah, ben l�, tu tombes dans ma sp�cialit�. Il s'agit de quoi ? Gabriel met un doigt sur ses l�vres. GABRIEL FOUQUET Chhhhut !... Il se rapproche de lui et parle plus bas. GABRIEL FOUQUET Je t'ai parl� de ma fille ? ALBERT QUENTIN La petite Marie ? GABRIEL FOUQUET C'est �a. Et ben, elle est pas heureuse, la petite Marie. Et ben, faut que j'aille la chercher et que je la ram�ne avec moi. ALBERT QUENTIN Et ben, on y va. Il se remet en marche. On entend le son d'un poste de radio provenant d'une maison ind�termin�e. L'ANIMATEUR DE RADIO (voix off) Et voici maintenant, comme chaque soir, une �mission de Jean-Michel Audiard : � Ici l'on danse ! �... Gabriel s'arr�te au milieu de la rue. GABRIEL FOUQUET Albert !... Albert se retourne. ALBERT QUENTIN Je peux pas y aller comme �a. GABRIEL FOUQUET Tu peux pas, tu peux pas. Mais t'es marrant, toi. Qu'est-ce que �a veut dire, tu peux pas ? Hein ? On entend un son d'accord�on provenant d'une maison, certainement d'un poste de radio. Les deux hommes l�vent la t�te. Gabriel esquisse quelques pas de danse. Albert se met � danser aussi en chantant. ALBERT QUENTIN Ta-la-la la-laaa... Ils sont maintenant tous les deux en train de danser au milieu de la rue. ALBERT QUENTIN Ti-la-la la-laaa... Ta-la-la la-laaa... La-la la-laaa... Ta-la-lala-la... Une fen�tre s'ouvre au premier �tage de la maison devant laquelle ils dansent, et un homme en pyjama appara�t. LE VOISIN RONCHON H�, vous allez taire vos gueules, un peu, l�, oui ? Albert et Gabriel lui font, tous les deux ensemble, un bras d'honneur. ALBERT QUENTIN Ti-la-la la-laaa... Un autre homme, en pyjama, sort d'une maison voisine. UN AUTRE VOISIN RONCHON C'est tout de m�me malheureux de se mettre dans un �tat pareil, croyez-moi ! Pour toute r�ponse, Albert hausse la voix. ALBERT QUENTIN Ti-la-la la-laaa... Il lui fait un bras d'honneur. ALBERT QUENTIN La-la la-la... Ils s'�loignent en dansant. L'homme rentre chez lui. COURS DILLON - PARC - EXT�RIEUR NUIT L'imposant portail du Cours Dillon, vu de la route. On entend Albert chanter. ALBERT QUENTIN (voix off) La-la-la la-laaa... Ti-la-la la-laaa... Albert et Gabriel entre dans le champ en dansant, et s'approche du portail. ALBERT QUENTIN Ti-la-la la-laaa... Ti-la-la la-laaa... Contrechamp sur Albert et Gabriel, vus � travers les barreaux de la grille du portail, et qui regardent � l'int�rieur du parc. ALBERT QUENTIN Bon, ben... A premi�re vue, les d�fenses ont l'air assez faible. Contrechamp et plan d'ensemble de l'imposant manoir du cours Dillon, vu � travers les arbres du parc. Retour sur Gabriel et Albert, toujours les mains sur les barreaux de la grille et regardant � l'int�rieur du parc. ALBERT QUENTIN Alors, inutile de contourner, on va prendre �a en force. Allez ! Je me mets en fl�che, et puis tu me files le train. Albert a d�j� saisi les barreaux, pr�t � escalader le portail. Gabriel lui prend le bras. GABRIEL FOUQUET H� !... Excuse-moi, Mais c'est pas � toi de prendre les commandes, il s'agit tout de m�me de ma fille. ALBERT QUENTIN D'accord... D'accord !... Gabriel commence � escalader le portail. Albert se retourne et se plaque le dos contre la grille. Gabriel lui met les deux pieds sur les �paules. ALBERT QUENTIN Ohh !... Oh, ben dis donc, ben t'es un faux maigre ! Contre-plong�e sur le haut du portail et Gabriel, qui a maintenant la t�te au niveau du sommet du portail, mais qui fait face � la route. GABRIEL FOUQUET C'est peut-�tre que j'ai la langue charg�e. Retour sur Albert. ALBERT QUENTIN Oh !... Ben qu'est-ce tu fous ? Tourne-toi de l'autre c�t�, voyons. Albert se d�gage, et fait deux pas vers la route. Gabriel cale ses pieds sur une barre horizontale de la grille. GABRIEL FOUQUET Albert ! ALBERT QUENTIN Quoi ? GABRIEL FOUQUET Regarde ! Albert se retourne. Zoom arri�re, d�couvrant Gabriel accroch�, les bras en croix, au portail. GABRIEL FOUQUET C'est moi, le Christ ! Le portail s'ouvre lentement, et Gabriel se retrouve accroch� � la porte de droite. ALBERT QUENTIN Ah !.... Ah !... Ah !... GABRIEL FOUQUET H�, Albert, h�, me laisse pas ! Albert !... Albert se pr�cipite et Gabriel lui tombe dans les bras. ALBERT QUENTIN Oh !... Oh !... Gabriel se r�tablit sur le sol. GABRIEL FOUQUET Oh ben, �a roupille l�-dedans, dis donc... Y a une sonnette... Il se tourne vers Albert. GABRIEL FOUQUET Y a une sonnette ? Il met un doigt sur ses l�vres, s'approche de la cloche fix�e au portail et tire vigoureusement sur le cordon, faisant tinter la cloche. Puis il se dirige vers le manoir, suivi par Albert. Comme ils s'approchent de la b�tisse, on voit deux fen�tres d'angle s'�clairer au premier �tage. GABRIEL FOUQUET Oh, ben, les voil� qui se r�veillent, tiens ! D'autres fen�tres s'�clairent, mais au rez-de chauss�e. ALBERT QUENTIN Ah ! Enfin ! Ah ben, dis donc ! GABRIEL FOUQUET Ah, ben voil� ! Albert se met � crier : ALBERT QUENTIN H�, branle-bas de combat, l�-dedans !... Branle-bas de combat, je te dis, l�-dedans ! Hein ! Plan rapproch� sur la porte d'entr�e du manoir. ALBERT QUENTIN Allez, comme en 14, investissons l'ouvrage. Il appuie tr�s longuement sur le bouton de la sonnette. ALBERT QUENTIN Ben alors, on se fout de nous, oui ? Mais, ma parole, c'est le soufflet au Sultan ! Oh, Bon Dieu ! Il donne plusieurs coups de pied dans la porte. ALBERT QUENTIN Si j'avais un obusier de 37, je te ferais sauter �a, et puis vite fait ! Gabriel, qui regarde � travers les rideaux, l'arr�te de la main. GABRIEL FOUQUET Arr�te ! ALBERT QUENTIN Quoi ? GABRIEL FOUQUET Ils envoient un pl�nipotentiaire. ALBERT QUENTIN Ah ben, c'est pas trop t�t. La porte s'entr'ouvre, et Georgette, l'infirmi�re de la directrice, appara�t. GEORGETTE C'est vous, monsieur Quentin, qui faites tout ce raffut ? Albert la pousse et se faufile � l'int�rieur du b�timent, suivi par Gabriel. ALBERT QUENTIN Mission exceptionnelle ! COURS DILLON - HALL D'ENTR�E - INT�RIEUR NUIT Albert et Gabriel p�n�trent dans le hall, pendant que Georgette referme la porte. GEORGETTE Monsieur Quentin, j'avais cru entendre dire que vous poursuiviez une convalescence souhaitable. Vous devriez avoir honte ! Gabriel grimpe sur l'un des fauteuils de cuir, et s'assoit sur le dossier. Il regarde Albert en riant. GABRIEL FOUQUET Elle croit parler � ses niards ? ALBERT QUENTIN Mais il a raison ! Quartier-ma�tre Quentin, du Corps Exp�ditionnaire d'Extr�me-Orient ! Le hall d'entr�e, vu en plong�e depuis la galerie du premier �tage. Attir� par la grosse voix d'Albert, un homme en robe de chambre vient s'accouder � la balustrade. Puis deux femmes, elles aussi en robe de chambre, apparaissent au bas de l'escalier. ALBERT QUENTIN On vient reprendre livraison de la fillette de monsieur. Et si elle n'est pas livr�e dans les trois minutes, je ne r�ponds pas de la r�action du papa ! GEORGETTE Le papa ? GABRIEL FOUQUET C'est moi. Une jeune fille, en nattes et chemise de nuit, vient s'accouder � la balustrade du premier �tage. GEORGETTE C'est nouveau, �a ! GABRIEL FOUQUET Pas tellement, non. GEORGETTE Mais vous avez pourtant dit, l'autre jour que... Venant de sa chambre � double porte battante, la directrice vient d'entrer dans la pi�ce sur sa chaise roulante. ALBERT QUENTIN Attention, les minutes tournent ! MADAME VICTORIA Who are they ? What's going on ? What does this people want ? (Traduction : Qui sont-ils ? Que se passe-t-il ? Que veut cet individu ?) Retour au niveau du sol. Albert �carte les bras. ALBERT QUENTIN Ahhh !... Ben si l'Anglais est d�j� dans la place, alors je ne m'�tonne plus de rien. ! MADAME VICTORIA I... I don't understand. What do you mean ? (Traduction : Je... je ne comprends pas. Qu'est-ce que vous voulez dire ?) ALBERT QUENTIN Tu vas voir comment je les traite, moi, les Anglais. Gabriel saute de son fauteuil pour arr�ter Albert qui s'avance, l'air mena�ant, vers la directrice. GABRIEL FOUQUET Gaspille pas tes dons. Madame est fran�aise. Il s'assoit - normalement ! - sur le fauteuil. ALBERT QUENTIN Tiens donc ! Comme le colonel Lawrence �tait arabe ! Perfidie l�gendaire ! Mais pas avec moi. Je les connais, moi, tous vos trucs. MADAME VICTORIA I do not share this gentleman's opinion about England. But, most important, first we must ascertain whether this gentleman is really the father of our little Marie Fouquet. For the moment, gentlemen, it will be best for you to go. We can attend everything to-morrow morning. (Traduction : Je ne partage pas l'opinion de ce monsieur au sujet de l'Angleterre. Mais, plus important, nous devons, en premier lieu, nous assurer que ce monsieur est vraiment le p�re de notre petite Marie Fouquet. Pour le moment, messieurs, il serait pr�f�rable que vous partiez. On pourra s'occuper de tout cela demain matin.) La voix de la directrice se durcit soudain MADAME VICTORIA And for the child's sake, I do hope that you will be more presentable. Georgette, will you see them to the door, please. (Traduction : Et pour le bien-�tre de l'enfant, j'esp�re fortement que vous serez plus pr�sentables. Georgette, voulez-vous bien les raccompagner � la porte, s'il vous plait.) La directrice tourne son fauteuil et se dirige vers la double porte battante. Gabriel se tourne vers Albert. GABRIEL FOUQUET Elle a dit : � demain. ALBERT QUENTIN Mais c'est Fachoda ! Gabriel se l�ve. GABRIEL FOUQUET Dis donc, si on envisageait un repli ? ALBERT QUENTIN Mais pourquoi pas une retraite ? Gabriel se dirige vers la porte. Albert reste sur place. ALBERT QUENTIN Moi, je trouve que c'est amener les couleurs un peu vite ! Il s'adresse � Georgette, tout en se dirigeant, lui aussi, vers la porte. ALBERT QUENTIN Estafette, faites savoir au chef de poste qu'on est d'accord pour remettre l'affaire � demain, mais demain matin, pas plus. Il s'arr�te alors qu'il est presque arriv� � la porte et se tourne vers Georgette. ALBERT QUENTIN Et si, � dix heures, la fillette n'est pas � mon PC avec armes et bagages, et ben, vous entendrez parler des hussards de la mort ! Consid�rez �a comme un ultimatum. GEORGETTE Bien, monsieur Quentin, on transmettra. Gabriel ouvre la porte et s'efface pour laisser passer Albert. Georgette les rejoint. Gabriel sort � son tour. Georgette ferme la porte derri�re lui et donne deux tours de verrou. COURS DILLON - PARC - EXT�RIEUR JOUR Albert et Gabriel viennent de sortir du b�timent et se dirigent vers la sortie. GABRIEL FOUQUET T'as forc� un peu dans l'�pouvante, mais t'as eu des moments romains. ALBERT QUENTIN Toujours. Quelle belle nuit, hein ? Gabriel s'arr�te. GABRIEL FOUQUET J'aimerais t'emmener en Andalousie, les nuits sont bleues. Albert se retourne. ALBERT QUENTIN Ohh !... Mais en Chine aussi, monsieur, quand tu descends vers le Sud. Tu sais pas ce qu'il faudrait ? Il tend les bras vers le ciel. ALBERT QUENTIN Et ben, faudrait illuminer tout �a, peindre tout �a en rouge. Ben, on peut tout de m�me pas y foutre le feu... note bien qu'en y r�fl�chissant... Gabriel se penche en avant, semblant en proie � une r�flexion intense, un peu compliqu�e dans son �tat. GABRIEL FOUQUET Tais-toi. Laisse-moi me rappeler... La f��rie lumineuse... Le 14 juillet en boutique... O� est-ce que j'ai entendu �a, bon sang ? Parce que je l'ai entendu et vu... Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je dis bien de quoi que ce soit... Un barbu... � Au Chic Parisien � ! ALBERT QUENTIN Landru ! GABRIEL FOUQUET C'est �a ! Il a une caisse, l�, pleine de fus�es, un stock � faire sauter Versailles. Albert �carte les bras. ALBERT QUENTIN Embrasse-moi, mec ! Il le serre dans ses bras, et l'embrasse dans le cou. ALBERT QUENTIN Tiens, t'es mes vingt ans ! Nickel�, Champion du Monde ! On y va ! Ils se mettent � danser en se dirigeant vers la sortie du parc. ALBERT QUENTIN & GABRIEL FOUQUET (ensemble) Ta-la-la la-la... Ta-la-la la-la... FONDU ENCHAIN� AU CHIC PARISIEN - INT�RIEUR NUIT Les caisses de feu d'artifice sont ouvertes, et les fus�es, qu'elles contiennent, ont certainement �t� r�pertori�es, puisqu'elles sont un peu en d�sordre. Sur un cageot, sont pos�es deux bouteilles de Beaujolais, une vide et une pleine. Les trois hommes sont en train de boire, Landru devant une caisse d'explosifs ouverte, Albert un peu en retrait derri�re lui, et Gabriel assis sur une autre caisse. Ils reposent leurs verres. GABRIEL FOUQUET Si vos p�tards sont � la hauteur de votre Beaujolais, on va nous entendre du Havre ! Albert se ressert � partir de sa bouteille personnelle. Landru inspecte les m�ches des fus�es dans la caisse ouverte devant lui. LANDRU Oh-oh, pour p�ter, �a p�tera, j'en r�ponds... comme de moi- m�me. �a date pourtant de trente ans, mais inalt�rable. Sign� Ruggieri. Il brandit deux fus�es pos�es derri�re lui. Gabriel saute de son perchoir. GABRIEL FOUQUET Albert... ALBERT QUENTIN Quoi ? Gabriel soul�ve une caisse de fus�es. GABRIEL FOUQUET On pourra jamais porter �a � deux, il va falloir faire dix voyages, au moins. Landru, les bras charg�s de fus�es, le regarde avec une certaine irritation. LANDRU Was ist das ? Il n'a jamais �t� question de jouer � �a sans moi, ne serait-ce que pour des raisons de survie. La pyrotechnie, messieurs, exige un savoir livresque et un tour de main absolument insoup�onnable. Il empile son mat�riel dans une charrette � bras. ALBERT QUENTIN Bon, ben, allez, quoi, allons-y ! On n'oublie rien ? LANDRU Rien ! Il ouvre une caisse, dans laquelle il d�pose les fus�es qu'il avait en main. LANDRU Le programme est assur�. Vingt-trois marrons d'air, dix bombes �toil�es multicolores, les �ventails � surprise, dix phlox rotatifs, et un jardin suspendu. Albert l�ve les bras vers le plafond. ALBERT QUENTIN Alors, l�, messieurs, �a va �tre dantesque ! On va le repeindre, leur ciel ! Zoom avant sur la charrette remplie d'explosifs. On entend siffler une fus�e. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Contre-plong�e sur le ciel au-dessus de Tigreville endormie. On entend siffler la fus�e que l'on a d�j� entendue sur l'image pr�c�dente, et des feux d'artifices �clatent dans le ciel. Retour au niveau du sol. Devant l'h�tel, des touristes regardent le ciel, dont un officier anglais. L'OFFICIER ANGLAIS Splendid ! Nouvelle contre-plong�e sur le ciel, montrant les feux d'artifices qui �clatent. Autre contre-plong�e au-dessus de l'h�tel Stella. Puis plusieurs contre-plong�es en succession rapide, montrant divers angles du ciel entre les maison de Tigreville, tous illumin�s par les feux d'artifice. Plan moyen sur le Caf� Normand, d'o� sort la patronne, envelopp�e dans un ch�le blanc, suivie d'un client. LE CLIENT Oh, merde, c'est tout de m�me pas le 14 juillet ! Il court vers la plage. MADAME ESNAULT Mai si, c'est bien un feu d'artifice, je le vois bien ! Tout le monde court vers la plage. Lucien sort, � son tour, du caf� et r�ajuste sa casquette. D'autres personnes courent dans la rue. Nouvelle s�rie de contre-plong�es sur le ciel illumin� de Tigreville. Retour vers Lucien, qui prend sa femme par le bras, et l'entraine vers la mer. LUCIEN ESNAULT �a vient de par l�. L'homme au b�ret, venant du bord de mer, rejoint Lucien et sa femme. L'HOMME AU B�RET Dis donc, y a Albert qui fait le con sur la plage avec un feu d'artifice. Faut voir �a. Lucien part en courant dans le sens inverse de la mer. MADAME ESNAULT Lucien ! Fais attention ! O� vas-tu ? L'HOMME AU B�RET L�, regarde �a ! Plusieurs contre-plong�es rapides sur le ciel illumin�. TIGREVILLE - LA GENDARMERIE - EXT�RIEUR NUIT Le brigadier Maurice et le gendarme Alexandre sortent de la gendarmerie et regardent vers le ciel. Tout le monde court dans la rue en direction de la plage. Contre-plong�e sur le ciel illumin�. Retour au niveau du sol. Les deux gendarmes d�valent les marches du perron de la gendarmerie. Alexandre prend quand m�me le temps de fermer la porte. Contre-plong�e sur le ciel illumin�. TIGREVILLE - RUE H�TEL STELLA - EXT�RIEUR NUIT Plan en contre plong�e sur la fa�ade de l'h�tel, montrant la fen�tre de la chambre d'Albert, � c�t� de l'enseigne. La fen�tre s'ouvre et Suzanne appara�t. Contre-plong�e sur le ciel illumin�. Plan en plong�e vers la rue, comme vu de la fen�tre de la chambre d'Albert. Lucien arrive en courant, et l�ve la t�te vers Suzanne. Retour sur Suzanne, en chemise de nuit, qui regarde avec surprise toute l'agitation dans la rue. Contrechamp et plan en plong�e sur Lucien dans la rue. LUCIEN ESNAULT Alors, madame Quentin, il para�t qu'Albert est sur la plage ! Il repart en courant vers la plage. Autre plan de la rue avec les gens qui courent vers la plage. Panoramique vers le ciel et les feux d'artifice. Plan g�n�ral du ciel illumin�. Panoramique vers le bas et : TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR NUIT Les gens arrivent, en rangs serr�s, et s'accoudent � la balustrade qui surplombe la plage. Sur la plage, en contrebas, on distingue les caisses de fus�es, et des hommes debout � c�t�. ALBERT QUENTIN (voix off provenant de la plage) Voil� les Balubas qui arrivent ! DES VOIX DANS LA FOULE Qu'est-ce qui font ? Il est cingl� ! ALBERT QUENTIN (voix off provenant de la plage) Et une verte ! Plan rapproch� sur Gabriel allumant une fus�e avec une m�che d'allumage. Il se rapproche d'Albert, qui regarde vers le ciel. Plan rapide sur le ciel illumin�. Retour sur la plage. Landru allume une fus�e. LANDRU Une verte maintenant, Quentin ! La fus�e part. Plan rapide sur le ciel et la fus�e qui �clate. Retour sur la plage. LANDRU Et une rouge ! Il l'allume. ALBERT QUENTIN Et maintenant, une tricolore ! On fait plus de d�tail. Gros plan sur la fus�e allum�e par Quentin. Plan rapide sur le ciel. Retour vers la plage. Albert et Gabriel s'approche de deux caisses de fus�es reli�es entre elle par un circuit de m�ches. ALBERT QUENTIN A vous de jouer, mon cher. Gabriel �carte les bras. GABRIEL FOUQUET Albert, j'en ferai rien. Quand il s'agit de faire sauter la ville, honneur � l'autochtone. ALBERT QUENTIN L'autochtone n'en fera rien, tirez le premier ! Gabriel s'ex�cute et allume la caisse de fus�es. Les deux hommes s'�cartent. Les fus�es commencent � partir en succession rapide. Contre champ en plan d'ensemble de la foule mass�e derri�re la balustrade. Les gens s'�loignent un peu devant la quantit� de fus�es qui partent. Plan rapproch� sur les fus�es qui continuent � partir de la caisse. Contrechamp sur la foule qui revient vers la balustrade. Retour sur la caisse de fus�es qui continuent � partir. Plan g�n�ral du ciel illumin�. Retour sur la foule qui applaudit. Sur la plage, plan d'ensemble sur les trois hommes qui s'approchent de trois batteries de chandelles romaines. LANDRU A vos chandelles romaines ! Chaque homme est debout devant sa cible, m�che d'allumage � la main. LANDRU Pr�sentez torches ! Les trois hommes l�vent les m�ches au niveau de leur visage, comme s'ils saluaient avec un sabre de cavalerie. LANDRU A mon commandement, feu ! Chacun allume sa batterie, puis s'�loigne en courant. Les chandelles romaines partent en succession rapide. Plan g�n�ral du ciel montrant les chandelles romaines qui montent. Retour sur la plage et les batteries de chandelles, toujours en activit�. Contrechamp sur la foule qui applaudit. Plan g�n�ral du ciel illumin�. Retour sur la foule en d�lire. Sur la plage, plan d'ensemble des trois hommes qui s'approchent de trois m�ts, supportant des sortes d'h�lices, en fait des sortes de roues lumineuses, qu'en pyrotechnie, on appelle des � soleils �. LANDRU A nos morts ! ALBERT QUENTIN A nos morts ! GABRIEL FOUQUET A nos morts ! Ils allument chacun la base d'un m�t, puis ils s'�loignent, m�che lev�e, en chantant. LANDRU, GABRIEL & ALBERT (ensemble) Ta-ta ta-la-la-la... Ta-ta ta-la-la-ta... Ta-ta ta-la-la- la... Ta-ta ta-la-la-ta... Plan d'ensemble de la foule, vue de dos sur la corniche au bord de la plage, avec les soleils qui tournent au-dessus de leurs t�tes. Plan rapproch� sur les soleils qui tournent. Retour sur la foule, avec les soleils au-dessus d'eux. Les deux gendarmes arrivent par derri�re et �cartent la foule. Sur la plage, plan rapproch�, en l�g�re contre-plong�e, des trois hommes qui regardent les soleils tourner. ALBERT QUENTIN Hong-Kong, la Cucaracha, Singapour et la petite Tonkinoise ! GABRIEL FOUQUET La Puerta del Sol ! ALBERT QUENTIN Et la f�te continue ! Plan moyen sur les soleils qui continuent � tourner. Contre-plong�e sur la foule au bord de la balustrade, comme vue de la plage. Au premier rang, les deux gendarmes. MAURICE Arr�tez cette plaisanterie, je vais vous coffrer, moi ! Plan moyen sur les trois hommes sur la plage. Ils ne rient plus. LANDRU Ils ont amen� les guignols ! Contre champ sur la foule et les gendarmes. MAURICE Je vous dis d'arr�ter cette plaisanterie ! Oh mais... Retour sur les trois hommes. LANDRU La d�lation, messieurs, r�clame un ch�timent. A nous les explosifs ! Ils partent en courant. ALBERT QUENTIN Joli temps pour les artilleurs ! Albert et Landru allument plusieurs fus�es en m�me temps. GABRIEL FOUQUET Aimable barbiflore, passez-moi les p�tards ! Landru d�signe une caisse. LANDRU L�, dans la caisse. C'est dans la boite. Gabriel se penche sur la caisse. GABRIEL FOUQUET Puisque vous n'avez rien de mieux. LANDRU La grenade offensive n'est pas courante en mercerie. GABRIEL FOUQUET On va t�cher de faire avec. Il prend des fus�es dans la caisse. Rapide plan g�n�ral sur le ciel illumin�, puis retour sur la plage. ALBERT QUENTIN Qu'est-ce qu'y a l�-bas dedans ? Il d�signe quelque chose du doigt. LANDRU Attention ! �a p�te ! Il d�signe la foule. Plan d'ensemble de la foule, men�e par les gendarmes, et qui descend le long de la rampe qui m�ne vers la plage. MAURICE Pour la derni�re fois, je vous somme de vous arr�ter ! Retour sur la plage et les trois hommes. ALBERT QUENTIN Gendarme, faites �vacuer les femmes et les enfants, je vais raser le littoral ! GABRIEL FOUQUET Nous allons rayer la Normandie de la carte ! Feu ! Il lance sa fus�e. Plan moyen de la charrette de Landru, gar�e au pied de la rampe qui descend vers la plage. La fus�e de Gabriel tombe dedans et allume les explosifs qu'elle contient. La foule, men�e par les gendarmes, et qui �tait presque arriv�e au bas de la rampe, s'arr�te net, et revient en courant vers le haut de la rampe. Toutes les fus�es, encore contenues dans la charrette, explosent les unes apr�s les autres. Plan d'ensemble de la foule qui remonte en d�sordre vers le haut de la rampe. Retour sur la plage et les trois hommes. Albert pointe la foule du DOIGT ALBERT QUENTIN L'ennemi est en fuite, mais maintenant une retraite s'impose, messieurs. LANDRU Chacun pour soi. Moi, je vais me baigner. Il court vers la mer, une m�che d'allumage � la main. GABRIEL FOUQUET Qu'est-ce qu'on fait ? ALBERT QUENTIN Descendons le Yang-Ts�-Kiang. C'est tout droit. Viens. Ils s'�loignent en courant. Plan d'ensemble des soleils qui continuent � tourner, avec Albert et Gabriel en premier plan. Plan moyen sur la charrette qui continue � exploser en continu. Retour sur Albert et Gabriel qui marchent toujours sur la plage, s'�loignant des soleils, qui s'�teignent et s'arr�tent de tourner, l'un apr�s l'autre. Fondu au noir. TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR JOUR Vue d'ensemble de la plage d�serte. TIGREVILLE - BLOCKHAUS SUR LA PLAGE - INT�RIEUR JOUR Dans le blockhaus o� Gabriel s'�tait r�fugi� pour ne pas �tre vu par Marie, Albert et Gabriel sont endormis, Albert, � moiti� assis contre un mur, et Gabriel, allong� par terre en face de lui. Albert se r�veille lentement. ALBERT QUENTIN Oh !... oh !... Gabriel se rel�ve lentement et se met en position assise. ALBERT QUENTIN Vous croyez pas qu'il serait temps de rentrer. GABRIEL FOUQUET Rentrer o� ? J'ai toujours entendu dire que, dans les cas de reniement, on entendait le coq chanter. Albert se met debout. ALBERT QUENTIN Oui, et ben, on parlera de �a plus tard, parce que j'ai un train � prendre. GABRIEL FOUQUET Vous allez toujours � Blangy ? Albert sort du blockhaus. ALBERT QUENTIN H� oui, mon p�re a l'habitude que je sois l�. Alors je serai l�, pas brillant, mais l�. Et vous, vous rentrez � Paris ? Gabriel se met debout. GABRIEL FOUQUET J'ai vu la mer, je ne peux pas aller plus loin. Il sort, lui aussi, du blockhaus. Par l'ouverture, on les voit s'�loigner lentement tous les deux. TIGREVILLE - PLAGE - EXT�RIEUR JOUR Sur la promenade, au bord de la plage, se d�roule une c�r�monie officielle. Des soldats en uniforme fran�ais, anglais, am�ricains, avec leurs drapeaux nationaux. Un officier anglais (ou am�ricain ?) lit une d�claration, avec une tr�s nette pointe d'accent anglais. OFFICIER ANGLAIS La France nous a toujours montr� le chemin de la libert�. Plusieurs soldats, au bord de la rambarde de pierre, se penchent pour regarder Albert et Gabriel, qui remontent l'escalier venant de la plage. OFFICIER ANGLAIS Libert�, libert� ch�rie, comme disait votre grand po�te Victor Hugo. C'est au nom de cette libert� que sont tomb�s les victimes de la prodigieuse bataille dont cette petite plage fran�aise fut le th��tre tragique. Albert et Gabriel sont maintenant arriv�s en haut des marches, et s'�loignent tranquillement, sans un regard pour la c�r�monie. L'assistance et les soldats, eux par contre, suivent les deux hommes du regard avec un certain int�r�t. Un l�ger brouhaha, peu respectueux pour la c�r�monie, s'�l�ve d'ailleurs de la foule. OFFICIER ANGLAIS Tragique, mais glorieux. Qu'il me soit permis de remercier plus particuli�rement cette ann�e monsieur le maire et messieurs les conseillers municipaux pour le magnifique feu d'artifice... Plan moyen d'Albert et Gabriel longeant la rang�e de cabines de plage, d'un pas tranquille et un peu trainant. OFFICIER ANGLAIS (voix off) ... qui a donn� � notre pieuse r�union un �clat dont nous nous inspirerons d�sormais. C'est pourquoi je crie, du fond du coeur : Vive les �tats-Unis, Vive l'Angleterre, Vive la France ! HOTEL STELLA - VESTIBULE DE R�CEPTION - INT�RIEUR JOUR Marie Fouquet est assise sur une chaise en face du bureau de r�ception, une valise pos�e � c�t� d'elle. Elle n'est plus en uniforme, mais, par contre, elle porte le pull-over que lui a offert son papa. Elle feuill�te un magazine. La porte s'ouvre lentement. Albert entre, suivi de Gabriel. Marie se l�ve. MARIE FOUQUET Papa ! Que je suis contente ! Elle monte debout sur la chaise pour embrasser son p�re. Albert referme la porte. Debout sur les premi�res marches de l'escalier, Suzanne regarde son mari. MARIE FOUQUET Alors, c'est vrai que tu m'emm�nes ? GABRIEL FOUQUET Mais bien s�r que te t'emm�ne. Elle l'embrasse encore, puis se frotte la joue. MARIE FOUQUET Dis donc, tu piques ! Albert se rapproche de Suzanne. ALBERT QUENTIN Alors, moi, personne m'embrasse, mais je pique aussi. Je vais me raser. Il monte deux marches et s'arr�te au niveau de Suzanne. ALBERT QUENTIN Euh... bon... ben... Boh, euh... Je prendrai le train de quinze heures, quoi. Derri�re eux, Gabriel est en train d'aider Marie � remettre son manteau. SUZANNE QUENTIN Je savais pas � quelle heure tu rentrerais, j'ai fait remonter ta valise, c'est idiot. ALBERT QUENTIN Ben oui, oh... Il monte l'escalier et passe devant Suzanne qui ne bouge pas, mais se retourne pour le suivre des yeux. DEAUVILLE - PLACE DE LA GARE - EXT�RIEUR JOUR Plan moyen de la DS break d'Albert sur le parking de la gare. Il y a des valises sur le toit. La porte arri�re droite s'ouvre, et Gabriel sort, suivi de Marie. Devant eux, Albert sort aussi de la voiture. Il porte un manteau et un chapeau, pr�t pour une visite au cimeti�re de son p�re. Gabriel et Albert r�cup�rent chacun leurs valises sur le toit, deux pour Gabriel, et une pour Albert. Suzanne, qui �tait au volant, fait le tour de la voiture. Marie s'approche d'elle. MARIE FOUQUET Au revoir, madame Quentin. Elle lui serre la main. SUZANNE QUENTIN Au revoir, ma petite Marie. Elle se penche et l'embrasse. Gabriel pose une de ses valises, et tend la main � Suzanne GABRIEL FOUQUET Au revoir, madame, merci pour tout. Ils se serrent la main. Gabriel se penche, r�cup�re sa valise et s'�loigne avec Marie, qui lui prend la main. Suzanne et Albert se regardent. SUZANNE QUENTIN Je t'attends mardi au train de six heures ? ALBERT QUENTIN Ben, bien s�r. SUZANNE QUENTIN T'oubliera pas ton changement � Lisieux ? Quelques m�tres plus loin, Gabriel a pos� ses deux valises en attendant Albert. ALBERT QUENTIN Tss-tss !... N'aie pas peur. SUZANNE QUENTIN Oh, j'ai pas peur. Je regrette que la petite Marie n'ait pas vu le feu d'artifice. C'�tait formidable. ALBERT QUENTIN Ils sont pas pr�ts d'en revoir un comme �a, va. Allez, au revoir. Ils s'embrassent sur les deux joues. Gabriel a r�cup�r� ses valises. Albert le rejoint. Travelling arri�re sur les trois voyageurs qui marchent vers la gare, Marie entre les deux hommes. Elle donne la main � son p�re, et timidement, elle tend la main � Albert, qui lui donne la main. Derri�re eux, Suzanne les regardent s'�loigner. Albert se penche et regarde Marie en souriant. Fondu enchain�. TRAIN - INT�RIEUR JOUR Plan moyen du compartiment, o� ils ne sont que tous les trois, Albert et Marie � c�t� de la vitre, et Gabriel � c�t� de Marie. Marie craque une allumette pour la cigarette de son p�re. Gabriel se penche sur l'allumette pour allumer sa cigarette. Marie souffle l'allumette et la jette dans le cendrier sous la vitre. Marie regarde Albert. MARIE FOUQUET C'est o� que tu changes de train ? ALBERT QUENTIN Ben, �a va pas tarder. MARIE FOUQUET T'as pas le temps de me raconter une autre histoire ? Juste une. ALBERT QUENTIN Ben, si tu veux, mais alors, c'est la derni�re. Et puis elle est vraie, celle-l�. Il se penche en avant. ALBERT QUENTIN Alors, �coute. En Chine, quand les grands froids arrivent, dans toutes les rues des villes, on trouve des tas de petits singes �gar�s sans p�re, ni m�re. On sait pas s'ils sont venus l� par curiosit� ou bien par peur de l'hiver, mais, comme tous les gens l�-bas croient que m�me les singes ont une �me, ils donnent tout ce qu'ils ont pour qu'on les ram�ne dans leurs for�ts, pour qu'ils retrouvent leurs habitudes, leurs amis. Si Marie semble tr�s attentive � l'histoire d'Albert, Gabriel, lui, sourit. ALBERT QUENTIN Et c'est pour �a qu'on voit des trains pleins de petits singes qui remontent vers la jungle. Albert se cale dans son si�ge. ALBERT QUENTIN Ah, on arrive. Par la vitre du compartiment, on voit un homme qui passe dans le couloir, une valise � la main. Marie le regarde passer. Albert remet son chapeau, et se l�ve. Il se penche sur Marie, qui se l�ve. ALBERT QUENTIN Allez, au revoir, ma belle. Ils s'embrassent. Gabriel se l�ve pour l'aider � attraper sa valise sur l'�tag�re au-dessus des si�ges. ALBERT QUENTIN Non, non, ne vous d�rangez pas. Il descend sa valise et la pose sur le si�ge. ALBERT QUENTIN Allez, au revoir. GABRIEL FOUQUET Au revoir. Gabriel se l�ve l�g�rement. Les deux hommes se serrent la main. Gabriel se rassoit. Albert sort dans le couloir. GARE DE LISIEUX - EXT�RIEUR JOUR Plan d'ensemble du quai, en travelling avant, comme si la cam�ra �tait pos�e sur la locomotive, dont on voit l'avant en premier plan. Le train venant de Deauville entre en gare, puis il s'arr�te. TRAIN - INT�RIEUR JOUR Gabriel et Marie sont debout dans le compartiment. Gabriel baisse la vitre. GARE DE LISIEUX - EXT�RIEUR JOUR Plan d'ensemble du quai avec la compartiment de Gabriel en premier plan. Gabriel se penche par la vitre de son compartiment. Marie appara�t � c�t� de lui. On voit Albert qui descend du train. Il ne se retourne pas vers Gabriel et Marie. MARIE FOUQUET Dis, papa, tu crois qu'il en a vu, des singes en hiver ? GABRIEL FOUQUET Je pense qu'il en a vu au moins un. ANNONCE (voix off sortant d'un haut-parleur) Lisieux. Les voyageurs pour Rouen, Azincourt (?), Blangy changent de train. Correspondance sur le m�me quai. D�part � dix heures... Albert s'assoit sur un banc, tournant le dos au train qu'il vient de quitter. Il pose sa valise � c�t� de lui. Il enl�ve son chapeau, qu'il pose sur le banc, met les mains dans ses poches, et sort un bonbon de l'une d'entre elles. Il enl�ve lentement l'enveloppe protectrice, sort le bonbon et le met dans sa bouche. Derri�re lui, le train red�marre. Gabriel et Marie sont toujours � la fen�tre de leur compartiment. Ils regardent Albert, qui, lui, ne tourne pas la t�te pour les regarder. Travelling en l�g�re plong�e. On a l'impression que la cam�ra est install�e dans le compartiment de Gabriel. Sur le quai, Albert ne bouge pas, environn�e par la fum�e provenant de la locomotive. On passe devant Albert et la cam�ra pivote pour rester point�e sur lui. Puis on le voit s'�loigner lentement, toujours assis sur son banc. Sur l'�cran, appara�t en lettres majuscules blanches : ... Et le vieil homme entra dans un long hiver... Le texte dispara�t, puis fondu au noir. FIN