JEUX INTERDITS (1951) Sc�nario : Fran�ois BOYER Adaptation : Jean AURENCHE, Pierre BOST, Ren� CL�MENT Un �cran noir sur lequel on entend la c�l�bre musique du film. Puis appara�t, sur l'�cran, une repr�sentation stylis�e du Lion de Saint-Marc, avec ailes et aur�ole, regardant vers la gauche et la patte avant droite pos�e sur un �vangile ouvert. Sur cette image, une inscription en lettres blanches : Ce Film a obtenu LE LION DE ST-MARC Puis, toujours en lettres blanches sur la m�me image : Supr�me r�compense de LA BIENNALE DE VENISE avec la Mention sp�ciale suivante : PUIS : � Pour avoir su �lever � une singuli�re puret� lyrique et une exceptionnelle force d'expression, l'innocence de l'enfance au-dessus de la trag�die et de la d�solation de la guerre. � NOTE La sc�ne suivante, pr�sente dans la version originale du film, a �t� coup�e dans de nombreuses copies diffus�es, de nos jours, aussi bien au cin�ma qu'� la t�l�vision. ILOT BOIS� - EXT�RIEUR JOUR C'est un paysage romantique, un peu irr�el, semblant sortir d'un conte de f�es. Une petite �le, o� sont plant�s de nombreux arbres. Nous sommes face � l'�le, comme si la cam�ra �tait situ�e sur l'eau, ou bien sur la rive en face de l'�le. Un peu sur la droite, on aper�oit une coquette petite maison au milieu des arbres. Devant la maison, un arbre est tomb� dans l'eau, mais l'extr�mit� inf�rieure du tronc repose toujours sur la rive de l'�le. Une petite fille de cinq ou six ans, v�tue d'une belle robe blanche, monte sur le tronc d'arbre, suivie d'un jeune gar�on d'une dizaine d'ann�es, v�tue tr�s �l�gamment comme un petit �colier anglais. Le petit gar�on jette une branche dans l'eau, puis vient s'asseoir � c�t� de la petite fille. Elle a un panier d'osier � la main, et lui un gros livre sous le bras. Les deux enfants se sourient. Il pose le livre sur ses genoux. Elle se penche vers lui. La petite fille ressemble �trangement � celle qui sera Paulette dans la suite du film, et le petit gar�on � celui qui sera Michel Doll�. MICHEL DOLL� C'est l'histoire d'une petite fille... PAULETTE D'une petite fille comment ? MICHEL DOLL� D'une petite fille comme toi, et d'un petit gar�on... PAULETTE D'un petit gar�on comme toi ? Michel rel�ve sa casquette, d�boutonne sa veste, et ouvre le livre. MICHEL DOLL� �coute... Il remet sa casquette en place. Paulette ouvre son panier et tend une sucette � Michel. PAULETTE Tu veux une sucette ? MICHEL DOLL� Apr�s. Gros plan de la couverture en maroquin du livre, et qui repr�sente les deux enfants se tenant par la main. Michel ouvre le livre � la premi�re page. Le g�n�rique est inscrit sur les pages du livre, et il d�file au fur et � mesure que Michel tourne les pages. La page qui suit la fin du g�n�rique raconte le d�but de l'histoire. Les doigts de Michel suivent le texte pendant qu'il lit. MICHEL DOLL� (voix off) � Jamais le mois de juin n'avait �t� aussi beau que cette ann�e-l�. � Paulette �coute Michel avec beaucoup d'attention tout en su�ant sa sucette. MICHEL DOLL� Tout �clatait de joie. Les bl�s, � travers la France, commen�aient � jaunir et pr�paraient du pain... � Michel tourne la page du livre. MICHEL DOLL� � ... pour quarante millions d'hommes... Et puis le soir, quand les hommes avaient bien fait leur travail, le chant du rossignol ruisselait dans les bois. � Parce qu'au mois de juin, les rossignols chantent. Gros plan sur le livre et le doigt de Michel qui suit le texte. MICHEL DOLL� (voix off) � Et les rossignols de cette ann�e-l� chantaient comme d'habitude et ne savaient pas ce qui se passait en France. � Michel tourne la page. La page suivante occupe tout l'�cran, et repr�sente un plan g�n�ral d'une rivi�re travers�e par un pont. NOTE Retour � la version normale, telle qu'elle est pr�sent�e dans toutes les copies du film. Dans les copies, o� la sc�ne pr�c�dente a �t� coup�e, le g�n�rique est toujours pr�sent� sur un livre dont on tourne les pages, sauf que le fond, en arri�re-plan du livre, n'est plus la rivi�re, mais un tissu � motif de fleurs, et que la main, qui tourne les pages, n'est plus celle de Michel, mais celle d'une femme. Apr�s la fin du g�n�rique, on passe directement sur une vue plus rapproch�e du pont enjambant la rivi�re. Sur cette image appara�t, en lettres blanches, le texte suivant : JUIN 1940 ROUTE DE CAMPAGNE - EXT�RIEUR JOUR Plan d'ensemble du pont. Ce pont est la continuation d'une route de campagne, sur laquelle marche un grand nombre de personnes, portant des sacs et des valises, trainant des enfants. Certains poussent ou tirent des charrettes, sur lesquelles sont empil�s des objets h�t�roclites. Certaines de ces charrettes sont tir�es par un cheval. Il y a m�me quelques v�los, des voitures et des camionnettes. Plans sur la route, puis de nouveau le pont, et plans rapproch�s sur les gens en exode. Nous reconnaissons cette sc�ne comment �tant celle du malheureusement c�l�bre exode de 1940. Tout � coup, on entend un bruit de moteur d'avion. Un plan du ciel nous montre un groupe d'avions allemands. (La plupart des photos d'avions allemands dans le ciel proviennent de films d'archive de la guerre.) La foule des gens en exode fuit dans tous les sens pour �viter les bombes l�ch�es par les avions, abandonnant, sur la route, leur charrettes, leurs voitures, leurs v�los, et m�me leurs baluchons. Les gens se pr�cipitent sur les bas-c�t�s de la route, se cachant derri�re les talus. Le bruit des moteurs d'avion augmente et une femme se met � hurler. Plan du ciel. Un avion bascule sur l'aile pour descendre en piqu� sur la foule. Retour sur la foule des r�fugi�s qui court pour s'abriter des avions. Un avion l�che des bombes. Des bombes �clatent pr�s du pont, soulevant des nuages de poussi�re. Plan rapproch� sur une femme qui hurle. Les bruits des avions s'�loignent et les gens aplatis � terre commencent � relever la t�te. Puis ils se pr�cipitent vers la route en se bousculant pour r�cup�rer leurs affaires et reprendre leur exode. Parmi ces gens, un jeune couple avec une petite fille blonde de cinq ou six ans. Il s'agit de Paulette et de ses parents. Paulette tient un petit chien noir et blanc dans ses bras. La famille s'installe dans sa voiture (une Peugeot 202 d�capotable et d�capot�e), le p�re au volant, la m�re � c�t� de lui avec la fillette sur ses genoux. Le p�re actionne le d�marreur, le moteur tousse, mais ne veut pas d�marrer. Il recommence l'op�ration deux fois, toujours sans succ�s. On entend une autre voiture qui klaxonne derri�re lui. Le p�re l�ve les bras en signe d'impuissance et essaie, encore une fois, de d�marrer... sans succ�s. Cette fois-ci, ce ne sont plus des coups de klaxon, mais des cris qui retentissent. DES VOIX DIVERSES Alors quoi ?... D�gagez !... D�gagez !... P�RE PAULETTE Mais je fais ce que je peux ! La m�re, qui semble g�n�e, se retourne. Le p�re, lui, sort de la voiture et soul�ve le capot du moteur. Si les pi�tons continuent � marcher, en jetant un regard rapide et indiff�rent � la voiture, les automobilistes, qui sont bloqu�es par la voiture en panne, vocif�rent des propos inintelligibles. Puis ils se rapprochent de la voiture, bouscule le p�re, et commencent � pousser la voiture vers le bas-c�t�. La m�re, affol�e, sort de la voiture, avec sa fille. La voiture d�vale le bas-c�t� de la route et s'immobilise dans une prairie. Le p�re court derri�re sa voiture. P�RE PAULETTE Ah, les salauds !... Il s'approche de la voiture. P�RE PAULETTE Elle est foutue !... Paulette se pr�cipite sur la voiture immobilis�e, ouvre la porti�re et r�cup�re son petit chien. Elle le cajole et pleurnichant. PAULETTE Mon petit Jock, mon petit chien... Ses parents sortent des paquets et des valises de la voiture. M�RE PAULETTE Qu'est-ce qu'on fait ? P�RE PAULETTE Mais ne t'�nerve pas, il faut passer le pont. La m�re voudrait emporter tous leurs bagages. Le p�re s'interpose. P�RE PAULETTE On peut pas tout prendre. On va pas continuer avec trois valises !... Paulette, indiff�rente aux probl�mes de ses parents, continue � cajoler son chien, en marmonnant, d'une voix un peu pleurnicharde : � Mon petit chien... Mon petit chien... � La m�re ramasse ses baluchons et entra�ne sa fille vers la route. Le p�re, charg� lui aussi, les suit, mais marque un temps d'arr�t, se retourne, et regarde sa voiture une derni�re fois. Paulette et ses parents arrivent sur la route o� tout le monde court. On entend, de nouveau, les bruits d'avion qui se rapprochent. Dans le ciel, arriv�e d'une imposante escadrille d'avions. Les avions l�chent de nouveau leurs bombes. On voit les bombes qui �clatent au milieu des pauvres � exodiens �. Les gens courent dans tous les sens. Une vieille femme se cache derri�re un arbre. Le p�re, la m�re et Paulette, comme d'autres personnes qui les entourent, se jettent � terre, entour�s de leurs paquets. Un cheval, attel� � une charrette, se cabre. Une roue de la charrette surcharg�e casse. Le cheval hennit. Sur la route, les bombes soul�vent des nuages de poussi�re. Le bruit effraie le petit chien, qui se lib�re des bras de Paulette et s'enfuit vers le pont. PAULETTE Jock !... Jock !... Paulette l'appelle, puis part � sa poursuite. Sa m�re la regarde, affol�e. M�RE PAULETTE Paulette !... Paulette !... P�RE PAULETTE Paulette !... Criant � Paulette !... Paulette !... �, la m�re, suivie du p�re, se lancent, en courant, � la poursuite de Paulette, qui, finalement, rattrape son chien au milieu du pont. Les parents rejoignent leur fille, qui cajole son chien dans ses bras. Un avion fonce vers eux. Le p�re entra�ne sa femme et sa fille � se coucher � c�t� de lui, dans une alc�ve m�nag�e dans le parapet du pont. Juste au-dessus d'eux, une affiche est coll�e sur le parapet, et sur laquelle est �crit : � Samedi prochain, au Caf� des Amis, les Ma�tres du Myst�re : le professeur Olaf et son m�dium Mlle Givrialda. �. L'affiche comporte aussi des portraits des deux � artistes �. Sur le pont, on peut suivre l'avanc�e du mitraillage effectu� par l'avion. A chaque impact correspond une petite gicl�e de poussi�re. Cette ligne de mitraille atteint la petite famille, passe sur le corps du p�re et de la m�re, mais �vite Paulette, plus petite qu'eux. Le p�re et la m�re pousse un cri. Le p�re retombe, inanim�. La m�re a un soubresaut puis se retourne sur le c�t�. Paulette rel�ve la t�te et regarde sa m�re, ne semblant pas comprendre ce qui vient de se passer. Elle lui caresse la joue, puis caresse sa propre joue. Elle r�p�tera souvent ce dernier geste au cours du film. Elle se redresse lentement, puis se recouche � c�t� de sa m�re, la t�te appuy�e sur son chien, qui est agit� de l�gers tremblements. Il a donc, lui aussi, �t� touch� par la mitraille. Elle reste un long moment � regarder le visage de sa m�re, puis elle se redresse de nouveau. Elle ramasse son chien et se rel�ve compl�tement. Le chien n'a plus que quelques tremblements convulsifs des pattes arri�re. Paulette le cajole et l'embrasse. Autour de Paulette, les bombes continuent � tomber, sans que cela semble la perturber. Le cheval fou, effray� par l'une des derni�res bombes tir�es par les avions qui, maintenant, s'�loignent, se met � trotter en tra�nant sa charrette � une roue derri�re lui. Il traverse le pont. Paulette fait un �cart pour l'�viter. Il est suivi par la foule des gens qui ont repris leur exode. Paulette se fait bousculer sans m�nagement. Un homme d'une cinquantaine d'ann�es, tirant une charrette � bras, s'arr�te � la hauteur de Paulette. Sur la charrette, assise sur un amas de colis h�t�roclites, une vieille femme au visage rev�che. L'HOMME Ben, qu'est-ce que tu fais l�, toi ? Tu veux te faire �craser... Allez, viens ! Allez, grimpe ! L'homme aide Paulette � monter sur la charrette, puis se repositionne entre les brancards de sa charrette et se remet en marche. Paulette s'assoit sur les paquets � c�t� de la vieille, qui la regarde d'un air peu aimable et dit en grognant � l'homme : LA VEILLE FEMME On n'est pas assez charg� comme �a ? Elle regarde le chien que Paulette tient dans ses bras. Elle cherche � le lui prendre et Paulette r�siste. PAULETTE Non ! LA VEILLE FEMME Tu vois pas qu'il est mort ! PAULETTE Ah ?... Il est mort ? La vieille finit par lui prendre le chien des mains. LA VEILLE FEMME Mais oui, voyons ! Elle le jette par-dessus le parapet, dans la rivi�re. Paulette regarde son chien flotter au fil du courant. L'homme s'arr�te � l'extr�mit� du pont, g�nant un peu le passage des automobilistes, qui klaxonnent. Le conducteur d'une camionnette est plus insistant que les autres. L'HOMME Casse-la moi, ma charrette, et je te fous le feu � ton camion. LA VEILLE FEMME Oh, toi, si tu veux te battre, c'est pas par l�, la guerre. L'homme se tourne vers elle. L'HOMME Et toi, garde ton souffle pour p�ter ! LA VEILLE FEMME T'occupe pas de mes fesses ! L'HOMME T'es encore bien contente que je m'en occupe ! Profitant de la dispute, Paulette descend de la charrette. Elle se faufile sous la charrette, puis elle se penche par-dessus le parapet, et elle voit son chien qui d�rive au fil de l'eau. Elle file vers l'extr�mit� du pont. CHEMIN LONGEANT RIVI�RE - EXT�RIEUR JOUR Le cheval fou, tra�nant toujours son attelage cass�, galope le long de la rivi�re. Paulette descend sur la berge, et commence � trottiner le long de la rivi�re, suivant la progression de son chien, qui flotte dans l'eau. Un avion passe dans le ciel. Le cheval trotte maintenant plus lentement le long de la berge. Paulette trottine toujours le long de la rivi�re en surveillant son chien. L'avion repasse dans le ciel, et le cheval s'emballe un peu. Le chien se rapproche de la berge. Le cheval s'�loigne de la rivi�re et galope � travers champs. Paulette se penche pour r�cup�rer son chien, qui est maintenant tout pr�s de la berge. Le cheval trotte maintenant sur un chemin, mais ralentit son allure. Le moyeu de la roue cass�e roule sur le bord du chemin. Derri�re le cheval et sa charrette cass�e, Paulette trottine avec son chien dans les bras. PR� DES DOLL� - EXT�RIEUR JOUR Un jeune gar�on d'une dizaine d'ann�es tire une vache derri�re lui, pour l'amener dans le pr�, o� il y a d�j� une dizaine d'autres vaches. C'est visiblement un petit paysan, culotte de velours c�tel�e � mi-genoux, chemisette rapi�c�e, b�ret et galoches sans chaussettes. Il tient un b�ton � la main. Il s'agit de Michel Doll�. Michel s'arr�te net en voyant le cheval s'avancer dans le champ. MICHEL DOLL� Un cheval !... Qu'est-ce que c'est que ce cheval ? Michel court vers le pr� voisin, o� l'on aper�oit deux paysans et une paysanne en pleine fenaison. Les deux hommes sont le p�re de Michel et son fils a�n� Georges, et la femme est la m�re de Georges et Michel. Pr�s d'eux, un mulet attel� � une charrette. MICHEL DOLL� Y a un cheval !... Les trois paysans l�vent la t�te aux cris de Michel, et regardent dans la direction qu'il indique. LE P�RE DOLL� Ben oui... Qu'est-ce que c'est que ce... ? Le cheval s'est arr�t� au milieu des vaches. Georges court vers lui. Au loin, on aper�oit un autre fils Doll�, Raymond, qui arrive de la ferme. LA M�RE DOLL� Attention ! Georges, c'est un cheval de la guerre ! Touches-y pas ! Dans le ciel, un avion passe, presque en rase-motte. Georges s'arr�te de courir et regarde l'avion. Puis il reprend sa course vers le cheval. Il s'approche de l'animal et lui tapote l'encolure. L'avion revient, et le cheval, affol�, s'emballe et renverse Georges. Georges g�mit en se tenant le ventre. Ses parents et Raymond accourent vers lui. GEORGES DOLL� Ahhh !... LE P�RE DOLL� Ils t'ont tir� dessus ? GEORGES DOLL� Et non ! C'est ce putain de cheval ! LA M�RE DOLL� Je t'avais bien dit, de ne pas y toucher. Les parents et Raymond soul�vent Georges pour le transporter � la ferme. GEORGES DOLL� Ah !... Ah !... Doucement, bon Dieu !... Vous me faites mal... Vous me faites mal ! Michel les regarde s'�loigner, puis se retourne vers les vaches. MICHEL DOLL� Y'a la Titine qui a foutu le camp ! En effet, l'une d'entre des vaches se sauve au galop. Michel court derri�re la vache qui galope vers la rivi�re. MICHEL DOLL� H� !... H� !... CHEMIN LONGEANT RUISSEAU - EXT�RIEUR JOUR Paulette marche le long d'un ruisseau, qui doit �tre un affluent de la la rivi�re qui passe sous le pont de la route. Elle serre toujours son chien mort contre elle. La vache descend vers le ruisseau... et Paulette, qui se met � pleurer. La vache s'arr�te un instant pr�s de Paulette, puis elle s'�loigne. Michel arrive alors que la vache part en trottant dans le ruisseau. MICHEL DOLL� H� ! H� ! Il s'arr�te pr�s de Paulette. MICHEL DOLL� Alors, quoi ? Tu pouvais pas l'arr�ter ? Paulette secoue la t�te. PAULETTE Non. Les deux enfants se regardent, un peu intimid�s l'un par l'autre. MICHEL DOLL� T'as peur ? PAULETTE J'ai pas peur, c'est pas m�chant, une vache. MICHEL DOLL� Alors quoi ? PAULETTE Je pouvais pas, j'ai mon chien. MICHEL DOLL� Qu'est-ce qu'il a, ton chien ? PAULETTE Il est mort. MICHEL DOLL� D'o� tu viens, toi ? Paulette montre une direction assez vague. PAULETTE Par l�. MICHEL DOLL� T'es pas d'ici, toi ? PAULETTE Non. Et toi ? MICHEL DOLL� Moi, oui... O� elle est, ta m�re ? PAULETTE Elle est morte. MICHEL DOLL� Et ton p�re ? PAULETTE Il est mort. Un silence. Michel regarde Paulette, sans savoir trop quoi dire. Puis il se dirige vers le ruisseau. MICHEL DOLL� Et bien, moi, mon p�re, il est pas mort ! Et il va me fiche une racl�e si je ram�ne pas la vache. Il s'arr�te au bord de la rive et se tourne vers Paulette. MICHEL DOLL� Allez ! Viens ! Aide-moi � la ramener. Paulette h�site. PAULETTE Mais mon chien ? MICHEL DOLL� Laisse-le, ton chien, je t'en donnerai un autre. Paulette pose le chien au pied d'un fourr�, puis elle se dirige vers Michel. PAULETTE Un beau ? MICHEL DOLL� Un pas mal. PAULETTE O� est-ce qu'il est ? MICHEL DOLL� A la maison. Il lui tend la main pour l'aider � traverser le ruisseau. Derri�re eux, la vache broute tranquillement. Les deux enfants, se tenant par la main, courent vers la vache, qui se met � courir devant eux FERME DES DOLL� - CHEMIN - EXT�RIEUR JOUR Le chemin qui m�ne � la ferme des Doll�. Un chien trottine sur le chemin vers la vache et les enfants. La vache marche devant les enfants. Michel tient son b�ton d'une main et la cha�ne de la vache de l'autre. PAULETTE C'est ce chien-l� que tu vas me donner ? MICHEL DOLL� Non, celui-l�, c'est aux voisins. Le chien d�passe les enfants et se retourne. Il grogne un peu. Michel lui donne un coup de pied. PAULETTE Il sait nager ? MICHEL DOLL� Je sais pas. On est f�ch�s avec les voisins. PAULETTE Comment c'est, son nom ? MICHEL DOLL� Nous, on l'appelle Gouard. C'est le nom des voisins. PAULETTE Et vous, c'est comment, votre nom ? MICHEL DOLL� Doll�. PAULETTE Et toi ? MICHEL DOLL� Michel... Et toi ? PAULETTE Paulette. MICHEL DOLL� T'es parisienne, toi ? PAULETTE Oui. Et toi ? Michel r�pond d'un ton moins enjou�, visiblement d��u de ne pas �tre Parisien. MICHEL DOLL� Moi, non. La vache acc�l�re le pas, obligeant les enfants � acc�l�rer le leur. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Les deux enfants, suivant la vache, traversent la cour de la ferme. FERME DES DOLL� - �TABLE - INT�RIEUR JOUR La vache entre dans l'�table, o� se trouvent d�j� d'autres vaches. Les enfants entrent derri�re elle. Paulette a l'air un peu soucieuse. PAULETTE Ton p�re... le chien, il voudra que je le garde ? MICHEL DOLL� Je sais pas. On entend aboyer un chien. Les enfants ressortent pour regarder. Le p�re Doll� les bouscule pour prendre une fourche. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Le p�re Doll�, sa fourche � la main, poursuit le chien des Gouard � travers la cour. Le chien traverse en courant la passerelle qui s�pare les deux fermes. LE P�RE DOLL� Qu'est-ce que tu viens foutre encore chez moi, chien de cocu ? Les deux enfants se rapprochent du p�re Doll�. On aper�oit le p�re Gouard, un seau � la main, dans la cour de sa ferme. LE P�RE DOLL� Je t'apprendrai � �couter aux portes ! FERME DES DOLL� ET DES GOUARDS - COUR - EXT�RIEUR JOUR Plan sur les cours des deux fermes, avec une passerelle de bois entre les deux. Le p�re Gouard regarde son voisin d'un air furieux. LE P�RE GOUARD Qu'est-ce qu'il t'a fait, mon chien ? LE P�RE DOLL� Il m'a fait qu'il vient gueuler chez moi. Et j'ai un bless� ! Le p�re Gouard ricane. LE P�RE GOUARD Tu soignes les bless�s, maintenant ? Pour qu'ils cr�vent plus vite ? LE P�RE DOLL� C'est bon pour toi, de faire crever les gens ! LE P�RE GOUARD Je fais crever les gens, moi ? Et qui c'est qui te l'a tir�e de l'eau, ta grand-m�re ? LE P�RE DOLL� Elle �tait d�j� noy�e, la grand-m�re, quand tu l'as sortie ! LE P�RE GOUARD Preuve que non, c'est qu'on me l'a donn�e, la m�daille de sauvetage. LE P�RE DOLL� Je t'avais rien demand�... Et puis, tu me les casses, avec ta m�daille de sauvetage. Il semble furieux, mais il renonce � discuter plus longtemps. Il se retourne et d�couvre Paulette donnant la main � son fils. Paulette semble assez inqui�te sous le regard per�ant du paysan. LE P�RE DOLL� Qu'est-ce que c'est encore, �a ? MICHEL DOLL� Elle vient de la route... Son p�re a �t� tu�, et puis sa m�re... Le p�re Doll� se rapproche de Paulette, puis il se tourne, un peu g�n�, vers Michel. LE P�RE DOLL� Ben... Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Il s'�loigne d'eux. Michel tire Paulette par la main. MICHEL DOLL� On pourrait peut-�tre la garder... LE P�RE DOLL� T'es pas fou ? Avec ton fr�re qui est bless�. Michel prend un air hypocritement r�sign�. MICHEL DOLL� Ben tant pis... Elle va aller chez les Gouard. Doll� sursaute. Il regarde Michel d'un air furieux. LE P�RE DOLL� Chez les Gouard ? T'as pas honte ? Pour qu'il demande encore une autre m�daille ? Il pose sa fourche et regarde Paulette en souriant. LE P�RE DOLL� Allez, viens, tu vas nous raconter �a... Il pousse les deux enfants vers l'entr�e de la ferme. Avant d'entrer dans la maison, Il se retourne un instant vers la ferme des Gouard. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Michel tient une Paulette un peu apeur�e par la main. Elle regarde vers le lit o� l'on entend Georges qui crie. GEORGES DOLL� (voix off) Et doucement !... Bon Dieu !... Vous me faites mal... Les deux enfants, qui se tiennent toujours par la main, s'approche du lit, sur lequel on a couch� Georges. Son fr�re Raymond et sa soeur Berthe sont en train, assez maladroitement, de lui retirer son pantalon. Paulette a l'air assez intrigu�e par la sc�ne. GEORGES DOLL� Oh, la vache de cheval !... Oh, doucement !... RAYMOND DOLL� Ben, aide un peu !... Berthe viens enfin de retirer le pantalon de son fr�re. Elle le retourne pour le plier et de la monnaie tombe des poches. GEORGES DOLL� Mes sous !... Faut qu'on ramasse mes sous. Georges s'installe dans le lit, aid� par son fr�re. Berthe se penche pour ramasser l'argent tomb� de la poche du malade. La m�re s'approche, un verre � la main. LA M�RE DOLL� Un peu de lait, �a ne te fera pas de mal. RAYMOND DOLL� Il aimerait peut-�tre mieux de la goutte ! GEORGES DOLL� Oh oui, j'aime mieux ! Raymond est visiblement le moins brillant, intellectuellement, de tous les enfants Doll�. Il borde le lit. La m�re se penche vers son fils. LA M�RE DOLL� Bois, mon pauvre Georges. Georges d�couvre Paulette. GEORGES DOLL� Qui c'est qu'est l�... l� ? Raymond, Berthe et leur m�re se tourne vers Paulette. Le p�re repose le verre de vin qu'il venait de boire et s'approche de Paulette. LE P�RE DOLL� Ben oui... Ben je vais te dire... Elle vient de la route... Il prend Paulette par les �paules. Mais Michel la reprend pour la plaquer contre lui. MICHEL DOLL� C'est moi qui l'ai trouv�e. LE P�RE DOLL� Oh ! Toi !... La m�re repose le verre de lait, toujours plein, sur la table afin de mieux examiner Paulette. Elle s'assoit en face d'elle, pendant que le p�re se coupe une tranche de pain. LA M�RE DOLL� Ben, qui que c'est ?... Mais elle est habill�e en dimanche... Berthe s'approche de Paulette et t�te le tissu de sa robe. BERTHE DOLL� C'est du tissu comme �a que je voulais pour ma robe. Elle soul�ve la robe de Paulette, qui lui d�gage la main. PAULETTE Non ! Le p�re continue � couper des tranches de pain. LE P�RE DOLL� Ses parents ont �t� tu�s sur la route. Alors... elle va nous raconter �a. Le p�re tend une tranche de pain � Paulette, mais Michel la saisit au passage. MICHEL DOLL� C'est moi qui lui donne. Les autres enfants Doll� entourent Paulette. BERTHE DOLL� C'est vrai, �a ? Tu vas nous raconter la guerre ? REN�E DOLL� T'as vu des bombardements ? RAYMOND DOLL� D'o� tu viens ? LE P�RE DOLL� Comment qu'on t'appelles ? BERTHE DOLL� Quel �ge que t'as ?... LA M�RE DOLL� Oh ! Ben, tu veux rien nous dire. MICHEL DOLL� T'as pas soif ? Michel prend le verre de lait sur la table et le tend � Paulette, qui le regarde d'un air un peu d�go�t�. MICHEL DOLL� Tiens ! PAULETTE C'est sale ! La m�re prend le verre des mains de Michel, et plonge son doigt dans le lait. LA M�RE DOLL� Oh ! Ben forc�ment, tiens ! Regarde ton verre, y a une mouche. La m�re retire la mouche du verre et tend le verre � Paulette, qui ne le prend pas. LA M�RE DOLL� Tiens. Bois... Mais t'as pas soif ? PAULETTE Non ! Paulette semble encore plus d�go�t�e. BERTHE DOLL� Elle en veut pas !... LE P�RE DOLL� Vous lui faites peur � tourner autour. C'est pas une b�te curieuse. Allez, faut faire un peu semblant de ne pas s'occuper d'elle. Tous s'�loignent de Paulette, sauf Michel. Paulette, qui a toujours sa tranche de pain � la main, se tourne vers Michel. PAULETTE Michel, je suis fatigu�e. Michel soul�ve Paulette, un peu difficilement, mais avec beaucoup de tendresse, et la d�pose sur un lit voisin. Fondu au noir FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT Un peu plus tard. Le p�re est assis sur l'un des deux bancs qui longent la grande table, avec Paulette endormie sur les genoux. En face de lui, sur l'autre banc, Michel fait ses devoirs. Raymond, assis dans un fauteuil, bricole un morceau de bois. Le p�re lit le journal d�pli� devant lui, et en appui sur une bouteille. Une lampe � p�trole, pos�e sur la table, �claire la sc�ne. LE P�RE DOLL� � La situation militaire s'�tait brusquement aggrav�e sur tous les fronts au cours de la journ�e d'hier. Les ministres ont si�g� en permanence. � RAYMOND DOLL� Ah ! Tu vois ! LE P�RE DOLL� Ouais... Paulette, toujours dans les bras du p�re Doll�, ouvre un oeil et regarde Michel. Celui-ci fait le pitre en calant un crayon sous son nez, comme une moustache. Pendant que le p�re reprend sa lecture, Paulette fait semblant de se rendormir en fermant les yeux. Michel pose le crayon, fait une petite boulette de papier et l'envoie en direction de Paulette. LE P�RE DOLL� � A Bucarest, le Cabinet Tata...res, ou... �. �a, je m'en fous... � La r�sistance de nos troupes reste souple et efficace... L'archev�que de Westminter (il prononce � la fran�aise : veste-munster) ordonne... � Le p�re s'arr�te net de lire, car il vient de recevoir, dans la figure, le projectile destin� � Paulette. Il se frotte le nez et se tourne vers Michel. LE P�RE DOLL� Fais ton probl�me Par-dessus l'�paule du p�re, on peut lire le journal qu'il lit. Il s'agit de � La Montagne �. A la une du journal, le gros titre suivant : � Reynaud d�missionne. P�tain lui succ�de. � Michel a repris son probl�me, dont il fait profiter tout le monde. MICHEL DOLL� Un r�ti de veau de deux kilos cinq a co�t� cent quarante- deux francs. LE P�RE DOLL� � Alerte sur Malte... � Tiens !... MICHEL DOLL� Combien co�terait, � ce prix, une escalope de veau de cent cinquante grammes. Berthe, qui descend l'escalier du grenier, un oreiller sous le bras, arrive derri�re Michel et regarde le dos du journal, toujours appuy� sur la bouteille. BERTHE DOLL� Ah ! Dis donc ! Le p�re regarde Paulette. LE P�RE DOLL� La r�veille pas. Berthe rel�ve la t�te. BERTHE DOLL� Le fils Gouard... LE P�RE DOLL� Le fils Gouard ? Le p�re retourne le journal. Et sur la derni�re page, on voit la photo d'un soldat, entre les rubriques � Echos � et Faits Divers �. Raymond s'approche du journal RAYMOND DOLL� T'es folle, ben pourquoi il serait sur le journal, le fils Gouard ? BERTHE DOLL� Et pourquoi pas ? Si on l'a d�cor� ! RAYMOND DOLL� D�cor� ? Le Francis ? Et bien, �a me ferait bien mal. BERTHE DOLL� En tous cas, il y est, lui, � la guerre ! Le p�re replie son journal et regarde sa fille d'un air visiblement �nerv�. LE P�RE DOLL� T'as pas � parler du fils Gouard... Qu'est-ce que tu veux ? BERTHE DOLL� Une couverture pour la gosse. LA M�RE DOLL� Prends-la... Ben prends-la � Raymond. Raymond se pr�cipite vers son lit et s'assoit dessus. Derri�re la m�re Doll�, on aper�oit Ren�e, la fille cadette, qui essuie la vaisselle. RAYMOND DOLL� Oh ! Pardon !... Moi, j'en ai pas de trop... Michel se tourne vers Berthe. MICHEL DOLL� Prends la mienne... Raymond se l�ve du lit. RAYMOND DOLL� C'est pareil, on a le m�me lit ! MICHEL DOLL� Alors, j'ai le droit de la donner. Raymond regarde, d'un air penaud, sa soeur prendre la couverture. RAYMOND DOLL� Oh !... Ben non alors ! Michel retourne vers ses devoirs. Le p�re regarde Paulette endormie avec une certaine tendresse. LE P�RE DOLL� Pauvre gosse ! LA M�RE DOLL� A cet �ge-l�, �a se rend pas compte. RAYMOND DOLL� Dix-sept, il en est mort, rien qu'aujourd'hui sur le pont, et � c�t�... Ils n'ont m�me plus de cercueil pour les enterrer. Le p�re se tourne vers Georges. LE P�RE DOLL� Tu vois, c'est pas le moment de mourir, t'auras m�me pas de bo�te ! GEORGES DOLL� Qu'est-ce qu'on en fait, des morts ? RAYMOND DOLL� On fait un trou, et hop !... comme des chiens. Le p�re se penche sur Paulette, qui semble toujours endormie sur ses genoux. LE P�RE DOLL� Chut !... C'est pas des choses � raconter. LA M�RE DOLL� Mais elle dort... Le p�re regarde tendrement Paulette, qu'il tend d�licatement � la m�re. LE P�RE DOLL� Allez... Celle-ci la prend dans ses bras, et commence � monter l'escalier, suivie par Ren�e et Michel, qui sourit. Le p�re ramasse son journal, se l�ve, et se dirige vers Georges. LE P�RE DOLL� T'as vu ? Il s'assoit sur bord du lit. Georges semble souffrir tellement qu'il ne s'aper�oit m�me pas de sa pr�sence. LE P�RE DOLL� � Un side-car allemand tomb� aux mains de nos troupes... � Regarde. Il tend le journal � Georges, qui soupire sans le regarder. LE P�RE DOLL� T'as mal ? GEORGES DOLL� Ouais !... Oh ! Je sais pas. FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR NUIT Berthe pr�pare le lit de Paulette, pendant que la m�re la d�shabille. Paulette, debout, se frotte les yeux. Michel regarde la sc�ne. BERTHE DOLL� Ce qu'elle est propre !... Ren�e lui sent la chevelure REN�E DOLL� On dirait du parfum. Berthe la sent � son tour. BERTHE DOLL� Ben non, c'est qui sont propres. REN�E DOLL� Elle ne s'habituera jamais ici. La m�re couche Paulette sur le lit. MICHEL DOLL� Pourquoi qu'elle s'habituerait pas ? La m�re borde le lit, aid�e par Berthe. LA M�RE DOLL� Tu voudrais bien la garder, toi, hein ? Elle se tourne vers ses enfants. LA M�RE DOLL� Allez, hop ! Descendez ! Elle prend la lampe � p�trole et descend l'escalier, en poussant ses filles devant elle. Michel ferme la marche. Paulette se retourne dans son lit. PAULETTE J'ai peur... Je ne veux pas rester dans le noir. MICHEL DOLL� T'auras qu'� crier Michel. Je reviendrais. Il continue � descendre. Paulette chuchote : PAULETTE Michel !... Michel tourne la t�te avant de dispara�tre compl�tement dans l'escalier. MICHEL DOLL� Plus fort... Paulette hausse la voix. PAULETTE Michel !... MICHEL DOLL� Comme �a ! Michel descend l'escalier. PAULETTE Michel !... Paulette a maintenant des larmes dans la voix. PAULETTE Michel !... Michel !... FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT Michel s'approche du lit de son fr�re, sur lequel le p�re est toujours assis. On entend Paulette appeler du grenier. PAULETTE (voix off) Michel !... Michel !... Le p�re se tourne vers Michel. LE P�RE DOLL� Qu'est-ce qu'elle veut ? MICHEL DOLL� Je sais pas, elle m'appelle. PAULETTE (voix off) Michel !... GEORGES DOLL� Ah ! Faites-la taire, Bon Dieu ! LE P�RE DOLL� Allez, fais-la taire ! MICHEL DOLL� Et mon probl�me ? PAULETTE (voix off) Michel !... LE P�RE DOLL� Fais ce qu'on te dit. MICHEL DOLL� Bon... je ferai pas mon probl�me. Michel remonte l'escalier. PAULETTE (voix off) Michel !... Michel !... FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR NUIT Dans la p�nombre, Michel s'approche du lit et se penche vers Paulette. PAULETTE J'y vois rien. MICHEL DOLL� Ferme les yeux, compte jusqu'� dix et tu verras... Combien j'ai de doigts ? Michel met sa main sous le nez de Paulette, qui s'est l�g�rement redress�e, appuyant sa joue sur son poing ferm�. PAULETTE Je te dis que je n'y vois rien. MICHEL DOLL� Alors, tu sais pas compter. PAULETTE Trois ! MICHEL DOLL� Tu vois bien qu'on y voit. Paulette tire la langue � Michel. MICHEL DOLL� Pourquoi tu me tires la langue ? PAULETTE Pour voir si tu y vois. La pi�ce est brusquement �clair�e d'une vive lumi�re, suivie du bruit d'un bombardement. Michel se l�ve et se pr�cipite vers la lucarne. MICHEL DOLL� Oh ! Une fus�e... Viens voir. Paulette se cache sous la couverture. PAULETTE J'ai peur, il faut se coucher par terre. Michel se tourne vers Paulette, toujours cach�e sous sa couverture. MICHEL DOLL� Tu as peur quand il fait noir, et puis tu as peur quand �a �claire ! Paulette sort la t�te de sa couverture. PAULETTE �a �claire encore ? MICHEL DOLL� Non. Une vive lumi�re sort de la lucarne. Paulette se recache. PAULETTE Menteur !... Michel ferme le volet int�rieur de la lucarne. MICHEL DOLL� Bon... Voil�... La pi�ce est tr�s sombre tout � coup. Michel se dirige vers le lit et soul�ve la couverture, d�couvrant le visage apeur� de Paulette. MICHEL DOLL� C'est fini, je te jure. Paulette se redresse l�g�rement, et s'appuie la joue sur la main. PAULETTE Je veux pas rester ici. MICHEL DOLL� T'es bien forc�e. O� tu veux aller ? PAULETTE Je veux retrouver ma maman et mon papa... sur le pont. MICHEL DOLL� Ils y sont plus sur le pont. PAULETTE Pourquoi ?.. O� ils sont ? MICHEL DOLL� Dans un trou. PAULETTE Dans un trou ? Michel semble g�n�. MICHEL DOLL� Oui. PAULETTE Et hop ! Comme des chiens ? Michel semble surpris : il ne savait pas que Paulette, qu'il croyait endormie, avait entendu les r�flexions stupides de son fr�re. MICHEL DOLL� Ben... oui... Paulette s'allonge sur son lit. PAULETTE A cause de la pluie... Dans un trou... Pour pas qu'ils soient mouill�s ? MICHEL DOLL� �a doit �tre pour �a... PAULETTE Mais alors, mon chien... Michel... Il va �tre mouill�. Paulette ferme les yeux et s'endort. MICHEL DOLL� Tu dors ?... Tu n'as plus peur ?... Je peux m'en aller ?... Il se l�ve lentement et se dirige vers l'escalier, qu'il descend sur la pointe des pieds. FONDU ENCHA�N� FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT Nous sommes au milieu de la nuit. Toute la famille Doll� dort... et ronfle ! Michel et Raymond dorment dans le m�me lit. Un papillon vole dans la pi�ce. On suit son ombre projet�e sur le mur par la lampe qui est rest�e allum�e sur la table de nuit de Georges qui, lui, ne dort pas. Le papillon, attir� par la lumi�re, finit par tomber dans le verre de la lampe � p�trole, o� il meurt instantan�ment. On entend Paulette crier : elle a certainement fait un cauchemar. Georges sursaute, et se tourne vers le lit de ses fr�res. GEORGES DOLL� Michel !... Michel, je te dis !... PAULETTE (pleurnichant en voix off) Papa !... Maman !... Maman !... Maman !... Comme Michel ne semble entendre, ni son fr�re, ni Paulette, Georges attrape un paquet de petits beurres pos� au milieu des m�dicaments sur la table de nuit et le lance en direction de Michel. Michel re�oit le paquet sur la t�te et se r�veille en sursaut en se frottant les yeux. Il semble un peu affol�. Il porte une longue chemise de nuit rapi�c�e. MICHEL DOLL� Qu'est-ce qu'il y a ? GEORGES DOLL� Tu l'entend pas ? MICHEL DOLL� Qui �a ? GEORGES DOLL� (d'une voix furieuse) Je veux pas qu'elle crie ! MICHEL DOLL� Gueule pas comme �a. Il se l�ve, prend la lampe sur la table de nuit de son fr�re et monte l'escalier. On entend Paulette g�mir. FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR NUIT Michel s'assied sur le bord du lit, pr�s de la t�te de Paulette. Il lui caresse le front. MICHEL DOLL� Pourquoi que tu cries ? T'as peur ? Paulette semble un peu absente. Elle n'est visiblement qu'� moiti� r�veill�e. PAULETTE Non. MICHEL DOLL� Alors, faut pas crier comme �a. PAULETTE Je crie pas. Paulette ferme les yeux. Michel recouvre soigneusement Paulette, qui s'est rendormie, le visage serein. Puis il redescend sans bruit. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT Michel s'approche du lit de Georges et repose la lampe sur la table de nuit. MICHEL DOLL� �a y est, je lui ai expliqu�. Elle dort. GEORGES DOLL� Et moi, je dors pas. MICHEL DOLL� Si tu veux, moi non plus, je dormirai pas... Tu veux que je te lise le journal ? Georges hoche � peine la t�te. Michel rapproche une chaise du lit, prend le journal que le p�re a laiss� sur le lit, et demande : MICHEL DOLL� Qu'est-ce que je te lis ?... La guerre ?... GEORGES DOLL� Ah non ! Pas la guerre ! Le feuilleton. MICHEL DOLL� � Il �tait encore trop t�t pour donner le signal du d�part. N�anmoins, ceux des compagnons qui devaient faire la route � cheval... � Georges l�ve la main. GEORGES DOLL� Parle pas de cheval. MICHEL DOLL� Bon, je te lis apr�s... � Et pourtant, toutes les pr�cautions avaient �t� prises � l'ext�rieur de l'ha... l'ha...cienda... � Les deux fr�res font une petite moue, car ni l'un, ni l'autre, ne semble comprendre ce mot �tranger. Fondu au noir FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Le lendemain matin. Michel est assis � table et boit son bol de lait. En face de lui, Berthe coupe des morceaux de pain et les d�pose dans un bol. Derri�re Michel, la m�re est en train de refaire son lit. Le coq chante et Georges g�mit faiblement dans son lit. Michel se l�ve et contourne la table. MICHEL DOLL� Paulette !... Il s'essuie la bouche sur un torchon pos� sur la table et se dirige vers l'escalier, devant lequel il s'arr�te. Il l�ve la t�te. MICHEL DOLL� T'es pas encore lev�e ? PAULETTE (voix off provenant du grenier) Je m'habille. MICHEL DOLL� D�p�che-toi. LA M�RE DOLL� (voix off du fond de la pi�ce) Criez pas si fort.. Vous voyez bien qu'il y a un malade. Paulette descend l'escalier en enfilant sa robe, et accompagn�e du chien. Arriv�e en bas, elle se dirige vers le lit de Georges, qui toussote. PAULETTE Oh !... Qu'est-ce qu'il a, le monsieur ? Georges caresse doucement la joue de Paulette qui continue � s'habiller. LA M�RE DOLL� (voix off) Il a re�u un coup de pied de cheval. Paulette pointe le doigt vers le crucifix accroch� au mur au- dessus du lit. PAULETTE Qu'est-ce que c'est, �a ? LA M�RE DOLL� (voix off) C'est le Bon Dieu. La m�re semble choqu�e par la question de la fillette et s'approche d'elle. LA M�RE DOLL� T'en as jamais vu ? PAULETTE Si, mais je savais pas ce que c'�tait. La m�re s'approche de Paulette et la pousse vers la table. LA M�RE DOLL� Viens boire ton lait. Michel, qui s'est rassis � table devant son bol, sourit � Paulette. MICHEL DOLL� Bonjour. La m�re assoit Paulette � c�t� de Berthe, qui verse du lait dans le bol de la fillette, qui sourit � Michel. LA M�RE DOLL� Elle sait pas ce que c'est que le Bon Dieu. Georges se redresse de son oreiller, et dit, d'une voix peu AIMABLE : GEORGES DOLL� J'ai soif. La m�re est en train de coiffer Paulette. Berthe regarde sa m�re. BERTHE DOLL� C'est � se demander d'o� elle sort. (A PAULETTE) D'o� tu viens ? Michel baisse son bol pour r�pondre. MICHEL DOLL� C'est une parisienne. LA M�RE DOLL� Pauvre gosse ! BERTHE DOLL� Faudra la faire baptiser. LA M�RE DOLL� Ben, en attendant, faut la d�clarer au maire.. Ils nous accuseraient bien de l'avoir vol�e. Elle verse du vin dans un verre. BERTHE DOLL� C'est pas au maire qu'il faut aller. C'est aux gendarmes. LA M�RE DOLL� � Mairerie � ou gendarmerie, y faut leur dire. Elle repose la bouteille sur la table et se dirige vers le lit de Georges. MICHEL DOLL� J'irai, moi, aux gendarmes. LA M�RE DOLL� (voix off) Toi, occupe-toi de tes vaches. Berthe finit de coiffer Paulette, qui sourit � Michel. Michel se l�ve et se tourne vers Paulette. MICHEL DOLL� Tu viens avec moi ? Paulette r�cup�re les morceaux de pain dans son bol et les mange. PAULETTE Attends, j'ai pas fini. Michel ouvre la porte et sort. Paulette continue � manger tranquillement. Raymond entre, poussant un vieux v�lo, qu'il d�pose contre le mur. Il a, sur la t�te, un chapeau feutre gris. Il tient quelque chose cach� derri�re son dos. Il s'approche du lit de Georges. RAYMOND DOLL� Regarde !... Georges se redresse sur son lit. RAYMOND DOLL� Regarde ce qu'ils l�chent sur la route, les Parisiens. Il enl�ve le feutre, et, � la place, pose sur sa t�te un �l�gant chapeau noir � bords roul�s, celui qu'il cachait derri�re son dos. Il fait le pitre. Georges rit malgr� sa douleur, surtout lorsque son fr�re met le chapeau de travers, en singeant Napol�on, une main gliss�e dans l'�chancrure de sa chemise. GEORGES DOLL� Me fais pas rire... Me fait pas rire... �a me fait mal. Raymond met le chapeau sur la t�te de Georges, qui ne peut s'emp�cher de continuer � rire, malgr� la douleur qui lui tiraille le ventre. RAYMOND DOLL� Tiens !... Comme �a, tu le verras pas. GEORGES DOLL� Me fait pas rire... Oh ! Bon Dieu, j'ai mal ! Il se recouche. La m�re s'approche du lit. LA M�RE DOLL� Et le docteur ? RAYMOND DOLL� Ah oui, le docteur. Mobilis� � l'h�pital. C'est la cause au bombardements. GEORGES DOLL� Ce que j'ai besoin, c'est pas le docteur, c'est les pompes fun�bres. RAYMOND DOLL� T'en fais pas... Y a toujours le vieux corbillard... En le reclouant un peu. Les deux fr�res rient ensemble, et Georges plus fort que Raymond. FONDU ENCHAIN� CHEMIN LONGEANT RUISSEAU - EXT�RIEUR JOUR Paulette se dirige vers l'endroit o� elle a, la veille, d�pos� le cadavre de son chien, une petite binette � la main. NOTE La sc�ne suivante, pr�sente dans la toute premi�re version originale du film, a �t� coup�e dans toutes les copies pr�sent�es ult�rieurement. Peut-�tre a-t-on estim� que de montrer Paulette en train de faire danser le cadavre de son chien �tait un peu trop macabre. Paulette tient son chien par les pattes de devant, pour le faire tenir debout sur les pattes arri�re. La binette est pos�e � c�t� d'elle. PAULETTE Fais le beau ! Elle essaie de le faire danser, puis, tout � coup, elle le laisse retomber par terre. Elle soul�ve sa robe et regarde un insecte qui grimpe sur sa jambe. L'insecte s'envole et va se poser sur une fleur de liseron. Elle veut cueillir la fleur, mais tirant un peu trop fort, c'est toute une guirlande de liseron qu'elle arrache. Elle se tourne vers le chien, puis, apr�s un instant d'h�sitation, elle lui entoure le cou avec la guirlande de liseron. Elle le soul�ve de nouveau par les pattes de devant. PAULETTE Fais le beau ! Danse ! Elle danse avec le chien en chantonnant. Puis, lass� par ce jeu, elle s'arr�te, repose le chien, prend la binette et commence � creuser. NOTE Retour � la version normale du film, telle qu'elle est pr�sent�e dans toutes les copies existantes. Paulette s'agenouille pr�s du cadavre de son chien, pos� sur l'herbe. Elle pose la binette � c�te du chien et le caresse d�licatement. Puis elle se caresse la joue, comme elle l'avait fait apr�s avoir caress� la joue de sa m�re d�c�d�e. Elle d�place l�g�rement le chien, prend la binette et commence � creuser. Tout � coup, elle tourne la t�te, car elle vient d'entendre un bruit de sonnette. Le cur� du village arrive sur sa bicyclette, et se dirige vers la rivi�re, et vers Paulette. Paulette pose sa binette et ramasse son chien. Le cur� descend de v�lo, terminant � pied, le v�lo � la main, le petit raidillon qui descend vers le ruisseau. Paulette met le chien derri�re son dos et le maintient en place avec ses deux mains. Le cur� porte son v�lo pour traverser le ruisseau. Puis, arriv� sur l'autre rive, il le repose et s'approche de Paulette. LE CUR� Je ne te connais pas, moi ?... Tu n'es pas d'ici ? Paulette recule de fa�on � se plaquer le dos contre un arbre, tenant toujours, � deux mains, le chien cach� derri�re elle. Elle regarde le cur� d'un air inquiet et m�fiant. Ce dernier sourit, et se penche vers Paulette, appuy� sur son v�lo. LE CUR� Tu as perdu ta langue ? Paulette fait � non � de la t�te. LE CUR� O� habites-tu ? PAULETTE Chez Monsieur Doll�. Papa est mort, et maman aussi. LE CUR� Pauvre enfant... Leur as-tu dis une pri�re, au moins ? Paulette fait � non � de la t�te. LE CUR� Tu ne veux pas en dire une ? PAULETTE Je sais pas quoi dire. LE CUR� Il faut apprendre... Mets tes mains comme ceci. Le cur� joint les mains. Paulette regarde les mains du cur�, mais ne bouge pas. LE CUR� Non ?... Alors, r�p�te : � Que le Bon Dieu les re�oive dans son Paradis. � PAULETTE � Que le Bon Dieu les re�oive dans son Paradis. � Le cur� fait le signe de la croix. LE CUR� Au nom du P�re, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Paulette r�p�te la phrase du cur�, mais sans se signer. PAULETTE Au nom du P�re, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. LE CUR� Fais comme moi. Le cur� refait un signe de croix. LE CUR� Tu ne veux pas ? Michel t'apprendra... Il apprend bien son cat�chisme, Michel. Au nom de Michel, Paulette esquisse un sourire. Le cur� s'�loigne en poussant sa bicyclette. Paulette le regarde partir, tenant toujours son chien cach� derri�re son dos. Lorsqu'elle estime que la voix est libre, elle se d�gage de l'arbre. MICHEL DOLL� (criant en voix off) Paulette !... Michel s'avance � travers bois, mais il ne voit pas Paulette. MICHEL DOLL� Paulette !... Paulette ne lui r�pond pas. Elle prend son chien dans ses bras, ramasse sa binette, et s'�loigne du ruisseau. MICHEL DOLL� (criant en voix off) Paulette !... Michel continue � chercher dans la for�t. MICHEL DOLL� Paulette !... Paulette traverse le ruisseau et marche le long de la berge. Michel continue � chercher. MICHEL DOLL� Paulette !... MOULIN - EXT�RIEUR JOUR Paulette se dirige vers un vieux moulin � eau d�saffect�, mais dont la b�tisse semble encore solide. Elle entre � l'int�rieur du moulin. MICHEL DOLL� (criant en voix off) Paulette !... MOULIN - INT�RIEUR JOUR Paulette entre dans le moulin. Au fond du moulin, la grande roue, totalement immobile. Paulette cherche un endroit pour enterrer son chien. CHEMIN LONGEANT RIVI�RE - EXT�RIEUR JOUR Michel se dirige vers le moulin. On aper�oit une autre roue, elle aussi immobile, � l'ext�rieur du moulin. MICHEL DOLL� Paulette !... MOULIN - INT�RIEUR JOUR Paulette pose son chien et commence � creuser le sol en terre battue. Derri�re elle, Michel entre dans le moulin. MICHEL DOLL� Paulette !... Michel s'approche de Paulette. MICHEL DOLL� Ah ! Dis... Qu'est-ce que tu fais l� ? PAULETTE �a ne te regarde pas. MICHEL DOLL� Je te cherche partout... Tu fais un trou ? Elle ne lui r�pond pas et continue � creuser. MICHEL DOLL� Ah !... C'est pour ton chien. Donne... Il cherche � lui prendre la binette des mains, mais elle r�siste un peu. MICHEL DOLL� Donne... c'est trop dur... Elle finit par c�der, et Michel se met � creuser un peu plus �nergiquement que Paulette. Apr�s quelques coups de binette, il s'arr�te de creuser et regarde Paulette. MICHEL DOLL� �a, c'est une id�e... On va faire un beau petit cimeti�re. PAULETTE Qu'est-ce que c'est qu'un cimeti�re ? MICHEL DOLL� C'est l� qu'on met les morts pour qu'ils soient tous ensemble. PAULETTE Pourquoi on les met ensemble ? MICHEL DOLL� Pour pas qu'ils s'emb�tent. PAULETTE Mais alors, mon chien, il va s'emb�ter, tout seul ? Michel r�fl�chit une seconde et hausse les �paules. MICHEL DOLL� Ben... oui... PAULETTE Faudra lui en trouver un autre ! MICHEL DOLL� Un autre chien... �a, c'est difficile. Un bruissement d'ailes fait lever la t�te de Michel. Paulette regarde dans la direction o� regarde Michel. Dans la charpente du moulin, un hibou, pos� sur une poutre, semble observer les enfants. PAULETTE Qu'est-ce que c'est ? MICHEL DOLL� C'est Monsieur le Maire. PAULETTE Pourquoi ? MICHEL DOLL� C'est son nom... c'est un hibou. PAULETTE C'est m�chant ? MICHEL DOLL� Non, �a roupille tout le temps... Tu vas voir. Michel se dirige vers une �chelle qui permet d'acc�der au hibou. PAULETTE Faut pas le tuer. MICHEL DOLL� Penses-tu ! �a serait m�me pas la peine, �a vit cent ans. Paulette fait une petite moue, semblant incapable de r�aliser ce que repr�sente cent ans. PAULETTE Cent ans !... Michel grimpe vers le hibou. Paulette d�pose son chien dans le trou creus� par Michel, puis commence � le recouvrir de terre. Tout en travaillant, elle r�cite la pri�re que lui a apprise le cur�. A chaque fois qu'elle dit � Au nom du P�re, du Fils et du Saint-Esprit �, elle fait un rapide signe de croix. MICHEL DOLL� Que le Bon Dieu le re�oive dans son Paradis. Au nom du P�re, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il... Que le Bon Dieu le re�oive dans son Paradis. Au nom du P�re, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il... Que le Bon Dieu le re�oive dans son Paradis. Au nom du P�re, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il... Michel atteint le nid du hibou sur la poutre. On entend, de loin, Paulette qui continue � psalmodier ses � Que le Bon Dieu... etc. � MICHEL DOLL� Toi, ne bouge pas... Michel glisse la main derri�re le hibou, dans son nid. Il sort une taupe morte qu'il tient par la queue. MICHEL DOLL� Je t'en donnerai une autre. Michel redescend vers Paulette, en tenant la taupe par la queue. Il a maintenant atteint le bas de l'�chelle. Il s'approche de Paulette, tenant toujours la taupe par la queue. Paulette continue � psalmodier ses pri�res tout en comblant la tombe de son chien. MICHEL DOLL� J'ai une taupe !... Une belle !... Paulette se redresse et regarde la taupe. PAULETTE Il en faudra d'autres. MICHEL DOLL� C'est pas ce qui manque, les taupes. La voix de Paulette se fait presque geignante lorsqu'elle dit : PAULETTE Des chats... Michel, lui, �num�re, sur un timbre de voix nettement plus pos� : MICHEL DOLL� Des h�rissons, des l�zards... Paulette n'est visiblement plus dans son �tat normal. PAULETTE Des chevaux, des vaches... MICHEL DOLL� Des serpents � sonnette. PAULETTE Des lions. MICHEL DOLL� Des tigres. Paulette a presque des sanglots dans la voix lorsqu'elle dit : PAULETTE Des gens !... Paulette a le souffle un peu court. Michel a l'air un peu surpris par les derniers mots de Paulette. MICHEL DOLL� Si tu veux... Et puis on leur mettra des croix. Michel reprend la binette, et creuse un autre trou pour la taupe. Paulette s'est accroupie pour le regarder creuser. PAULETTE Pourquoi des croix ? MICHEL DOLL� Ben dis donc !... Qu'est-ce qu'ils t'ont appris, tes parents ?... Tu vas voir. Il pose la binette, prend un morceau de bois, qu'il casse en deux, et en fait une croix, qu'il lie avec du fil de fer. MICHEL DOLL� Regarde... Tiens... Regarde... L�... C'est �a, une croix. Il plante la croix sur la tombe du chien. PAULETTE C'est le Bon Dieu. MICHEL DOLL� Ben oui... C'est le Bon Dieu. PAULETTE Attends. Elle sort un collier de sa poche. MICHEL DOLL� Il est joli, ton collier. PAULETTE Il est cass�. Elle entoure la croix de son collier. Michel semble ravi. MICHEL DOLL� C'est mieux. Il arrange le collier autour de la croix. PAULETTE Oui... mais il y en a une plus belle au-dessus de ton fr�re. MICHEL DOLL� Tu la trouves belle, toi ? Paulette fait � oui � de la t�te. MICHEL DOLL� Je t'en ferai des encore mieux, moi. Avec des clous et un marteau. D'un grand geste des bras, il d�signe toute la pi�ce. MICHEL DOLL� Et on en foutra partout ! FONDU ENCHA�N� FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR JOUR Michel est assis par terre les jambes �cart�es. Ils cloue deux lattes de bois ensemble en forme de croix. Paulette, assise sous la table, inspecte les potirons entrepos�s dans le grenier. Elle rit de la forme �trange du fruit qu'elle tient dans ses mains PAULETTE Oh !... Regarde celle-l�. Michel d�tache la croix clou�e sur le plancher, mais l'une des lattes se fend en deux. MICHEL DOLL� Zut !... Faut que je recommence... Recommence aussi, tu les sais pas bien. PAULETTE Je vous salue, Marie pleine de gr�ce... Michel cloue une autre croix. MICHEL DOLL� Le Seigneur est avec vous. PAULETTE Vous �tes b�nie entre toutes les femmes, et J�sus, le fruit de vos... de vos... MICHEL DOLL� Entrailles est b�ni ! FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Le P�re Doll�, assis � table, o� il coupe des tranches de pain, l�ve des yeux agac�s vers le plafond, et le grenier, o� l'on entend les coups de marteau de Michel. La M�re Doll� s'affaire devant la chemin�e. Les filles mettent le couvert. Raymond est assis sur un escabeau pr�s du lit de Georges. LE P�RE DOLL� Des pri�res !... Il en a de bonnes, le cur�. (A RAYMOND) Tu les sais, toi, tes pri�res ? RAYMOND DOLL� Comment qu'on y disait d�j� � la grand-m�re ?... � Notre P�re qui �tes aux Cieux... � REN�E DOLL� A la grand-m�re, on y disait : � Marie... je vous salue, Marie... � Georges, immobile dans son lit, les mains crois�es sur le ventre, r�agit d'une voix affaiblie. GEORGES DOLL� Je ne veux pas qu'on me dise Marie ! Les coups de marteau continuent de plus belle. Le p�re l�ve les yeux vers le plafond. LE P�RE DOLL� Qu'est-ce qu'ils foutent l�-haut ? Toute la famille, sauf Georges, l�ve les yeux vers le plafond. RAYMOND DOLL� Le cur�, il a dit : du calme ! FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR Les enfants n'ont pas chang� de position. PAULETTE Dis, Michel, qu'est-ce que c'est, les entrailles ? MICHEL DOLL� Les entrailles ?... �a doit �tre l� o� Georges est bless�... Continue. PAULETTE Et J�sus, le fruit de vos entrailles, est bless�... MICHEL DOLL� Est b�ni ! PAULETTE Est b�ni... Apr�s ? MICHEL DOLL� C'est fini. Dis � Amen �. PAULETTE Amen. Pourquoi qu'elles finissent toutes pareilles. MICHEL DOLL� �a veut dire que c'est fini. Recommence. PAULETTE Ameeeen !... MICHEL DOLL� Recommence tout. Michel inspecte la croix qu'il vient de terminer. Derri�re lui, on voit le P�re Doll� appara�tre en haut de l'escalier, sans que les enfants le remarquent. PAULETTE Notre P�re, qui �tes aux Cieux, que votre nom soit sanctifi�... sanctifi�... Michel, qui a recommenc� � clouer, dit d'une voix un peu �nerv� : MICHEL DOLL� Que votre r�gne arrive. Le P�re Doll� balance, � Michel, une baffe qui l'envoie valdinguer sur le plancher. LE P�RE DOLL� Tiens, le v'l� ! Je t'apprendrai � cogner avec un marteau. Tu sais pas qu'il lui faut du calme. MICHEL DOLL� Mais je lui apprenais ses pri�res... Oh ben, zut alors ! Paulette semble affol�e par cette sc�ne de violence physique. PAULETTE Je les sais pas !... Je les sais pas !... LE P�RE DOLL� Ses pri�res ? Le P�re ramasse une croix. LE P�RE DOLL� Et �a, c'est des pri�res ? Tu fais des croix dans la maison d'un malade ? Tu veux le faire mourir ? Il prend Paulette par la main et l'entra�ne vers l'escalier. LE P�RE DOLL� Et puis, je veux plus vous voir ensemble. Michel se rel�ve en se tenant la joue et suit son p�re, qui, d�j� engag� dans l'escalier, se tourne vers lui. LE P�RE DOLL� Toi, reste l�. Tu es puni. Tu te coucheras sans manger. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT Berthe apporte une marmite fumante sur la table. La M�re Doll� prend la louche et sert la soupe � Raymond. Ren�e est assise � c�t� de lui. On entend Georges qui r�le dans son lit. Berthe s'assoit entre Raymond et Ren�e, en face de sa m�re. LA M�RE DOLL� (� Georges) Ben alors, qu'est-ce que t'as donc ? BERTHE DOLL� Tu r�ponds pas � ta m�re ? Elle tend son assiette � sa m�re, qui la sert. Georges continue � r�ler. RAYMOND DOLL� �a va pas ? Il se l�ve et s'approche du lit. Il se penche sur son fr�re. RAYMOND DOLL� Tu craches ? Il se tourne vers les autres. RAYMOND DOLL� Il crache un peu de sang. La m�re, qui se servait la soupe apr�s avoir servi Ren�e, se l�ve et rejoint Raymond aupr�s du lit. RAYMOND DOLL� Et puis, je comprends plus ce qu'il dit... H� !... Il crache encore. LA M�RE DOLL� Ben, qu'est-ce que t'as ? Le p�re Doll� arrive en bas de l'escalier, tenant Paulette par la main. Il tourne la t�te vers le grenier. LE P�RE DOLL� Tu boufferas pas ! Les deux filles rejoignent leur m�re pr�s du lit. Le p�re Doll� l�che Paulette et s'approche � son tour du lit. Toute la famille, sauf Michel et Paulette, entoure maintenant le lit LA M�RE DOLL� Qu'est-ce que t'as ? RAYMOND DOLL� Y r�ponds pas. LE P�RE DOLL� C'est la premi�re fois que je vois cracher du sang. BERTHE DOLL� Faudra nettoyer les draps. REN�E DOLL� Donnes-y un mouchoir. Le p�re Doll� contourne ses filles et rejoint sa femme et son fils Raymond � la t�te du lit. RAYMOND DOLL� Alors, �a va mieux ? La m�re essuie la bouche de Georges, qui r�le de plus en plus faiblement. LA M�RE DOLL� Tape-lui dans le dos. Raymond tapote le dos de son fr�re. LE P�RE DOLL� Un peu de tisane ? BERTHE DOLL� �a doit �tre le coeur. LA M�RE DOLL� C'est quand m�me malheureux qu'avec tant de monde, on n'arrive pas � lui trouver un bout de pri�re. Paulette s'est assise � table et mange sa soupe. PAULETTE Michel, il les sait. Toute la famille se tourne vers elle, comme si, tout � coup, ils avaient oubli� sa pr�sence. Le p�re est le premier � r�agir. LE P�RE DOLL� T'as raison. Le P�re Doll� se dirige vers l'escalier et l�ve la t�te vers le grenier. LE P�RE DOLL� Michel ! Michel est assis sur les derni�res marches en haut de l'escalier. MICHEL DOLL� Je suis puni. LE P�RE DOLL� Je te dis de descendre. MICHEL DOLL� Alors, je suis plus puni ? Michel descend l'escalier en faisant claquer ses galoches. LE P�RE DOLL� Mets-toi dans le coin et dis tes pri�res. Michel se dirige vers le coin indiqu� par son p�re, puis il se rapproche de la table et s'assoit sur le banc � c�t� d'une grosse miche de pain. LE P�RE DOLL� (voix off) Et � genoux ! Michel fait semblant de ne pas entendre le dernier ordre de son p�re, et reste assis sur le banc, ne quittant pas la miche de pain des yeux. Il commence � r�citer ses pri�res, mais s'amuse � m�langer les paroles du � Notre P�re � et du � Je vous salue, Marie �. MICHEL DOLL� Notre P�re qui �tes aux Cieux. Vous �tes b�nie entre toutes les femmes, donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien, et J�sus, le fruit de vos entrailles, est b�ni. Priez pour nous, pauvres p�cheurs, que votre nom soit sanctifi�, que votre volont� soit pleine de gr�ce. Notre P�re, Sainte M�re de Dieu, donnez-moi du pain... donnez-moi du pain... Il a prononc� les deux derni�res phrases d'une voix rageuse. Il arrache un morceau de mie � la boule de pain, et le porte � sa bouche. MICHEL DOLL� ...quotidien !... Puis, baissant les yeux, il continue � marmonner d'une voix plus faible, et donc inintelligible pour les autres membres de la famille, trop occup�s par Georges. MICHEL DOLL� Crotte alors, crotte, crotte, crotte, crotte, crotte, crotte... Il jette un regard furtif vers sa famille assembl�e autour du lit de Georges. Personne ne semble s'occuper de lui. Et il continue � marmonner, d'une voix encore plus faible, et quasiment INCOMPR�HENSIBLE : MICHEL DOLL� Marie m�re de, Marie m�re de, Marie m�re de... merde alors ! Ne voulant certainement pas abuser de sa bonne �toile, il d�cide de reprendre, � voix plus intelligible, une pri�re � peu pr�s normale. MICHEL DOLL� Sur la terre comme au ciel... Autour du lit, la famille est toujours assembl�e. MICHEL DOLL� (voix off) Notre P�re, qui �tes au cieux, que Votre Nom soit sanctifi�... Michel a repris sa contemplation gourmande de la miche de pain. MICHEL DOLL� Que Votre Volont� soit pleine de gr�ce. Il s'arr�te de prier, fascin� par le spectacle d'une petite souris qui vient de grimper sur la table. La souris se prom�ne tranquillement, et vient renifler le contenu d'une cuiller. LE P�RE DOLL� (voix off) Dis pas �a, tu vas lui faire peur. RAYMOND DOLL� (voix off) Tout � l'heure, il parlait de clouer la planche du corbillard. La famille chuchote autour du lit. Raymond dit d'une voix plus AUTORITAIRE : RAYMOND DOLL� Faudrait une purge. LA M�RE DOLL� Y a de l'huile de ricin. LE P�RE DOLL� Ben. Donnes-y une goutte. La m�re s'�loigne du lit. Michel observe toujours la souris sur la table. La m�re revient vers le lit de Georges, portant, d'une main, un petit flacon ouvert, et de l'autre, une cuiller dans laquelle elle a vers� un peu du contenu du flacon. Elle marche doucement pour ne pas renverser la cuiller. LA M�RE DOLL� Si �a fais pas de bien, �a fera pas de mal ! La m�re approche la cuiller de la bouche de Georges. LA M�RE DOLL� Ben quoi, t'ouvres plus la bouche ? REN�E DOLL� Il fait les m�mes yeux que la grand-m�re. LE P�RE DOLL� Il faut le prendre par la douceur. Il prend la cuiller des mains de sa femme. RAYMOND DOLL� Raisonne-toi, Georges. LA M�RE DOLL� Ben... ouvre les yeux, au moins. Le p�re approche la cuiller de la bouche de Georges. REN�E DOLL� Il ferme les yeux maintenant. BERTHE DOLL� C'est peut-�tre qu'il dort. Georges, les mains crois�es sur la poitrine, a les yeux ferm�s et ne bouge plus. Lorsque son p�re lui pose la cuiller sur les l�vres, il ne r�agit pas. LE P�RE DOLL� Allez, bois �a. Il rend la cuiller � sa femme. LE P�RE DOLL� Ah, donne-lui, la m�re. A son tour, elle approche la cuiller de la bouche de Georges. LA M�RE DOLL� Il serre les dents. RAYMOND DOLL� C'est peut-�tre qu'il est mort. Michel rel�ve la t�te et regarde vers le lit, le visage soudain inquiet. Il se l�ve et s'approche du lit en r�citant, de fa�on correcte cette fois-ci, ses pri�res. MICHEL DOLL� Notre P�re, qui �tes aux Cieux, que Votre Nom soit sanctifi�, que Votre R�gne arrive, que Votre Volont� soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour. Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons � ceux qui nous ont offens�s. Mais ne nous laissez pas succomber � la tentation, mais d�livrez- nous du mal. Ainsi soit-il. Paulette se l�ve de table et s'approche du lit. Michel vient de recommencer, � voix plus basse, le � Notre P�re �. Arriv�e au pied du lit, Paulette regarde le d�funt. PAULETTE Que le Bon Dieu les re�oive dans son Paradis. Toute la famille regarde Georges, semblant ne pas vouloir admettre la r�alit�. Raymond se penche vers lui et lui touche la main. RAYMOND DOLL� H� !... H� !... Pour moi, il est mort. (A son p�re) T�te-le voir. Le p�re pose sa main sur la poitrine de Georges. LE P�RE DOLL� Je crois bien qu'oui... qu'il est mort. (A sa femme) Qu'est-ce t'en dis, la m�re ? Michel se met � genoux au pied du lit et continue � r�citer, � voix tr�s basse, ses pri�res. La m�re passe le flacon dans la main qui tient la cuiller, et de sa main maintenant libre, touche la joue de son fils. LA M�RE DOLL� Pour s�r qu'il est mort. RAYMOND DOLL� Il est mort ! Ils ont tous deux la voix rauque de sanglots retenus. La famille regarde Georges avec des yeux o� la peine, la stup�faction et m�me une certaine incr�dulit� se m�lent. Le p�re enl�ve sa casquette et se mouche dedans. Paulette s'approche de Michel. PAULETTE Il est mort, ton fr�re ? Michel ne lui r�pond pas et continue � prier � voix basse. Paulette s'agenouille � c�t� de lui. PAULETTE Tu vas lui faire un trou ? Michel se tourne vers elle, visiblement choqu� par cette proposition. MICHEL DOLL� T'es folle ? C'est mon fr�re. Toute la famille est en larmes. LE P�RE DOLL� Mon pauv' Georges... Mon pauv' Georges... Te v'l� qui pars sans rien dire. RAYMOND DOLL� On pouvait pas savoir... On se m�fiait pas. Ren�e s'�croule par terre en pleurant. La m�re, tout en pleurant, reverse, un peu maladroitement, le contenu de la cuiller dans le flacon d'huile de ricin. LA M�RE DOLL� Si j'y avais donn� plus t�t... Le p�re se rapproche de sa femme. LE P�RE DOLL� On sait m�me pas si c'est �a qu'il lui fallait... LA M�RE DOLL� Oh... Tu dis �a... LE P�RE DOLL� Oui, bien s�r... Je dis �a... Fondu au noir FERME DES DOLL� - HANGAR - INT�RIEUR JOUR Le P�re Doll� est en train de r�parer le plancher du vieux corbillard. L'arri�re du corbillard est surmont� de la lettre � D �, et au milieu de chacun des quatre c�t�s du corbillard, une petite croix de bois noir est plant�e sur le toit du corbillard. Le P�re Doll�, qui, � quatre pattes, plante des clous dans le plancher, se redresse et se tourne vers Michel, assis sur la bo�te � clous pos�e � c�t� du corbillard, et visiblement r�veur. LE P�RE DOLL� Oh !... Donne-moi un clou... un grand. Michel semble sortir de sa r�verie �veill�e, se l�ve et tend la bo�te � clous � son p�re, qui prend le clou dont il a besoin. Michel pose la bo�te et examine le corbillard avec plus d'attention. Il monte sur une roue pour atteindre le toit du corbillard, o� il examine, avec beaucoup d'int�r�t, l'un des petits crucifix. Il le touche r�veusement. Le p�re, toujours occup� � clouer, tourne la t�te vers son fils, dont il ne voit plus que les jambes. LE P�RE DOLL� Qu'est-ce que tu fabriques ? MICHEL DOLL� Rien. Michel tourne la vis qui tient le crucifix en place, et constate qu'elle se d�visse facilement. Il secoue la croix pour la d�tacher, mais n'y arrive pas. MICHEL DOLL� C'est pas b�te... c'est pas mal... bien invent�, un corbillard.. LE P�RE DOLL� (voix off) Regarde donc les croix l�-haut. C'est-y la peine de les reclouer ? MICHEL DOLL� Oh, non !... Elles tiennent... T'as plus besoin de moi ? Michel saute par terre. LE P�RE DOLL� Donne-moi deux clous et �a ira. Michel, qui allait partir, revient en arri�re, prend la bo�te � clous et la pose sur le plancher du corbillard, devant le nez de son p�re. Il sort en courant de la grange, pendant que son p�re continue � clouer. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Paulette tient sa robe relev�e devant elle, car elle a mis du grain � l'int�rieur. Elle donne les grains, un par un, aux poussins qui l'entourent. Par la porte ouverte d'une grange, on voit Michel qui verse par terre l'eau que contenait un gros bidon � lait. Il remet le couvercle en place, pose le bidon et sort de la grange. Il s'approche de Paulette. MICHEL DOLL� Pas comme �a, idiote ! Il prend une poign�e de grain dans la robe de Paulette, et la lance � la vol�e sur les poussins. Puis il se penche vers Paulette ET CHUCHOTE : MICHEL DOLL� Tu sais, j'ai des croix... Trois, que j'en ai. PAULETTE Pourquoi trois ? Il y a que mon chien et la taupe. MICHEL DOLL� T'as raison. Paulette s'accroupit et continue � distribuer le grain aux poussins. Michel s'accroupit � c�t� d'elle. Elle repousse un poussin. PAULETTE Non ! Toi, t'en as d�j� eu ! MICHEL DOLL� T'aimes les poussins ? Paulette hausse les �paules et continue � distribuer son grain. Fondu au noir FERME DES GOUARD - CHEMIN - EXT�RIEUR JOUR A la qualit� de la lumi�re ambiante, on devine que le jour s'est lev� il y a peu de temps. On entend un coq chanter. Un soldat s'avance sur le chemin qui m�ne � la ferme des Gouard. Il porte un calot, une capote, deux musettes entrecrois�es en travers de la poitrine, et, dans le dos, une trompette suspendue par un cordon. Il s'agit de Francis Gouard, le fils du P�re Gouard. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Toute la famille, sauf Michel et Paulette, est assembl�e autour de la table du petit-d�jeuner. Ren�e, la seule � ne pas �tre assise, pose les bols sur la table. La m�re beurre les tartines. FERME DES GOUARD - COUR - EXT�RIEUR JOUR Francis s'approche de la ferme familiale. Il s'arr�te pour attraper sa trompette derri�re son dos. Il saute la barri�re, et s'arr�te devant la porte en se mettant au garde-�-vous. Il fait tournoyer sa trompette, d'un geste un peu maladroit, puis la porte � sa bouche. On entend un affreux � couac �. Francis recommence mais refait un autre � couac �. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Toute la famille tourne la t�te dans la direction de la ferme des Gouard... et le son de la trompette. FERME DES GOUARD - COUR - EXT�RIEUR JOUR Francis refait un essai, mais il ne sort aucun son de la trompette, juste un bruit de soufflerie. Il crache quelque chose qui, visiblement, lui encombrait la bouche et remet l'embouchure sur ses l�vres. Cette fois-ci, il arrive � jouer, � peu pr�s correctement, la sonnerie dite du � R�veil �. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR En fond sonore, on entend Francis jouer de la trompette. Georges repose, mains crois�es, sur son lit, un crucifix sur la poitrine. Sur sa table de nuit, une bougie allum�e et un rameau de buis dans une soucoupe. Michel saute sur son lit. Il a d�j� mis sa culotte et s'appr�te � mettre ses chaussures. Il descend de son lit pour mettre sa deuxi�me chaussure. FERME DES GOUARD - COUR - EXT�RIEUR JOUR Francis vient de s'arr�ter de jouer et, la trompette � la main, il ouvre la porte d'un coup de pied. Francis crie vers l'int�rieur de la ferme. FRANCIS GOUARD Debout l�-dedans ! FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR La famille n'a pas boug� de la table. Ren�e ne s'est m�me pas assise. LA M�RE DOLL� Qu'est-ce que c'est ? On entend de nouveau la trompette de Francis, dont la courte prestation se termine sur un � couac �. Raymond et son p�re se l�vent en m�me temps. LE P�RE DOLL� Ben, alors ! Les deux hommes se dirigent vers la porte d'entr�e. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Michel est d�j� sur le pas de la porte, en train de mettre sa deuxi�me chaussure. Le p�re arrive derri�re lui, suivi de Raymond, puis de la m�re, de Berthe et de Ren�e. Ils regardent tous en direction de la ferme des voisins. RAYMOND DOLL� Ce serait-y pas le fils Gouard ? LA M�RE DOLL� Et pourquoi ? La guerre, elle est pas finie ? RAYMOND DOLL� Avec des feignants comme lui, �a serait pas �tonnant. Le p�re tape sur l'�paule de Michel. LE P�RE DOLL� Vas-y voir par derri�re. Tu me diras si c'est le Francis. Michel se tourne vers Raymond. MICHEL DOLL� Je vais te couper de l'herbe aux lapins. Le p�re d�croche une serpette du mur, et la donne � Michel, qui ramasse un panier par terre, traverse rapidement la cour de la ferme puis s'engage sur la passerelle qui s�pare les deux fermes. Toute la famille, mass�e devant la porte de la ferme, le suit des yeux. FERME DES GOUARD - COUR - EXT�RIEUR JOUR Michel longe le mur de la ferme en s'accroupissant pour ne pas �tre vu des fen�tres. Il passe devant le chien, attach� � une cha�ne, et qui semble totalement indiff�rent � sa pr�sence. Il s'approche de la fen�tre de la salle commune. A travers cette fen�tre, on aper�oit Francis attabl� qui raconte ses aventures guerri�res, mais on ne l'entend pas. Il mime un avion en piqu�, puis une explosion, puis un tir de mitrailleuse. Michel, accroupi sur un carr� d'herbe en face de la ferme, coupe de l'herbe, tout en essayant de voir ce qui se passe � l'int�rieur de la ferme. FERME DES GOUARD - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Francis est � table en train de manger, le calot sur la t�te, et la vareuse ouverte. Sa trompette est pos�s � c�t� de lui, reposant sur son pavillon. Son p�re l'�coute, visiblement passionn�, tout en mangeant lui aussi. Le cadette de ses soeurs, Marcelle, est debout derri�re lui, en train de beurrer une tartine. Son autre soeur, Marcelle, descend du grenier par une �chelle. FRANCIS GOUARD Y a plus de chefs... Y a plus d'Anglais... Y a plus rien.. Alors quoi, que je me suis dit... C'est pas la peine de marcher comme �a jusqu'� perpette. Marcelle lui donne la tartine beurr�e, pendant que Jeanne s'active pr�s de la chemin�e. Marcelle prend la trompette pour l'examiner. FRANCIS GOUARD Touche pas � �a... Marcelle repose la trompette. FRANCIS GOUARD Alors, j'ai foutu le camp... Et me v'l�. Marcelle touche les glands qui pendent du cordon de la trompette. Francis boit son caf�, pendant que son p�re le regarde, un peu surpris. LE P�RE GOUARD Mais les Prussiens ? O� qu'y sont, les Prussiens ? Francis repose son bol et r�fl�chit un peu avant de r�pondre. FRANCIS GOUARD Probable qu'ils sont pas loin. FERME DES GOUARD - COUR - EXT�RIEUR JOUR Michel s'approche d'une cage en osier dans laquelle il y a des poussins. FERME DES GOUARD - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Le P�re Gouard hoche la t�te. LE P�RE GOUARD Dans la cavalerie, on avait des chevaux. Jeanne sourit et s'assoit � c�t� de son p�re. Marcelle les �coute, pench�e sur la table, la t�te reposant sur sa main. JEANNE GOUARD Les chenillettes, �a va plus vite. LE P�RE GOUARD En dix-huit, on foutait pas le camp. On n'avais pas besoin d'aller si vite FRANCIS GOUARD Si tu avais eu des Messerschmidt au cul toute la journ�e, on t'aurait vu... tiens ! FERME DES GOUARD - COUR - EXT�RIEUR JOUR Michel prend des poussins dans la cage et les cache dans sa chemise, tout en regardant vers la fen�tre La p�re Gouard tourne la t�te vers la fen�tre et aper�oit Michel. Il se l�ve et s'approche de la fen�tre. On entend sa voix, un peu �touff�e par le carreau. LE P�RE GOUARD Tu veux que j't'aide ? Qu'est-ce que tu fous l� ? Michel se l�ve et essaie de bien cacher les poussins qu'il a vol�s. MICHEL DOLL� Je coupe de l'herbe LE P�RE GOUARD Elle est pas � toi, mon herbe ! MICHEL DOLL� C'est papa qui me l'a dit ! LE P�RE GOUARD Quoi ? Michel ramasse son panier, et part en courant, tout en tenant sa chemise pleine de poussins de l'autre main. Il traverse la passerelle. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Michel arrive de l'autre c�t� de la passerelle, traverse la cour en courant, pose son panier pr�s de la porte, et �carte ses parents pour se faufiler � l'int�rieur de la maison. MICHEL DOLL� C'est bien le Francis qui est l� ! Le P�re Doll� hoche la t�te. LE P�RE DOLL� Et on se demande pourquoi on a perdu la guerre ! Il se retourne vers Berthe. LE P�RE DOLL� Et toi... Attention que je te voie pas tourner autour de lui. Berthe semble - hypocritement ! - bless�e par cette accusation. BERTHE DOLL� Moi ? Elle entre dans la ferme, suivie par son fr�re et sa soeur. Le p�re sourit � sa femme. LE P�RE DOLL� T'as vu ? Sa femme entre la premi�re et le p�re Doll� lui donne une grande claque sur les fesses. FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR JOUR Michel arrive en courant par l'escalier et se pr�cipite vers Paulette, qui dort toujours, envelopp�e dans ses couvertures. Il lui tapote l'�paule en chuchotant : MICHEL DOLL� H� !... Paulette se r�veille doucement en souriant � Michel. PAULETTE Bonjour. MICHEL DOLL� �a va ? PAULETTE Oui. MICHEL DOLL� Tu dors ? PAULETTE Non. Il montre � Paulette le poussin qu'il tient dans ses mains. MICHEL DOLL� Regarde. Paulette prend le poussin des mains de Michel. PAULETTE Oh... il est tout chaud. MICHEL DOLL� Tu es contente ? PAULETTE Oh, oui !... C'est pas toi qui l'a tu� ? Tu me jures. MICHEL DOLL� Non, c'est pas moi. Moi, j'ai voulu leur donner � boire et ils avaient les yeux ferm�s. Alors j'ai dit : c'est peut- �tre bien qu'ils dorment. PAULETTE Je leur mettrai une guirlande. MICHEL DOLL� Et puis aussi, il serraient les dents. Alors j'ai dit : c'est peut-�tre bien qu'ils sont morts. PAULETTE Pourquoi ? MICHEL DOLL� Ben, c'est comme �a... T'es contente ? PAULETTE Oh, oui ! FONDU ENCHA�N� PETIT PR� - EXT�RIEUR JOUR Un pr�, dans lequel broutent des vaches. Paulette cueille des fleurs. En courant de-ci, de-l�, pour trouver ses fleurs, elle tombe sur Francis et Berthe, couch�s, c�te � c�te, dans l'herbe. Berthe se rel�ve brusquement, imit� par Francis, qui regarde Paulette avec surprise. Paulette les regarde un instant, hausse les �paules, puis s'�loigne en courant. BERTHE DOLL� T'es caporal ? FRANCIS GOUARD Oui, j'ai �t� nomm� au feu. Elle lui passe les mains autour du cou. BERTHE DOLL� Qui c'est qui t'as dit que je menais les vaches ? FRANCIS GOUARD C'est le Michel... Il est malin, le Michel. Ils se recouchent dans l'herbe. Francis l'embrasse dans le cou, et elle glousse un peu, puis se redresse l�g�rement. BERTHE DOLL� Fais attention, y a la gosse. Elle s'assoit. Francis s'assoit � son tour. FRANCIS GOUARD Qui c'est, cette gosse ? BERTHE DOLL� C'est la Paulette, la bonne amie � Michel. FRANCIS GOUARD Il est malin, le Michel. BERTHE DOLL� Oh, oui ! Il est malin ! On entend, dans le lointain, des bruits d'explosion. Francis et Berthe s'arr�te de flirter pour �couter les explosions. FRANCIS GOUARD Cinq... Six... BERTHE DOLL� C'est pas loin, c'est le pont. Les explosions continuent. Francis soupire. FRANCIS GOUARD J'ai pas de veine, ils me suivent ! Michel appara�t au sommet de la colline, portant quelque chose grossi�rement emball� dans du journal. MICHEL DOLL� Alors ? Y a plus d'amour ?... Elle est l�, Paulette ? BERTHE DOLL� Tu parles si elle est l� ! FRANCIS GOUARD Allez ! Barrez-vous, les gosses ! Michel se dirige vers Paulette, assise dans l'herbe au pied d'un buisson. Paulette se rel�ve. MICHEL DOLL� Tu les as, les poussins ? Paulette t�te les poussins, sous sa robe. PAULETTE Oui. L�. Ils se mettent en marche, s'�loignant de Francis et Berthe. MICHEL DOLL� Regarde ce que j'ai, moi. Il d�balle son journal et montre � Paulette les trois croix du corbillard. Paulette examine une des croix. Michel semble tr�s fier de lui. Mais Paulette, elle, semble d��ue. PAULETTE Oh !... Elles sont vilaines. Elle rend la croix � Michel, qui la remballe, l'air d��u. MICHEL DOLL� T'es jamais contente. Fondu au noir. PLACE DE L'�GLISE - EXT�RIEUR JOUR Le corbillard s'approche de l'�glise, o� les cloches sont en train de sonner. Devant le corbillard, un enfant de choeur portant un grand crucifix de m�tal, et derri�re lui, le cur� en chasuble noire, flanqu� de deux autres enfants de choeur. Derri�re eux, le corbillard, tir� par un cheval, guid� par un homme � pied. Derri�re le corbillard, la famille Doll�, leurs proches et leurs amis, tous en deuil. Le cur� et les enfants de choeur s'arr�tent devant la porte l'�glise, mais le corbillard roule encore deux ou trois m�tres avant de s'arr�ter � son tour, de fa�on � ce que l'arri�re du corbillard soit au niveau du cur�. Raymond rejoint le cur� et les enfants de choeur � l'arri�re du corbillard pour sortir le cercueil, mais son p�re l'arr�te et se tourne vers le cur�. LE P�RE DOLL� C'est-y bien la peine de le faire entrer ? LE CUR� Ben, voyons ! LE P�RE DOLL� C'est � cause de la planche du fond. Ce que j'ai bricol�, vous savez, c'est pas bien solide... Alors, si on est tout le temps � le mettre, � le sortir, et � le remettre... LE CUR� C'est indispensable. LE P�RE DOLL� Bon. Le cur� fait passer les enfants de choeur devant lui et entre dans l'�glise. Raymond rel�ve le drap noir qui recouvre le cercueil, de fa�on � d�gager les poign�es... sous l'oeil inquiet de son p�re ! Un autre homme vient l'aider � tirer le cercueil. Un troisi�me homme et une femme prennent les deux autres poign�es du cercueil et ils se dirigent tous les quatre vers l'int�rieur de l'�glise. Tout le monde les suit, sauf le p�re Doll� qui s'approche du corbillard vide et en inspecte le plancher. Sur la route qui m�ne � la place de l'�glise, une cousine de la famille Doll�, en grand habit de deuil, p�dale sur sa bicyclette, son voile flottant au vent. Une couronne mortuaire est accroch�e sur le guidon de son v�lo. La cousine arrive devant l'�glise et descend de sa bicyclette, qu'elle appuie sur la mur de l'�glise. Elle �change deux bises bien sonores avec le P�re Doll�. COUSINE DOLL� Oh !... En voil� bien une affaire. Le P�re Doll� hausse l�g�rement les �paules et regarde la couronne. LE P�RE DOLL� Oh... Fallait pas... fallait pas... Elle essaie de d�tacher la couronne du guidon de son v�lo. COUSINE DOLL� C'�tait la derni�re. Alors, il y a �crit � cousine �. LE P�RE DOLL� �a fait rien... �a fait rien. Il l'aide � d�tacher la couronne. COUSINE DOLL� Si ! �a fait... Si, �a fait... A deux, ils finissent par d�tacher la couronne, mais manquent de flanquer le v�lo par terre. COUSINE DOLL� Attendez... Sur le ruban de la couronne, il est inscrit : � A notre ch�re cousine �. La cousine arrache le � e � final de � cousine �. Elle donne la lettre arrach�e au p�re Doll�, qui la met dans sa poche. Elle a l'air satisfaite du � A notre ch�re cousin � ! COUSINE DOLL� On ne dirait pas qu'il y a la guerre ici... Lui, au moins, il aura un enterrement de chr�tien. LE P�RE DOLL� Avec une messe ! La cousine entre dans l'�glise avec sa couronne � la main. COUSINE DOLL� Et vous, Joseph ? Vous n'y allez pas ? LE P�RE DOLL� Tout de suite... Tout de suite... Il revient vers le corbillard et ramasse son marteau sur le plancher. FONDU ENCHA�N� �GLISE - INT�RIEUR JOUR Le cur�, tournant le dos aux fid�les, est en train de dire la messe, entour� de ses deux enfants de choeur, dont l'un agite une clochette. Sur la galerie qui surplombe la nef, un homme joue de l'harmonium. Autour de lui, cinq femmes chantent le � Sanctus �. Plan d'ensemble de la nef de la petite �glise, qui est bien remplie. Paulette est assise � c�t� de Michel, qui a un brassard noir sur le bras. Ils chantent tous les deux - ou font semblant de chanter. La m�re Doll� et sa fille Berthe sont assises c�te � c�te, chacune avec un voile noir sur le visage. Les deux hommes, assez �g�s, qui portaient le cercueil, ont l'air tr�s �mus. L'un d'eux �crase m�me une larme, puis s'essuie les yeux avec son mouchoir. Plan sur deux autres hommes en deuil, puis sur Ren�e, qui est tout habill�e en noir, mais sans voile. Elle a l'air tellement absorb�e par ses pens�es, qu'elle ne songe m�me pas � chasser une mouche qui s'est pos�e sur son nez. Raymond, lui aussi, est au bord des larmes. Paulette et Michel se regardent avec tendresse. Puis ils tournent leur regard vers le chemin de croix, dont chaque tableau est surmont� d'une croix. Paulette les montre du doigt. PAULETTE & MICHEL DOLL� (ensembles) Dix... Onze... Douze... La m�re Doll� se tourne vers eux. LA M�RE DOLL� Chut ! MICHEL DOLL� Treize... Quatorze. Seulement, celles-l�, elles ne se d�vissent pas. PAULETTE Et puis, elles sont pas belles. Raymond, qui est assis devant eux, se retourne. RAYMOND DOLL� C'est fini, oui ? Une clochette retentit. Michel se met � genoux et baisse la t�te. Paulette l'imite, mais sans baisser la t�te. Elle lui tape sur l'�paule et lui montre quelque chose du doigt. PAULETTE Regarde... Il s'agit de la petite croix qui pend au bout d'un chapelet que tient un fid�le devant eux. PAULETTE �a irait bien pour une abeille. MICHEL DOLL� Oui, mais �a pique. PAULETTE �a pique, mais, dans le fond, c'est pas m�chant. PLACE DE L'�GLISE - EXT�RIEUR JOUR A travers les montants du corbillard, que le p�re Doll� est toujours en train de r�parer, on aper�oit un troupeau de vaches, conduites par Marcelle et Jeanne Gouard. Jeanne �clate de rire et le p�re Doll� rel�ve la t�te. JEANNE GOUARD C'est le corbillard qu'est en panne... comme la chenillette au Francis. MARCELLE GOUARD Rigole pas. JEANNE GOUARD Pourquoi je rigolerais pas ? Le p�re Doll� regarde les filles Gouard d'un air m�content. On entend les cloches des vaches qui s'�loignent. Le p�re Doll� descend du corbillard et prend un peu de recul pour inspecter son corbillard. Et il s'aper�oit de la disparition des croix. LE P�RE DOLL� Ben, �a alors !... Il grimpe sur une roue pour atteindre le toit du corbillard, et manipule la tige qui tenait la croix en place. Il redescend et se met les mains sur les hanches. LE P�RE DOLL� Ben �a, c'est pas banal. Il r�fl�chit un instant, puis se dirige vers la porte de l'�glise. �GLISE - INT�RIEUR JOUR La porte s'ouvre, et le p�re Doll� appara�t sur le seuil. Il enl�ve son chapeau. Il appelle, � voix haute : LE P�RE DOLL� Michel !... Michel, en grande conversation muette avec Paulette, ne semble m�me pas l'entendre. LE P�RE DOLL� (voix off) Michel !... Arrive !... Le cur�, l'air choqu� par cette intrusion intempestive, se retourne vers la porte. La m�re Doll� se tourne vers Michel et lui chuchote d'une vois n�anmoins assez forte : LA M�RE DOLL� Ben quoi... fais ce que dit ton p�re ! Michel de l�ve et se dirige vers la porte. Le bruit de ses galoches r�sonne sur les dalles du sol de l'�glise. Il tr�buche sur une dalle mal jointe. Arriv� � la porte, il se retourne bri�vement vers l'autel et fait une rapide g�nuflexion et un signe de croix. La porte claque derri�re lui. PLACE DE L'�GLISE - EXT�RIEUR JOUR Michel s'avance vers son p�re, qui, les mains sur les hanches, regarde le corbillard. LE P�RE DOLL� Je t'avais dit de regarder si les croix tenaient bien. MICHEL DOLL� Ben oui, elles tenaient. LE P�RE DOLL� Elles ont foutu le camp. Va voir sur le chemin, si on les a pas perdues. Michel semble un peu embarrass�. MICHEL DOLL� Oh non ! On les a pas perdues. J'aurais bien vu. LE P�RE DOLL� Si on les a pas perdues, c'est quelqu'un qui les a enlev�es... Qui que c'est ?... Hmm !... Michel baisse la t�te. MICHEL DOLL� Ben, je sais pas, moi. C'est peut-�tre les Gouard... On entend le son d'une clochette provenant de l'int�rieur de l'�glise. MICHEL DOLL� Papa, �a sonne. Faut rentrer pour baisser la t�te. Michel rentre dans l'�glise. Le p�re Doll� reste immobile � regarder longuement son corbillard. LE P�RE DOLL� Ben oui... c'est peut-�tre bien les Gouard. Il se dirige, � son tour, vers la porte de l'�glise. �GLISE - INT�RIEUR JOUR Michel entre dans l'�glise, en gardant la t�te baiss�e. Derri�re lui, son p�re entre � son tour et enl�ve son chapeau. On entend le son de la clochette agit�e par l'enfant de choeur. Toute l'assembl�e est agenouill�e, t�tes baiss�es, m�me Paulette. Michel va s'agenouiller pr�s de Paulette, se penche vers elle et CHUCHOTE : MICHEL DOLL� Il a vu qu'il y avait plus de croix. Alors, j'ai dit que c'�tait les Gouard. Paulette rel�ve la t�te et regarde la grande croix au-dessus de l'autel. Elle chuchote. PAULETTE Oh ! Regarde celle-l� ! Michel suit le regarde de Paulette, et affiche un air inquiet. MICHEL DOLL� Oui, mais c'est celle du cur� ! PAULETTE Elle est belle ! FERME DES GOUARDS - REMISE - INT�RIEUR JOUR Remise � bois, encombr�e de morceaux de bois de toutes tailles. Le p�re et le fils Gouard sont en train de scier un tronc d'arbre. Le p�re s'arr�te et prend, dans sa poche, une feuille de papier � cigarettes. LE P�RE GOUARD J'y serais all�, moi, � l'enterrement, si j'avais su que leur fils �tait mort. Il prend du tabac directement dans la poche de sa veste et le d�pose sur la feuille de papier. FRANCIS GOUARD Avec �a, que tu le savais pas ! LE P�RE GOUARD Ben, ils me l'ont pas dit. C'est �gal, ils ont eu du malheur... Avec qui ils vont rester maintenant ? Le Raymond, qu'est bon-�-rien. On entend, dans le lointain, les cloches de l'�glise qui sonnent la fin de la messe de fun�railles. FRANCIS GOUARD Il y a la Berthe. Elle est bonne travailleuse, la Berthe. LE P�RE GOUARD Une pute. Francis sursaute. FRANCIS GOUARD Ben quoi !... Ben sois poli ! LE P�RE GOUARD Qu'est-ce qui te prend ? Tu la d�fends ? FRANCIS GOUARD Oui, je la d�fends. LE P�RE GOUARD T'aurais bien mieux fait de d�fendre la France, avec tes chevaux m�caniques. FRANCIS GOUARD Oh, la France !... Je peux pas l'�pouser, non ? LE P�RE GOUARD Tu vas peut-�tre bien �pouser la Berthe Doll�, hein ? Il roule lentement sa cigarette. FRANCIS GOUARD Ben, peut-�tre bien, oui... LE P�RE GOUARD Faut �tre dans la cavalerie � moteur pour �tre aussi bouch�. FRANCIS GOUARD Oui, et bien si tous les chevaux de la cavalerie � moteur, ils te bottaient le train, c'est peut-�tre bien toi que �a d�boucherait ! Le p�re Gouard hausse la voix. LE P�RE GOUARD C'est comme �a que tu parles � ton p�re ? Le p�re l�che sa cigarette et balance, � son fils, une beigne qui l'envoie valdinguer par terre. Francis se rel�ve aussit�t. FRANCIS GOUARD Parfaitement !... Et pis c'est pas fini... Et pis, la Berthe, je l'�pouserai... T'entends ? CIMETI�RE - EXT�RIEUR JOUR Le cimeti�re est situ� juste � c�t� de l'�glise. Le corbillard entre dans le cimeti�re, pr�c�d� par l'enfant de choeur porteur de la grande croix, du cur� et des deux autres enfants de choeur. Derri�re le corbillard, la famille Doll� et leurs proches. D�laissant le cort�ge, Paulette et Michel circulent dans les all�es du cimeti�re. Ils observent les croix. Les porteurs posent le cercueil � c�t� de la fosse destin�e � Georges. Les cloches de l'�glise sonnent � la vol�e. Michel et Paulette continuent � se promener dans les all�es du cimeti�re. Le cercueil a maintenant �t� descendu dans la fosse. Raymond et un autre homme r�cup�re les cordes qui ont servi � le descendre. LE P�RE DOLL� Ben, v'l� tout... Le cur� jette une poign�e de terre sur le cercueil. LE CUR� Et maintenant, mes amis, permettez-moi d'adresser quelques mots � une famille particuli�rement �prouv�e... A tous, petits et grands, j'adresse l'expression de ma douloureuse... Michel et Paulette inspectent les croix. MICHEL DOLL� Celle-l�, �a irait pour une jument. PAULETTE Et l� pour un pigeon. MICHEL DOLL� Un chat. PAULETTE Un gros, alors ! Paulette montre du doigt la tr�s haute croix, plant�e � c�t� de l'�glise, pr�s de l'entr�e du cimeti�re. PAULETTE Et l�, pour une � girafle � ! Raymond finit de rouler la corde qui a servi � descendre le cercueil. Son p�re, en manche de chemise et une pelle � la main, remet la terre dans la tombe, tout en parlant au cur� LE P�RE DOLL� Alors, j'ai dit : forc�ment, c'est un coup des Gouard. LE CUR� Vous avez des preuves ? LE P�RE DOLL� Il nous en veut. RAYMOND DOLL� Il dit que je suis d�serteur. LE CUR� Pourquoi vous en veut-il ? LA M�RE DOLL� Il est jaloux. LE CUR� C'est tout de m�me pas une raison pour avoir vol� les croix du corbillard. LE P�RE DOLL� Ouais ! Quand je le r�parais tout � l'heure, le corbillard, il y a ses garces de filles qui sont pass�es. Et bien, elles ricanaient. RAYMOND DOLL� Le Francis, et ben, il est plus d�serteur que moi. LE P�RE DOLL� J'y cr�verai la paillasse, s'il continue. Parce que moi, je les respecte, les morts. Plan rapproch� sur la terre, pellet�e par le p�re Doll�, qui finit de combler la tombe. Pos�e � plat sur le sol, une croix, avec une plaque, sur laquelle est inscrit : � Georges DOLL�, d�c�d� le 15 juin 1940 �. Du pied, Michel fait bouger l�g�rement la croix. Paulette et Michel ont l'air fascin� par cette croix. LE P�RE DOLL� (voix off) Et eux, Monsieur le Cur�, il les respectent pas. Le p�re Doll� pose sa pelle, prend la croix et la plante dans le sol � l'arri�re de la tombe. La m�re accroche un petit crucifix blanc sur la croix. Fondu au noir. �GLISE - INT�RIEUR JOUR La nef de l'�glise. Elle est vide, sauf pour Berthe, � genoux sur un prie-dieu, et qui �gr�ne son chapelet. Derri�re elle, le confessionnal, dans lequel Michel est � genoux. Dans le confessionnal. Le cur�, derri�re sa grille, confesse Michel. LE CUR� C'�tait toi, les croix du corbillard ? MICHEL DOLL� Oui, Monsieur le Cur�. LE CUR� Mais pourquoi ? MICHEL DOLL� Pour faire un cadeau. LE CUR� A qui ? Michel h�site. MICHEL DOLL� Je peux pas le dire. LE CUR� Bon. Et bien, tu me les rapporteras. Et puis tu vas me dire, en sortant d'ici, cinq Pater et cinq Ave. Dis ton acte de contrition. MICHEL DOLL� Mon Dieu, j'ai un tr�s grand regret de vous avoir offens�, car vous �tes infiniment bon, infiniment aimable, et que le p�ch� vous d�plait. Je prends la ferme r�solution, par votre Sainte Gr�ce, de ne plus vous offenser et de faire p�nitence. Retour dans Dans l'�glise. Michel sort du confessionnal, fait un signe de croix et se dirige, t�te baiss�e, vers un prie-dieu sur lequel il s'agenouille. Berthe fait un signe de croix, se l�ve et va s'agenouiller dans le confessionnal. Michel commence � r�citer son � Notre P�re �. MICHEL DOLL� Notre P�re, qui �tes aux cieux, que Votre Nom soit sanctifi�, que Votre R�gne arrive, que Votre Volont� soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous aujourd'hui notre pain quotidien. Il rel�ve la t�te et regarde la grande croix de m�tal dor� au- dessus de l'autel. MICHEL DOLL� Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons � ceux qui nous ont offens�s. Il jette un coup d'oeil vers le confessionnal, puis regarde de nouveau la grande croix. MICHEL DOLL� Mais ne nous laissez pas succomber � la tentation. Il regarde de nouveau vers le confessionnal. MICHEL DOLL� Mais d�livrez-nous du mal. Ainsi soit-il. Discr�tement, il enl�ve ses galoches et les pose � c�t� du prie- dieu. Puis, pieds nus, il se dirige vers l'autel. Au passage, il ramasse une chaise dans la nef. Il ouvre la petite porte qui permet d'acc�der � l'arri�re de l'autel, jette un dernier coup d'oeil vers le confessionnal et dispara�t derri�re l'autel. Dans le confessionnal, Berthe est en train de se confesser. BERTHE DOLL� Deux fois, Monsieur le Cur�. LE CUR� Ah ! Vous �tes bien toutes les m�mes ! BERTHE DOLL� Mais c'est pour le bon motif. LE CUR� Bien s�r... Bien s�r... Mais vous avez un peu mis la charrue avant les boeufs. BERTHE DOLL� Mais puisqu'on va se marier. Seulement voil�. On n'ose pas leur dire... Avec les parents qu'on a ! LE CUR� Ben oui ! BERTHE DOLL� Ben oui... Alors on a pens� que vous pourriez peut-�tre... LE CUR� Les r�concilier ? BERTHE DOLL� Comme vous dites... Retour dans l'�glise. Michel est maintenant debout sur la chaise derri�re l'autel. Il fait un signe de croix rapide et avance la main vers la croix pos�e sur le tabernacle. Retour dans le confessionnal. BERTHE DOLL� Mais puisqu'on va se marier... On entend un bruit de chute provenant de l'�glise. Le cur� �carquille les yeux. Retour dans l'�glise. La croix tombe par terre, entra�nant l'un des cand�labres dans sa chute. Le cur� surgit du confessionnal LE CUR� Michel !... Je t'ai vu ! Il avance, � pas rapides, vers l'autel, o� il r�cup�re la croix tomb�e � terre et la pose sur l'autel. Il a l'air tr�s en col�re. Il contourne l'autel, entre par la petite porte et ressort, tenant d'une main une chaise cass�e et de l'autre l'oreille de Michel. Il jette la chaise cass�e dans un coin. LE CUR� La croix du ma�tre-autel ! T'avais m�me pas fini ta p�nitence que tu recommen�ais encore pire ! Il gifle Michel � plusieurs reprises. LE CUR� Prends tes souliers, et fiche-moi le camp ! Berthe est sortie du confessionnal. BERTHE DOLL� Qu'est-ce qu'il a encore fait ? LE CUR� �a te regarde pas. Michel ramasse ses galoches et sort de l'�glise en courant. Le cur� pousse Berthe dans le confessionnal. LE CUR� Allez, rentre ! On n'a pas fini ! Fondu au noir. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT La m�re Doll� a un bout de journal enflamm� � la main. Elle prend une lampe � p�trole sur la chemin�e, la pose au milieu de la table et l'allume. Puis elle souffle sur son papier pour l'�teindre. LA M�RE DOLL� Alors, tu lui as parl�, au Gouard ? Berthe est occup�e � coudre et Raymond taille un morceau de bois avec un grand couteau. Le p�re Doll� est en train de rouler une cigarette. LE P�RE DOLL� Oui, je lui ai parl�. Il tend la cigarette � Raymond. LE P�RE DOLL� Tiens... Tout en parlant, il craque une allumette pour allumer la cigarette de Raymond. LE P�RE DOLL� Oui, j'y ai dit : � Alors, tu voles les croix de corbillard maintenant ?� Y m'a dit : � Quelles croix de corbillard ? � Alors j'y ai dit : � Fais pas le malin. � La m�re rit en �coutant son mari. LE P�RE DOLL� Alors y m'a dit : � Doll�, pour les croix de corbillard, je te jure sur la tombe de ma femme. � RAYMOND DOLL� Ben, elle est belle � voir, la tombe de sa femme ! Le p�re commence � rouler une autre cigarette. LE P�RE DOLL� Ben, laisse-moi faire. C'est ce que j'y ai dit... J'y ai dit : � La tombe de ta femme, t'as pas le droit d'en parler. C'est pas une tombe, c'est un taudis... Tu peux bien jurer tout ce que tu veux sur la tombe de ta femme, tu ferais mieux de la nettoyer. � La m�re continue � rire. RAYMOND DOLL� Et toc !... La sculpture, sur laquelle Raymond est en train de travailler, repr�sente, de fa�on assez grossi�re, le fuselage d'un avion. LA M�RE DOLL� Et d'abord, pourquoi ils sont pas venus � l'enterrement ? C'est une preuve, �a ! Elle s'assoit. Derri�re elle, Ren�e essuie des assiettes avant de les ranger. Le p�re se sert un verre de vin, puis allume sa cigarette. BERTHE DOLL� On leur avait pas dit. On entend Francis qui joue de la trompette. LA M�RE DOLL� Ils le savaient pas, peut-�tre ? BERTHE DOLL� Ils le savaient peut-�tre, mais on leur avait pas dit. Apr�s plusieurs essais infructueux, Francis joue � l'extinction des feux �. Tous se sont arr�t�s pour �couter la musique, mais seule Berthe semble l'appr�cier : elle bouge doucement la t�te en mesure. Francis s'arr�te de jouer. RAYMOND DOLL� Mais, il nous fait suer... avec son clairon. BERTHE DOLL� C'est pas un clairon, c'est une trompette. RAYMOND DOLL� Trompette ou clairon, c'est quand m�me un d�serteur. Dans un coin isol� de la salle, en contrebas de deux petites marches, Michel et Paulette sont allong�s par terre. Michel tient un porte-plume dans sa main, et un encrier est pos� � c�t� de lui. Il lit le mot qu'il est en train d'�crire sur une petite fiche en carton. MICHEL DOLL� Pou... ssin.. LE P�RE DOLL� (voix off) Moi, j'ai d�cid�. Les Gouard, �a existe plus. Michel a d�coup� d'autres morceaux de carton, sur lesquels il a inscrit des noms d'animaux. Il tend � Paulette la fiche qu'il vient de terminer. PAULETTE Il en faut deux, puisqu'il y a deux tombes. Gros plan sur les fiches d�j� remplies. On peut lire : � Jock, chien �, � Verre de terre �, � Grillon �, � Tope � BERTHE DOLL� (voix off) Qu'est que �a veut dire que les Gouard existent plus ? LE P�RE DOLL� (voix off) Parce que j'ai d�cid� comme �a. LA M�RE DOLL� (voix off) R�ponds pas � ton p�re ! Paulette regarde, sur le plancher, la progression d'un cafard. PAULETTE Oh !... Comment �a s'appelle ? MICHEL DOLL� Un cafard. LE P�RE DOLL� (voix off) Je te dis : Y a plus de Gouard. Et... et... va te coucher !... Paulette essaie d'attraper le cafard. PAULETTE �a pique ? MICHEL DOLL� Non, mais �a pue ! Michel l�ve son porte-plume au-dessus du cafard. Avec le porte- plume lev�, plume vers le bas, il dessine des spirales autour du cafard, en imitant le bruit d'un avion. Il l'abat finalement sur le cafard, qu'il transperce. MICHEL DOLL� Bahoum !... Paulette semble tr�s choqu�e par ce que vient de faire Michel. Elle se met � pleurnicher. PAULETTE Faut pas les tuer ! MICHEL DOLL� C'est pas moi, c'est une bombe... T'es folle ? Paulette se cache la t�te dans les bras et se met � pleurer. PAULETTE Faut pas les tuer ! Faut pas les tuer ! Faut pas les tuer ! MICHEL DOLL� Faut bien qu'ils soient morts pour qu'on les enterre. PAULETTE Je te parle plus. Michel a un sourire tr�s doux vers Paulette. MICHEL DOLL� Andouille ! PAULETTE Et puis d'abord, tu m'avais promis la croix du cur�. Michel ne sourit plus. MICHEL DOLL� Oh ben, t'es pas juste ! Michel prend, dans sa poche, une main de poup�e et chatouille le bras de Paulette avec. Elle rel�ve la t�te. PAULETTE J'en veux pas... Elle remet la t�te dans ses bras. Puis, un court instant apr�s, elle la rel�ve. PAULETTE Qu'est-ce que c'est ? MICHEL DOLL� Une main de poup�e. PAULETTE J'en veux pas. Elle remet la t�te dans ses bras. On entend de nouveau la trompette de Francis. MICHEL DOLL� Si c'est pour des croix que tu fais la t�te... Oh l� l� ! Au son de la trompette, Raymond l�ve la t�te. RAYMOND DOLL� Ce con-l� ! Il nous ferait bien rep�rer par les avions ! Le p�re l�ve les yeux, r�fl�chit un instant, puis se l�ve et se dirige vers les enfants. LE P�RE DOLL� Allez, les gosses, au lit. Il ouvre la fen�tre et ferme les volets. Les enfants se l�vent. Michel ramasse son mat�riel. Paulette brosse sa robe et se dirige vers le p�re Doll�. Elle lui met les bras autour du cou et l'embrasse sur la joue. PAULETTE Bonsoir, Monsieur Doll�. LE P�RE DOLL� Bonsoir, mon lapin. Elle s'approche de Raymond et l'embrasse. PAULETTE Bonsoir, Monsieur Raymond. Il sourit et, par les cheveux, la ram�ne vers lui pour l'embrasser. Michel met les petits cartons dans sa poche, et pose la bouteille d'encre sur la table. Paulette se dirige vers la m�re Doll�. PAULETTE Bonsoir, Madame Doll�. LA M�RE DOLL� Bonsoir, mon J�sus. Paulette embrasse la m�re Doll�. Michel prend la lampe et commence � monter l'escalier. Il semble �tre jaloux de toutes ces effusions. PAULETTE Bonsoir, Madame Berthe. Elle embrasse Berthe. BERTHE DOLL� Bonsoir. Elle monte l'escalier. Michel l'attend, assis sur une marche en haut de l'escalier, la lampe � la main. PAULETTE Qu'est-ce que tu fais ? MICHEL DOLL� Je t'attends. T'as fini d'embrasser tout le monde ? Elle s'assoit � c�t� de lui sur la marche de l'escalier. PAULETTE Tu veux que je t'embrasse ? MICHEL DOLL� T'es pas gentille. PAULETTE Pourquoi ? MICHEL DOLL� Ce que tu m'as dit pour la croix du cur�. PAULETTE Ben, tu me l'as pas donn�e. MICHEL DOLL� J'ai essay�. J'ai re�u des tartes. Il montre sa joue du doigt. MICHEL DOLL� Ici, les tartes... Embrasse-moi dessus. Paulette l'embrasse sur la joue. MICHEL DOLL� Mieux que �a ! Elle l'embrasse de nouveau. LE P�RE DOLL� (voix off) J'ai dit au lit ! Fini de se sucer la pomme ! MICHEL DOLL� Je viens. Les deux enfants se l�vent et finissent de monter l'escalier. FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR NUIT Paulette s'assoit sur le lit et enl�ve ses chaussures. PAULETTE Moi, je connais un endroit o� il y en a, des croix. MICHEL DOLL� O� �a ? PAULETTE Au cimeti�re. Michel semble abasourdi par la r�ponse de Paulette. MICHEL DOLL� Oh ben ! T'as pas peur ! PAULETTE Pourquoi ? MICHEL DOLL� Et si les morts, ils me tirent par les pieds ? Paulette se cache sous sa couverture. PAULETTE Je ne veux pas. On entend la voix furieuse du p�re qui appelle Michel. LE P�RE DOLL� (voix off) Tu veux que je monte ? MICHEL DOLL� Je descends. Michel soul�ve la couverture et dit, tr�s gentiment. MICHEL DOLL� C'�tait pour rire... Les morts, c'est pas m�chant. PAULETTE Ah ! MICHEL DOLL� Oui. Fondu encha�n�. FERME DES DOLL� - GRANGE � FOIN - INT�RIEUR NUIT Berthe et Francis sont couch�s dans le foin. Francis a la t�te pos�e sur le ventre de Berthe. FRANCIS GOUARD Dis donc... Qu'est-ce que �a veut dire, �a : � La charrue avant les boeufs � ? BERTHE DOLL� Ben, c'est ce qu'on faisait maintenant. FRANCIS GOUARD Ah, je savais pas que �a s'appelait comme �a. Elle se recouche dans le foin, l'air satisfait. Tout � coup, on entend un bruit insolite. BERTHE DOLL� Chut !... Berthe se redresse et regarde vers le haut de la grange. En haut de la grange, une petite porte s'ouvre, laissant appara�tre Michel et Paulette. Francis se cache dans le foin. Berthe le recouvre compl�tement, faisant aussi tomber pas mal de foin sur elle-m�me. Michel et Paulette sont pr�s de l'�chelle, pr�ts � descendre en bas de la grange. MICHEL DOLL� On va prendre la brouette. PAULETTE Pourquoi ? MICHEL DOLL� Des croix ?... Plein une brouette, je te dis. Il commence � descendre, suivi de Paulette. On entend des avions qui se rapprochent. Une lueur illumine la grange. Les enfants continuent n�anmoins � descendre. PAULETTE J'ai peur. MICHEL DOLL� C'est une fus�e. Ferme les yeux. Paulette ferme les yeux. PAULETTE J'y vois rien pour descendre si je ferme les yeux. Berthe est � moiti� cach�e dans le foin. Elle reboutonne le devant de sa robe. Michel arrive en bas de l'�chelle. Berthe semble aussi �tonn�e de voir Michel que Michel de voir Berthe. BERTHE DOLL� Qu'est-ce que vous faites l� ? MICHEL DOLL� Ben... et toi ? BERTHE DOLL� �a te regarde ? MICHEL DOLL� Je peux prendre la brouette ? Michel passe devant sa soeur, et, en se penchant pour prendre la brouette, il aper�oit les pieds de Francis qui d�passent du foin. Il en attrape un, qui se r�tracte aussit�t dans le foin. MICHEL DOLL� Ah bon !... BERTHE DOLL� Quoi... Bon ? MICHEL DOLL� Rien. Michel prend la brouette et se dirige vers la porte de la grange, suivi de Paulette, qui se tourne, un court instant, vers Berthe. BERTHE DOLL� En voil� une heure pour une brouette MICHEL DOLL� On va aux escargots ! Fondu au noir. CHEMIN CIMETI�RE - EXT�RIEUR NUIT On entend encore des avions, et la sc�ne est r�guli�rement �clair�e par des lueurs venant du ciel. Michel avance le plus vite qu'il peut en poussant la brouette lourdement charg�e. Paulette trottine � ses c�t�s. Dans la brouette, il y a plein de croix, avec, sur le dessus, la croix de Georges Doll�, ainsi que la petite croix blanche que la m�re Doll� avait fix� dessus. Paulette semble inqui�te. PAULETTE T'as pas peur ? MICHEL DOLL� Non. Et toi ? PAULETTE Non. Tu veux que je te chante ? MICHEL DOLL� Si tu veux. Le ciel est constell� de lumi�res provenant des fus�es envoy�es par les avions. Paulette chante en tenant le bras de Michel. Elle est visiblement effray�e, mais, ne voulant pas montrer sa peur, elle chante avec d'autant plus d'ardeur. PAULETTE Comp�re Guilleri, te laisseras-tu mourir ? On lui banda la jambe, et le bras lui remit, Carabi ! Les dames de l'h�pital sont arriv�es au bruit, Carabi, toto Carabo. Comp�re Guilleri, te laisseras-tu mourir ? Les bruits de bombes se rapprochent. Paulette l�che le bras de Michel et s'accroupit par terre. PAULETTE Faut se coucher par terre. MICHEL DOLL� Penses-tu ? Ils peuvent pas nous voir ! Allez, vite ! Il acc�l�re le pas. PAULETTE On a perdu une croix. MICHEL DOLL� �a fait rien, on en avait de trop ! Les enfants se mettent � courir, sous la lumi�re blafarde des fus�es �clairantes. Fondu au noir. FERME DES GOUARD - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Le p�re Gouard verse de l'eau chaude d'une casserole dans un bol, puis il se dirige vers un meuble pr�s de la fen�tre. Il pose le bol sur le meuble, trempe son blaireau dans l'eau et le frotte sur un pain de savon � barbe. Il se rapproche de la fen�tre, et va pour appliquer la mousse sur sa joue, lorsqu'il est interpel� par les aboiements du chien. Il regarde par la fen�tre. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Ren�e, tout habill�e de noir, sort de la ferme en attachant un ruban dans les cheveux de Paulette. Puis Raymond sort, suivi de sa m�re. Ils sont, tous deux, aussi, habill�s de noir. La m�re porte un bouquet de fleur et une binette. Raymond ramasse, au passage, un arrosoir et un r�teau. LA M�RE DOLL� Il les aimait bien, les marguerites. Berthe sort � son tour, elle aussi en grand deuil et les bras charg�s de fleurs. Puis vient Michel et enfin, le p�re, en costume noir, qui sort le dernier et ferme la porte � clef. Il tient une petite binette � la main. RAYMOND DOLL� On va lui faire un beau petit jardin, sur sa tombe. LA M�RE DOLL� C'est le premier dimanche qu'on va � la messe sans lui. Le p�re envoie valdinguer le chapeau que Raymond porte sur la t�te. Il s'agit du chapeau que Raymond avait r�cup�r� apr�s l'exode. Raymond rattrape le chapeau au vol. LE P�RE DOLL� Enl�ve �a. Allez, en route ! Ils font quelques pas, puis Michel s'arr�te brusquement, et dit, d'une voix tr�s d�cid�e. MICHEL DOLL� Je veux pas y aller, moi, au cimeti�re ! Son p�re lui donne une gifle. LE P�RE DOLL� Prends toujours �a ! Berthe lui colle dans les main un pot de fleurs, fait d'une bo�te de conserve. BERTHE DOLL� Et �a ! LA M�RE DOLL� Et filez ! Michel se met en marche � contre-coeur. Paulette lui court apr�s et lui donne le bras. Ils traversent la cour de la ferme. FERME DES GOUARD - CUISINE - INT�RIEUR JOUR Le p�re Gouard a suivi toute la sc�ne pr�c�dente de sa fen�tre. Il se retourne. LE P�RE GOUARD Jeanne ! JEANNE GOUARD (voix off) Quoi ? LE P�RE GOUARD Va couper des fleurs. JEANNE GOUARD (voix off) Pourquoi ? LE P�RE GOUARD Fais ce que je te dis : va couper des fleurs ! Et grouille ! Il revient vers son miroir pour �taler la mousse sur son visage. LE P�RE GOUARD Ils sont pas les seuls � avoir un d�funt. CHEMIN CIMETI�RE - EXT�RIEUR JOUR On entend la cloche de l'�glise qui appelle les fid�les � la messe. Gros plan sur une petite croix d'ivoire pos�e sur le chemin. Il s'agit de la petite croix que la m�re Doll� avait accroch�e sur la grande croix de la tombe de son fils, et aussi de la croix qui �tait tomb�e de la brouette des enfants. La famille Doll� s'approche de la croix. Le p�re la regarde, tr�s surpris. LE P�RE DOLL� Bon Dieu ! Mais c'est la croix de Georges ! Il la ramasse pour l'examiner, mais la m�re la lui prend des main. LA M�RE DOLL� Bien s�r que c'est elle ! Y a encore le prix derri�re. LE P�RE DOLL� �a, c'est pas banal ! LA M�RE DOLL� Elle est pas venue ici toute seule ! LE P�RE DOLL� �a, c'est sign� ! BERTHE DOLL� Quoi, sign� ? LA M�RE DOLL� �a, c'est une preuve ! BERTHE DOLL� Une preuve de quoi ? LE P�RE DOLL� Elle a raison : c'est une preuve ! Le p�re Doll� se remet en marche en acc�l�rant le pas, suivi par toute sa famille. Michel suit un peu en retrait avec Paulette. Il baisse la t�te. D'un seul coup, il s'arr�te net. MICHEL DOLL� J'y vais pas. Il se retourne, pr�t � rebrousser chemin, lorsqu'il aper�oit la famille Gouard, qui arrive � grands pas derri�re lui. Michel prend la main de Paulette et se remet rapidement en marche. MICHEL DOLL� Vite, v'l� les Gouard ! Les Gouards marchent, eux aussi, tr�s vite. Le p�re Gouard porte une binette sur l'�paule, Jeanne un arrosoir et des fleurs, Marcelle un pot de fleurs. Francis, en bretelles, porte son veston sur le bras. LE P�RE GOUARD Un taudis, qu'il a dit ! JEANNE GOUARD Elle sera plus belle que la leur. CIMETI�RE - EXT�RIEUR JOUR Les Doll� traversent le cimeti�re � grandes enjamb�es vers la tombe de Georges. La croix n'est plus l�. LA M�RE DOLL� Oh !... Y a plus de croix ! Michel pose le pot de fleurs par terre. Paulette s'accroupit et met sa main dans le trou marquant l'emplacement de la croix manquante. PAULETTE Y a un trou ! Elle y est plus ! LE P�RE DOLL� Nom de Dieu !... Regarde !... Il bondit vers une tombe sur laquelle est plant�e une croix de bois avec l'inscription : � Ici repose Am�lie GOUARD - 1898- 1938 �. Il pose son chapeau sur une croix voisine, puis il saisit la croix � deux mains, et la casse en deux au ras du sol. La partie sup�rieure tombe � terre. Tourn� vers sa famille, il ne voit pas les Gouard arriver derri�re lui. Il ramasse la croix, d�plante la partie encore en terre, puis, sur son genou, il se met en devoir de casser la croix en plusieurs morceaux. La croix se brise et la plaque m�tallique, qui l'ornait, vole en l'air. Derri�re lui, la famille Gouard est rest�e p�trifi�e, seul le p�re Gouard vient vers lui. La m�re Doll�, qui, elle, voit le p�re Gouard juste derri�re son mari maintenant, tente de lui faire des signes muets pour l'avertir. D'un coup de pied, le p�re Doll� envoie la croix voler dans les airs. Berthe, ses fleurs � la main, part en courant vers l'�glise. Sa m�re essaie toujours, par des signes muets, de pr�venir son mari de la pr�sence du p�re Gouard dans son dos. Le p�re Doll� se retourne et voit enfin son voisin, le chapeau � la main. Il ramasse le sien et le remet sur sa t�te, le p�re Gouard en fait autant. Ce dernier donne une violente bourrade au p�re Doll�, qui manque perdre l'�quilibre et perd son chapeau. Le p�re Doll� donne une violent bourrade � son voisin, qui perd son chapeau. Le p�re Gouard revient vers le p�re Doll�, le prend par le col, et le fait reculer lentement. LE P�RE GOUARD Salaud !... Vampire !... Salaud !... LE P�RE DOLL� Landru !... Sous la pouss�e du p�re Gouard, le p�re Doll� recule de plus en plus vite. La famille Gouard est toujours p�trifi�e � l'entr�e du cimeti�re. Francis mord le bord de son chapeau. Le p�re Gouard continue � pousser son adversaire devant lui. Ils finissent par tomber, tous les deux, dans une fosse fra�chement creus�e. Les deux familles accourent, et s'alignent, chacune d'un c�t� de la fosse. FRANCIS GOUARD Ah !... vous avez bonne mine, tous les deux ! LA M�RE DOLL� Tu t'es-t'y fait mal ? JEANNE GOUARD Et toi, le p�re ? LA M�RE DOLL� Et ben, r�pondez, quoi ! On entend les coups et les grognements des deux combattants. LE P�RE DOLL� (voix off) Oui !... Tiens !... LE P�RE GOUARD (voix off) Houl� ! La vache ! LA M�RE DOLL� Joseph ! M�fie-toi, il est mauvais ! JEANNE GOUARD Le l�che pas ! FRANCIS GOUARD Allez, c'est pas un endroit pour se battre ! RAYMOND DOLL� Je voudrais bien savoir o� tu t'es battu, toi, d�serteur ! FRANCIS GOUARD Oh, mais... d�serteur, toi m�me ! RAYMOND DOLL� Je suis pas d�serteur, je suis r�form�... Moi, j'ai l'albumine. FRANCIS GOUARD L'albumine !... Francis, d'un coup de main, fait voler le chapeau de Raymond. Berthe, tenant toujours ses fleurs � la main, arrive en courant, suivie du cur�, qui porte encore son aube et son �tole. Les deux familles se retournent vers le cur�. Au fond du trou, les deux hommes continuent � se battre. Les familles s'�cartent l�g�rement pour laisser passer le cur�, qui se penche, l'air tr�s m�content. LE CUR� C'est fini, non ? Les bruits de bagarre continuent. Comme le cur� est pench�, le bas de son �tole est au niveau des yeux de Paulette accroupie. Elle semble fascin�e par les deux belles croix brod�es qui ornent l'�tole, qu'elle touche d�licatement. LE CUR� Des p�res de famille ! Vous n'avez pas honte ? Dans le trou, les deux hommes se tiennent toujours par le col. LE P�RE GOUARD Monsieur le Cur�, il m'a cass� la croix d'Am�lie ! LE P�RE DOLL� Monsieur le Cur�, il m'a vol� les deux croix de Georges ! LE P�RE GOUARD C'est pas vrai : je vole pas les morts, moi ! LE P�RE DOLL� Si c'est pas toi, qui c'est, alors, ? LE CUR� Vous n'avez pas honte !... Non, Doll�, c'est pas lui. Je le connais, celui qui s'amuse � voler les croix. Derri�re le cur�, Michel s'�loigne le plus discr�tement possible. Paulette le regarde partir en hochant la main, avec un air de � Ben dis donc, qu'est-ce que vas prendre ! � LE CUR� Il a d�j� essay� de voler la croix du ma�tre-autel ! Michel se sauve en courant � travers les tombes LE CUR� (voix off) Michel !... Michel !... Viens ici ! Michel court de plus en plus vite. Les t�tes des deux combattants, soudain calm�s, �mergent du haut de la fosse. Ils sont �chevel�s et ils ont le col en bataille. LA M�RE DOLL� Michel !... Michel !... LE P�RE DOLL� (hurlant) Michel !... Michel sort du cimeti�re en courant. Les membres des deux familles, accompagn�s du cur�, se lancent � sa poursuite. Sauf les deux p�res, coinc�s dans la fosse, et Paulette, qui regarde toute cette agitation avec une certaine indiff�rence. VOIX DIVERSES Michel !... Michel !... Michel !... Viens ici !... Michel !... LA M�RE DOLL� Michel !... Viens ici !... Qu'est-ce que tu as fais ?... Regarde ce que tu nous fais, hein !... Le p�re Gouard fait la courte �chelle � son voisin, qui sort de la fosse et rejoint, en courant, les poursuivants de Michel. LE P�RE GOUARD Ben !... Et moi !... Il essaie d�sesp�r�ment de sortir de la fosse. LE P�RE GOUARD Bande de fumiers ! Paulette continue � regarder, sans bouger, les gens qui sortent en courant du cimeti�re. FONDU ENCHA�N� MOULIN - INT�RIEUR JOUR Les croix du cimeti�re sont plant�es dans le sol de terre battue du vieux moulin. Certaines croix sont d�cor�es de fleurs. Sur chaque croix, soit fix�es sur croix, soit pos�es au pied de la croix, l'une des � �tiquettes � r�dig�es par Michel et portant le nom du � d�funt � : � Jock, chien �, � Tope �, � Poussin �, � Verre de terre �, � Papillon �, � Rouge-gorge �, etc. Michel, assis par terre, face � � son cimeti�re �, contemple son oeuvre avec un certain orgueil. Il s'essuie les mains avec des feuilles, prend une pomme et mord dedans. Fondu au noir FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT La m�re Doll� est en train de se d�shabiller. Elle jette son jupon sur le lit de Georges, sur lequel il n'y a plus ni drap, ni couverture, et se retrouve en combinaison. Assis � table, et �clair�s par une lampe � p�trole, le p�re en train d'�crire et Ren�e est en train de lire. LA M�RE DOLL� S'il est pas rentr�, c'est qu'il a peur de toi. LE P�RE DOLL� Il a pas tort. La m�re Doll� s'est assise sur son lit et enl�ve ses bas. LA M�RE DOLL� Fais-y pas de mal. LE P�RE DOLL� Je ne peux pas lui en faire du mal, je ne sais pas o� il est ! Le p�re se cure les dents avec un morceau d'allumette, puis crachote un coup. Raymond, d�j� couch�, joue avec l'avion qu'il s'est fabriqu�. Il finit de clouer l'h�lice. Ren�e tourne une page de son livre, et, tr�s absorb�e par sa lecture, ne se rend plus compte de ce qu'il se passe autour d'elle. Elle se bouche m�me les oreilles pour �tre certaine de bien s'isoler de sa famille. Le p�re se verse un verre de vin, et le regarde pensivement avant de le boire. Raymond souffle sur l'h�lice de son avion, mais celle-ci ne bouge pas. Le p�re boit la moiti� de son verre. Raymond fait tourner l'h�lice avec le morceau de m�tal qui lui a servi � la clouer. Le p�re fait naviguer un peu le vin dans sa bouche avant de l'avaler. Il hoche la t�te, conscient de la faiblesse intellectuelle de son fils. Il finit son verre de vin, se l�ve un peu brusquement, et imm�diatement porte les mains sur ses reins. LE P�RE DOLL� Ouh !... LA M�RE DOLL� T'as toujours mal ? LE P�RE DOLL� Mais, Bon Dieu... mais qu'est-ce qu'il a bien pu foutre de quatorze croix ? Je comprends pas. La m�re se glisse dans son lit. Le p�re Doll� s'approche de Ren�e. LE P�RE DOLL� Allez, toi, va te coucher. REN�E DOLL� Oh, laisse-moi finir. Le p�re Doll� regarde le livre, qui n'est pas en tr�s bon �tat, et dont les pages ont tendance � se d�tacher. LE P�RE DOLL� Qu'est-ce que c'est ? REN�E DOLL� Je sais pas, mais c'est beau !... Ah !... Elle r�le parce que le p�re, en lui rendant le livre, l'a quelque peu malmen�. Le p�re remet sa casquette sur sa t�te. Il prend la lampe-temp�te pour sortir. LA M�RE DOLL� Quatorze ?... Quatorze ?... LE P�RE DOLL� Quatorze. J'ai refait le compte avec le cur�... Et encore, je dis m�me pas celle du Georges. Il pose la lampe sur la table et compte sur ses doigts. LE P�RE DOLL� Tiens... Il y a les Galuchet, un... les Brillon, deux... la veuve Contrat, trois... Raymond imite son p�re et compte aussi sur ses doigts. RAYMOND DOLL� Celle des Gouard. LE P�RE DOLL� Oui, celle des... Il se tourne vers Raymond. LE P�RE DOLL� Ta gueule ! LA M�RE DOLL� Qu'est-ce �a va nous co�ter ? RAYMOND DOLL� Oh, c'est pas compliqu�... Celle de Georges faisait deux cent cinquante francs... Deux cent cinquante multipli� par quatorze... Derri�re la fen�tre, on distingue le visage de Michel qui regarde � l'int�rieur de la ferme. RAYMOND DOLL� Je pose quatorze et je retiens... Dans son lit, Raymond essaie de calculer mentalement, mais n'y arrive visiblement pas. LE P�RE DOLL� T'as jamais su... Attends seulement que je le retrouve. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR NUIT Michel, derri�re la fen�tre, regarde ce qui se passe dans la ferme, et voit son p�re se diriger vers la porte. Entendant la porte s'ouvrir, Michel s'�loigne en courant. Le p�re sort de la ferme et regarde autour de lui. Mais il ne voit rien et n'entend que le chant des grenouilles. FERME DES DOLL� - GRANGE � FOIN - INT�RIEUR NUIT Michel entre pr�cipitamment dans la grange, et grimpe rapidement � l'�chelle. Arriv� en haut de l'�chelle, il ouvre la petite porte qui communique avec le grenier. FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR NUIT Par la grange, Michel entre dans la � chambre de Paulette �. Il chuchote. MICHEL DOLL� Paulette !... Paulette !... Michel s'aper�oit que le lit est vide. Il tend l'oreille, et entendant des voix, il descend quelques marches de l'escalier. A travers les barreaux verticaux qui longe l'escalier, il aper�oit Ren�e toujours assise � table en train de lire. Il entend aussi la voix de Berthe venant de juste en-dessous de l'escalier. Il tourne la t�te, puis se rapproche des barreaux. BERTHE DOLL� (voix off) Pourquoi tu veux pas ?... Tu vas me le dire... Hein ?... A travers les barreaux, Michel voit Berthe qui embrasse Paulette et l'assoit sur un lit. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR NUIT Michel se colle le visage entre les barreaux pour mieux suivre ce qui se passe. BERTHE DOLL� Et puisque tu le sais, dis-le moi. Paulette regarde Berthe en pleurnichant. PAULETTE Non ! Je le sais pas. BERTHE DOLL� Mais si, tu le sais, ton nez remue. Paulette se prend le nez entre les doigts. PAULETTE Pourquoi ? BERTHE DOLL� Quand il remue, c'est qu'on a menti. Paulette semble un peu inqui�te. PAULETTE Ah ?... BERTHE DOLL� Tu te rends compte de ce qu'il a fait, Michel ? Voler la croix de son fr�re !... Tu crois que c'est beau, �a ? Berthe s'agenouille au pied du lit. Paulette se met � pleurer, tout en continuant � se tripoter le nez. PAULETTE Non. BERTHE DOLL� Je te demande pas de pleurer, je te demande o� elles sont... Mais � quoi �a vous sert, des croix ? C'est pas des jouets ! PAULETTE Non, c'est pas des jouets... Berthe lui pousse la main avec laquelle elle tient son nez. BERTHE DOLL� �coute... Tiens pas ton nez... Monsieur Doll�, il te tapera dessus jusqu'� ce que tu aies le derri�re tout noir. Alors, t'as qu'� me le dire � moi... J'irai les chercher et personne ne vous dira rien... C'est pas mieux comme �a ? A travers les barreaux, Michel mime le mot � Non �. PAULETTE Oui. BERTHE DOLL� Tu vois... O� elles sont ? PAULETTE Je ne sais pas. Le ton de Berthe se durcit. BERTHE DOLL� Ben alors, pourquoi vous �tes venus prendre la brouette dans la grange ?... Je vais lui dire, moi, � Monsieur Doll�. MICHEL DOLL� Tu lui diras quoi, � Monsieur Doll� ? Berthe et Paulette l�ve la t�te vers le haut de l'escalier. Paulette sourit, mais Berthe semble un peu surprise. BERTHE DOLL� Ah ! Te voil�, toi ! Elle se l�ve. MICHEL DOLL� Et moi aussi je vais lui dire. BERTHE DOLL� Tu lui diras quoi ? MICHEL DOLL� Avec qui que t'�tais dans la grange. Berthe semble un peu mal � son aise, tout � coup. BERTHE DOLL� Menteur. MICHEL DOLL� Menteuse. BERTHE DOLL� Je l'appelle ? MICHEL DOLL� Vas-y ! Le p�re Doll� rentre dans la pi�ce et tire le verrou de la porte. Berthe se tourne vers Michel, et prend un ton doucereux pour DIRE : BERTHE DOLL� Fais pas le malin. Michel grimpe rapidement en haut de l'escalier. Le p�re Doll� pose sa lampe sur une petite table. LE P�RE DOLL� (� Ren�e) J'ai dit : � Au lit ! � Ren�e se l�ve pr�cipitamment de la table, son livre � la main. Son p�re la pousse vers son lit. A la lumi�re de la bougie pos�e pr�s du lit, Ren�e continue � lire, tout en se d�shabillant. Le p�re se tourne vers Berthe qui tient Paulette dans ses bras. LE P�RE DOLL� J'ai tout boucl�. Si jamais il vient taper cette nuit, mine de rien, tu le fais rentrer et tu m'appelles... Compris ? On voit furtivement Michel qui observe la sc�ne entre deux barreaux de l'escalier. Berthe, qui se sait observ�e et �cout�e, prend un ton faussement enjou� pour r�pondre BERTHE DOLL� Oui, papa. Le p�re Doll� regarde Paulette dans les bras de Berthe. LE P�RE DOLL� Elle n'a rien dit ? BERTHE DOLL� Non. Berthe pose Paulette par terre. Celle-ci ne quitte pas le p�re Doll� des yeux. Berthe embrasse Paulette. BERTHE DOLL� Bonsoir, mon J�sus. Berthe pousse Paulette � s'�loigner d'elle. Le p�re s'approche de la bougie qui �claire le livre de Ren�e, et la souffle. LE P�RE DOLL� La lumi�re, c'est pas fait pour lire. La sc�ne est tout � coup plong�e dans l'obscurit� compl�te. REN�E DOLL� J'y vois rien � me d�shabiller. Le p�re Doll� ricane. LE P�RE DOLL� Oh, pour ce que t'as � montrer. Paulette commence � monter deux marches de l'escalier et s'arr�te pour regarder Raymond, allong� dans son lit au pied de l'escalier. PAULETTE Bonsoir, Monsieur Raymond. RAYMOND DOLL� Je te dirai bonsoir quand vous aurez rendu les croix. Paulette regarde un instant autour d'elle, puis, comprenant qu'elle n'est plus aussi aim�e qu'auparavant, elle reprend sa marche dans l'escalier. FERME DES DOLL� - GRENIER - INT�RIEUR NUIT Michel attend Paulette, qui gravit les derni�res marches. MICHEL DOLL� Tu viens... On y va. PAULETTE O� �a ? MICHEL DOLL� Au cimeti�re. PAULETTE Oh non ! Pas maintenant, il fait noir. MICHEL DOLL� Et puis d'abord, il a tout boucl�. On ira demain. PAULETTE Il est beau ? MICHEL DOLL� Ah !... S'il est beau ! Y a toutes les croix... et les �tiquettes. PAULETTE Raconte-moi. Michel entra�ne Paulette loin de l'escalier, de peur qu'on les entende. MICHEL DOLL� J'ai mis des cailloux. Y a toutes les b�tes... et puis des fleurs... Y a des assiettes cass�es... des escargots. Paulette rit. On entend du bruit venant d'en bas. Michel se pr�cipite vers la petite porte qui m�ne � la grange. Mais avant de sortir, il lui chuchote : MICHEL DOLL� Je vais me coucher dans la grange. Michel referme la porte. Paulette semble tr�s heureuse et elle se jette toute habill�e sur son lit. Elle se glisse sous la couverture sans m�me enlever ses chaussures. Fondu au noir FERME DES DOLL� - GRANGE � FOIN - INT�RIEUR JOUR On entend le chant du coq. Michel dort dans le foin, envelopp� dans un sac � bl�. Paulette s'approche de lui et lui chatouille l'oreille avec une paille. Il se r�veille et se frotte les yeux. MICHEL DOLL� Tiens, tu es l� ? Il se l�ve, et s'assoit dans le foin � c�t� de Paulette. PAULETTE Bonjour. MICHEL DOLL� Bonjour... Allez... on y va. PAULETTE O� �a ? MICHEL DOLL� Ben, voir le cimeti�re. PAULETTE J'ai faim. Michel sort une pomme de sa poche et la tend � Paulette. MICHEL DOLL� Tiens. Paulette prend la pomme et la sent. Puis elle la remet dans la main de Michel. PAULETTE J'aime pas les pommes. MICHEL DOLL� J'ai pas autre chose. PAULETTE Je veux du caf� au lait. Michel se l�ve, l'air un peu agac�. MICHEL DOLL� Oh, ben, t'es pas commode ! FERME DES DOLL� ET DES GOUARDS - COUR - EXT�RIEUR JOUR On voit les deux fermes voisines, et, au loin, une voiture qui s'approche et finit pas s'arr�ter. Dans la cour des Gouard, Francis regarde la voiture et semble tr�s inquiet. Il entre rapidement chez lui. Pr�s du ruisseau, Raymond est en train de puiser de l'eau. Lui aussi voit la voiture s'arr�ter, et il semble un peu intrigu�. Sur le chemin qui m�ne aux deux fermes, deux gendarmes marchent vers les b�timents. Raymond, son broc � la main court vers la ferme. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR Le p�re, debout pr�s de la table, est en train d'essuyer un verre. La m�re essuie autre chose derri�re lui. Berthe est assise � table, et Ren�e est debout derri�re elle La porte vers l'ext�rieur est grande ouverte, et Raymond entre en RIGOLANT : RAYMOND DOLL� �a y est, les Gouard ont port� plainte ! Le p�re se tourne vers lui. LE P�RE DOLL� �a te fait rigoler, toi ? Et les croix, hein ?... C'est toi qui les paieras ? Il donne une gifle � Raymond, puis sort sur le pas de la porte. La m�re et Ren�e le rejoignent. Le p�re se tourne vers sa femme. LE P�RE DOLL� Et ce cochon qui est m�me pas rentr� ! Berthe est maintenant debout pr�s de la table. BERTHE DOLL� Il est pas loin. LE P�RE DOLL� Tu pouvais pas le dire. BERTHE DOLL� Tu me l'as pas demand�. Le p�re se met � crier : LE P�RE DOLL� Michel !... Michel !... Il s'�loigne dans la cour. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Les deux gendarmes traversent la passerelle et s'approchent de la ferme Doll�. FERME DES DOLL� - SALLE COMMUNE - INT�RIEUR JOUR La m�re Doll� rentre dans la pi�ce, suivie de Ren�e. LE P�RE DOLL� (voix off) Michel !... La m�re arrange sa coiffure. Elle semble tr�s nerveuse. FERME DES DOLL� - GRANGE � FOIN - INT�RIEUR JOUR LE P�RE DOLL� (voix off) Michel !... Michel regarde par la lucarne et revient vers Paulette. MICHEL DOLL� Merde, v'l� les gendarmes ! PAULETTE Qu'est-ce qu'ils vont nous faire ? Paulette prend un sac a bl�, et se le met sur le dos en frissonnant. MICHEL DOLL� Je sais pas... Y a qu'� rien leur dire... Tu jures ? PAULETTE Oui. MICHEL DOLL� Non. Dis : � Je jure � ! PAULETTE Je jure. MICHEL DOLL� Bon, moi aussi, je dis � Je jure �. Croix en bois, croix en fer, celui qui ment, y va en Enfer. Il tend la main et crache par terre, puis se retourne vers la lucarne. Le p�re Doll� ouvre la porte de la grange. LE P�RE DOLL� Michel !... Il se dirige vers son fils. LE P�RE DOLL� Saligaud, t'as gagn�, v'l� les gendarmes. Il grimpe sur le tas de foin, sur lequel Michel et Paulette sont serr�s l'un contre l'autre, pr�s de la lucarne. LE P�RE DOLL� Tu vas dire o� elles sont, ces croix ? Il tr�buche sur un manche de fourche cach� dans le foin et s'�tale dans le foin. Il se rel�ve, jette la fourche loin de lui et se dirige vers Michel. LE P�RE DOLL� Tu le diras, hein ? Il essaie d'attraper Michel, qui lui �chappe. Paulette se met � pleurer. LE P�RE DOLL� T�te de cochon, tu vas le dire o� elles sont, ces croix, hein ? Il r�ussit � attraper Michel et le secoue. LE P�RE DOLL� Hein ?... MICHEL DOLL� Non, je le dirai pas. Le p�re jette son fils dans le foin. LE P�RE DOLL� Alors, tu finiras en prison ! Michel se rel�ve. MICHEL DOLL� Oui, j'aime mieux ! Alors que Michel essaie de se sauver, le p�re l'attrape par un pied et le fait tr�bucher. Il le secoue dans tous les sens et lui donne des baffes. LE P�RE DOLL� Quatorze croix ! Mais, Bon Dieu de Bon Dieu, mais qu'est-ce que t'avais � foutre de quatorze croix, hein ? Il le soul�ve comme s'il s'agissait d'une plume et le jette par terre. LE P�RE DOLL� Oh !... Quatorze croix !... Quatorze milles coups de pied au cul, oui ! Hein ?... Michel commence � grimper � l'�chelle, et son p�re lui donne un grand coup de pied dans le derri�re. Puis il l'attrape par une jambe et le jette par terre, o� il le frappe. Paulette se caresse la joue, comme elle le fait chaque fois qu'elle est perturb�e. MICHEL DOLL� (voix off) A�e !... A�e !... A�e !... On entend les bruits de la racl�e que prend Michel. Paulette pleure doucement, tout en se frottant la joue. MICHEL DOLL� (voix off) A�e !... A�e !... A�e !... A�e !... Paulette suit la punition des yeux et se met � pleurnicher. PAULETTE Michel !... Michel !... Michel !... La porte s'ouvre et la m�re appara�t. Elle semble apais�e, et m�me joyeuse. LA M�RE DOLL� Joseph !... Joseph !... H�, laisse-le ! Michel saute du haut du la grange, pendant que son p�re descend plus prudemment par l'�chelle. LE P�RE DOLL� Tu vois bien que je suis occup�. Comme sa m�re est devant la porte, Michel ne peut pas se sauver comme il l'escomptait et son p�re le rattrape. La m�re s'approche de son mari. LA M�RE DOLL� H�, laisse-le. C'est pas pour �a qu'ils sont venus. La m�re d�tache Michel des mains de son p�re. LA M�RE DOLL� C'est pour Paulette. Elle se dirige pour Paulette, toujours pleurnichant contre le mur avec son sac sur les �paules. LE P�RE DOLL� Paulette ? LA M�RE DOLL� Mais oui, ils viennent la chercher. Elle prend Paulette pour l'emmener avec elle. Paulette r�siste. PAULETTE Je veux pas !... Je veux pas !... Je veux pas y aller !... La m�re emm�ne Paulette avec elle. LA M�RE DOLL� Allez, viens, toi ! Paulette continue � pleurnicher et � pleurer, pendant que la m�re l'entra�ne vers la porte de la grange. PAULETTE Je veux pas y aller ! Je veux pas y aller ! Je veux pas y aller ! Michel r�alise, tout � coup, ce qui se passe. MICHEL DOLL� Je veux pas qu'on l'emm�ne. LE P�RE DOLL� On te demande rien. Il repousse son fils LA M�RE DOLL� Mais ils vont pas lui faire du mal. C'est pour l'amener � l'orphelinat avec les petites filles. PAULETTE Je veux pas y aller. MICHEL DOLL� Elle ira pas � l'orphelinat. LA M�RE DOLL� On ne peut tout de m�me pas la garder. Le p�re, toujours en col�re contre son fils, le foudroie du regard. LE P�RE DOLL� Parce que c'est toi qui commandes, oui ? Il se tourne vers Paulette et sa voix se fait plus douce. LE P�RE DOLL� Faut pas avoir peur, va... Ils sont gentils. Alors que son p�re, sa m�re et Paulette sont � la porte de la grange, Michel se rapproche d'eux, et dit, d'une voix plus calme : MICHEL DOLL� Et si je te dis o� elles sont, tu la gardes ? Son p�re et sa m�re s'arr�tent et se tournent vers lui. LE P�RE DOLL� �a n'a rien � voir. MICHEL DOLL� Et ben, tu le sauras jamais. T'entends ? Jamais. LE P�RE DOLL� Je m'occuperai de toi apr�s. MICHEL DOLL� C'est pas comme �a que tu les auras ! LA M�RE DOLL� Et comment alors ? MICHEL DOLL� Y a qu'� la garder... Si elle reste, on rendra les croix, et puis on demandera pardon � tout le monde. Et puis elle ira au cat�chisme, et puis � l'�cole, et elle aidera � la maison. LA M�RE DOLL� Et puis, � la fin, vous vous marierez ! LE P�RE DOLL� Alors dis-le o� elles sont. MICHEL DOLL� T'as pas promis. LE P�RE DOLL� Bon... Ben... �a va, dis-le... Alors, dis-le o� elles sont. PAULETTE Dis-le, Michel. MICHEL DOLL� Elles sont au moulin. LE P�RE DOLL� Au moulin ? LA M�RE DOLL� Mais pourquoi au moulin ? MICHEL DOLL� T'as qu'� venir avec moi. Michel ouvre la porte pour sortir, mais il bute dans son fr�re Raymond, qui entre suivi des deux gendarmes, qui saluent le p�re Doll�. Le p�re leur rend un vague salut. Michel recule. Un des gendarmes se penche vers Paulette. LA M�RE DOLL� Ben... la voil�, ce pauvre petit chou. UN GENDARME Bonjour, ma petite fille. PAULETTE Non ! UN GENDARME Comment t'appelles-tu ? PAULETTE Non ! UN GENDARME Comment elle s'appelle ? LA M�RE DOLL� Nous, on l'appelle Paulette, tout simplement. UN GENDARME Ah !... (A PAULETTE) Ton papa et ta maman, ils ont �t� tu�s par les bombardements ? PAULETTE Non ! UN GENDARME Ben, alors, quoi ? LE P�RE DOLL� C'est elle qui nous l'a dit. La m�re se penche vers Paulette. LA M�RE DOLL� Comment non ? Mais rappelle-toi bien, mon poulet. LE P�RE DOLL� Ayez pas peur, �a va lui revenir. UN GENDARME Elle a peut-�tre �t� commotionn�e. Le gendarme essaie de prendre Paulette par le menton. Dans un premier temps, elle tend le menton, puis elle se recule. LE P�RE DOLL� Comme vous dites, oui. UN GENDARME On n'a m�me pas son nom. LA M�RE DOLL� A moi, elle va le dire. Elle se penche vers Paulette. LA M�RE DOLL� Tu t'appelles Paulette comment ?... Hein ?... Paulette comment ?... PAULETTE Doll�. LA M�RE DOLL� Doll� !... Ben, elle dit qu'elle s'appelle Doll� maintenant ! PAULETTE Je veux m'appeler comme Michel. RAYMOND DOLL� C'est bien �a, les gosses. UN GENDARME �a manque d'�l�ments. LE P�RE DOLL� Mais vous allez la prendre quand m�me ? UN GENDARME On la passera � la Croix-Rouge. Le p�re Doll� se penche vers Paulette. LE P�RE DOLL� Ah, tu vois, tu vas faire une belle promenade avec ces messieurs. LA M�RE DOLL� Et en automobile encore... LE P�RE DOLL� Ah !... Un gendarme sort un livret de sa poche et le pose sur un tonneau. Michel semble ne pas vouloir croire ce qu'il voit. UN GENDARME Allez... vous signez l�, Monsieur Doll�. Il tend son crayon au p�re Doll�. Ce dernier, machinalement, le mouille avec sa bouche avant d'�crire. Au moment o� son p�re va signer, Michel explose. MICHEL DOLL� T'as pas le droit, t'as promis. LE P�RE DOLL� D'abord, j'ai pas promis... Et puis d'abord, ta gueule ! MICHEL DOLL� Menteur ! UN GENDARME C'est comme �a que tu parles � ton p�re ? MICHEL DOLL� Oui, il m'avait dit qu'on la garderait si je lui disais o�... o� sont les croix. LE P�RE DOLL� Tu vas te taire ? Michel l�ve machinalement le bras, comme pour �viter la baffe qu'il sent imminente. MICHEL DOLL� Et ben, tu les auras pas, tes croix ! Michel sort en courant de la grange. Le gendarme le regarde partir, un peu intrigu�. UN GENDARME Quelles croix ? LE P�RE DOLL� Des croix ?... Pfff !... Il hausse les �paules et signe. FERME DES DOLL� - COUR - EXT�RIEUR JOUR Michel saute une barri�re � l'extr�mit� de la cour, et part en courant � travers champs. MOULIN - EXT�RIEUR JOUR Michel entre en courant dans le moulin. MOULIN - INT�RIEUR JOUR Michel commence � arracher les croix, qu'il jette dans un coin pr�s de la fen�tre, qui donne sur la rivi�re. Install� sur sa poutre, pr�s de son nid, le hibou le regarde, un peu indiff�rent. Michel continue � arracher les croix et � les empiler pr�s de la fen�tre. Arriv� � la tombe du chien de Paulette, il d�croche une croix plus belle que les autres, attach�e sur la croix rudimentaire que Michel avait fabriqu� avec un bout de bois et du fil de fer. Cette croix ouvrag�e a �t� r�alis�e avec du fil de fer torsad� sur lequel des petites perles ont �t� enfil�es. Puis il d�croche aussi, tr�s d�licatement, le bracelet cass� de Paulette, qui, lui aussi, orne la croix rudimentaire. Il le regarde un instant, puis le met dans sa poche. Il s'approche de la la fen�tre, qui est en fait un grand trou dans la ma�onnerie du b�timent, la v�ritable fen�tre ayant disparu depuis longtemps. Il prend toutes les croix empil�es et les jette dans la rivi�re, o� elle s'�loignent, emport�es pas le courant. Puis, tenant toujours la croix ouvrag�e dans sa main, il court vers l'�chelle qui monte vers la charpente du moulin. Il grimpe � toute vitesse. Arriv�e dans la charpente, il s'arr�te, car il vient d'entendre le bruit d'un moteur de voiture. Il a les larmes aux yeux. Par la fen�tre, on aper�oit le nuage de poussi�re laiss�e par ce que l'on devine �tre la voiture des gendarmes qui emm�nent Paulette. Il regarde, une derni�re fois, la croix ouvrag�e, et la jette rageusement dans la rivi�re avec les autres. Il ne lui reste plus que le bracelet. Il s'approche du hibou, et lui montre le bracelet. MICHEL DOLL� Tiens, garde-le cent ans. Le hibou cligne des yeux. Puis Michel suspend le bracelet sur une cheville qui d�passe d'une poutre, au-dessus de la t�te du hibou, qui regarde, un peu intrigu�, cet objet brillant. Michel le caresse et le hibou ferme les yeux. HALL DE LA CROIX-ROUGE - INT�RIEUR JOUR Une femme assez �g�e fait boire un petit chat dans un bol. La femme se retourne pour prendre un autre bol que lui tend une religieuse (qui porte l'uniforme d'�poque des soeurs de Saint- Vincent de Paul). La femme boit dans un bol et le chat dans l'autre. Autour de la vieille femme, on aper�oit la foule des r�fugi�s, ainsi que les b�n�voles civils ou religieux. Le d�cor, avec les piliers qui supportent des crois�es d'ogive, nous indique que nous sommes dans un �tablissement religieux, �glise ou clo�tre. Une religieuse marche � travers la foule, une �tiquette � la main, et un dossier sous l'autre bras. Elle cherche visiblement quelqu'un. Elle finit par s'approcher de Paulette, assise sur un banc. La petite fille a l'air totalement absente. La religieuse lui accroche l'�tiquette autour du cou, � l'aide d'un cordon. LA RELIGIEUSE Voil� ! Il faudra bien la garder. Paulette ne regarde m�me pas la religieuse. Elle a le regard absent, fix� dans le vide. La religieuse sort de sa poche une petite barre de chocolat, qu'elle donne � Paulette, qui la prend machinalement, mais ne cherche m�me pas � la manger. LA RELIGIEUSE Tiens. Arrive une femme tr�s distingu�e, tailleur �l�gant et collier de perles. C'est visiblement une femme du monde, qui oeuvre en tant que b�n�vole pour la Croix-Rouge. DAME B�N�VOLE CROIX-ROUGE Ah ! Elle a fini par vous dire son nom, ma soeur ? Gros plan sur l'�tiquette pendue autour du cou de Paulette. Il y EST INSCRIT : CROIX-ROUGE FRAN�AISE CONVOIS DE MALADES OU D'ENFANTS ISOL�S Date : 20 juin - N� d'ordre : 2608 Centre d�part : M�rimont ?? (mot illisible) NOM : DOLL� Pr�nom : Paulette - Age : 5 ans Destination : Clermont Ferrand LA RELIGIEUSE Et puis tu verras, ma petite... La religieuse lit le nom �crit sur l'�tiquette. LA RELIGIEUSE ...Paulette... tu verras comme tu seras bien... Tu seras avec tout plein de petites filles comme toi, qui ont eu beaucoup de malheur, mais, toutes ensembles, vous serez quand m�me bien contentes... Paulette, le regard toujours fix� dans le vide, ne semble pas �couter la religieuse qui lui parle, ne cherchant m�me pas � comprendre ce qu'elle lui dit. La religieuse ramasse son dossier et se rel�ve pour partir s'occuper d'autres r�fugi�s. LA RELIGIEUSE Surtout, ne bouge pas... Sois sage... La religieuse s'�loigne. Paulette regarde, d'un air absent, les gens qui l'entourent. Tout � coup, on entend une voix de femme, plus forte que le brouhaha ambiant. UNE FEMME (voix off) Michel !... Michel !... Paulette tourne la t�te vers la voix. Au milieu de la foule, on voit une femme, qui �tait assise, se lever et appeler : UNE FEMME Michel !... Paulette se l�ve, tenant toujours sa barre de chocolat � la main. Elle dit, d'une voix de plus en plus sanglotante : PAULETTE Michel !... Michel !... Michel !... Michel !... Michel !... Michel !... Elle se faufile au milieu des r�fugi�s et se dirige vers l'endroit d'o� provenait la voix. PAULETTE Michel !... Michel !... Elle finit par retrouver la femme, en train de serrer dans ses bras le � Michel � qu'elle cherchait. Paulette murmure alors : PAULETTE Maman !... Maman !... Elle part en courant � travers le hall de la Croix-Rouge, tenant toujours sa barre de chocolat � la main, et se faufilant au milieu de la foule des r�fugi�s, vers une destination inconnue, tout en CRIANT : PAULETTE Michel !... Michel !... Michel !... Le mot � FIN � appara�t en lettre blanches sur la foule des r�fugi�s, film�e en plong�e. Fondu au noir et musique du film. NOTE Ceci marque la fin de la version la plus courante du film. La sc�ne qui suit, comme l'�tait d�j� la premi�re sc�ne du film, a �t� coup�e dans de nombreuses copies projet�es de nos jours. Cette sc�ne se d�roule d'ailleurs dans le m�me d�cor, et avec les m�mes personnages que dans la premi�re sc�ne, dont elle est, en fait, la suite. Dans cette version � originale �, Le mot � FIN � ne s'inscrit pas sur l'�cran, et on passe directement � la sc�ne suivante. ILOT BOIS� - EXT�RIEUR JOUR Le petit gar�on, qui ressemble � Michel, referme le livre, pendant que la petite fille, qui ressemble � Paulette, pleure � chaudes larmes. Les deux enfants sont toujours assis sur le m�me tronc d'arbre que pendant la premi�re sc�ne du film. Michel essaie de rouvrir le livre, mais Paulette l'en emp�che. MICHEL DOLL� Faut pas pleurer comme �a, c'est une histoire, c'est pas vrai. PAULETTE Mais les histoires aussi c'est vrai ! MICHEL DOLL� Mais c'est pas fini, attends que je te lise la fin... Michel rouvre le livre � la derni�re page, qu'il cache pour que Paulette ne voit pas qu'il s'agit, en fait, d'une page blanche. Il improvise donc le texte qu'il fait semblant de lire, tout en suivant une ligne imaginaire avec son doigt. MICHEL DOLL� Paulette a retrouv� Michel, ils se sont sauv�s tous les deux, il se sont cach�s et on ne les a pas retrouv�s. Il ferme prestement le livre et constate, avec satisfaction, que Paulette ne pleure plus. Elle s'essuie les yeux. PAULETTE Et si on leur disait de venir avec nous... ici, dans notre �le. Michel balaie du regard le paysage qui l'entoure. MICHEL DOLL� Oui... Elle est assez grande pour quatre : elle a mille kilom�tres. PAULETTE Et puis on les aimera, tu veux bien ? MICHEL DOLL� Oui, je veux bien. Je vais leur �crire. PAULETTE Dis leur le chemin pour venir. Ils n'ont qu'� suivre la m�re canard et les canetons. Dis-leur qu'ici, personne pourra leur faire de mal... Dis-leur qu'on les attend... Dis-leur qu'ils viennent... Michel sourit � Paulette, se penche sur elle, l'embrasse sur la joue et lui caresse les cheveux. Puis il se l�ve. Paulette ramasse son panier, et se l�ve � son tour, aid�e par Michel, qui la tient par la main. La cam�ra s'�loigne des enfants, d�couvrant la rivi�re, sur laquelle nage une famille de canards. Paulette prend du pain dans son panier et le jette aux canards. Puis elle se tourne vers Michel. Les deux enfants marchent sur le tronc d'arbre, se dirigeant vers la rive, Michel tenant Paulette par la main, et la guidant pour lui �viter de tomber. Une fois arriv�s sur la rive, ils s'�loignent en courant. Le mot � FIN � s'inscrit sur la rivi�re et le tronc d'arbre couch�. Fondu au noir et musique du film. NOTE Ceci marque la fin de la version � originale � du film.